Une cape rouge a survolé ce mardi à l’aube la centrale nucléaire du Bugey (Ain), près de Lyon, avant de s’y crasher. Il s’agissait d’un drone à l’effigie de Superman piloté par des activistes de Greenpeace, qui l’ont envoyé s’écraser droit contre le mur de la piscine d’entreposage de combustible usé, le bâtiment de la centrale le plus chargé en radioactivité. Réputée pour ses actions d’agit-prop spectaculaire, l’ONG antinucléaire a voulu faire une nouvelle fois la démonstration de la vulnérabilité du système de sécurité des centrales d’EDF et revendiquer son action en diffusant cette vidéo sur Twitter :
[ALERTE] Superman survole la centrale nucléaire du Bugey, à une trentaine de km de Lyon, et s’écrase volontairement contre un bâtiment lourdement chargé de radioactivité #SuperRadioactif pic.twitter.com/hOpQtLOdg8
— Greenpeace France (@greenpeacefr) July 3, 2018
Un tel incident ne devrait normalement pas pouvoir se produire dans l'enceinte d'une centrale nucléaire, l'espace aérien y étant une zone interdite de survol. Mais dans les faits, à aucun moment le drone n'a été inquiété. Greenpeace précise qu'il s'agissait «d'un drone inoffensif, piloté par des militant.e.s non violent.e.s […]». Mais que se serait-il passé si un engin plus imposant avait été chargé d'explosifs ? «La réalité, mise en lumière par cette action symbolique, n'en est pas moins inquiétante, estime l'organisation. Le survol et le crash de ce drone ont montré que l'espace aérien n'était pas inviolable. Les piscines d'entreposage de combustible usé, telle que celle visée par ce Superman, sont très facilement accessibles et extrêmement vulnérables face au risque d'attaques extérieures.»
C'est en effet la troisième fois en quelques mois que Greenpeace monte une opération spectaculaire pour démontrer les failles de sécurité des centrales nucléaires. L'hiver dernier, ses militants s'étaient introduits coup sur coup à l'intérieur de l'enceinte des centrales de Cattenom (Moselle) et Cruas (Ardèche), avant d'être interceptés par les gendarmes. Le timing de ce simulacre d'assaut aérien contre la piscine de refroidissement de la centrale du Bugey ne doit rien au hasard : jeudi matin, la députée LREM de la Somme Barbara Pompili doit présenter le rapport de sa commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaire à l'Assemblée, dont la création avait été en partie inspirée par un rapport choc de Greenpeace sur le sujet.
Un deuxième crash
Interrogé par Libération, EDF a confirmé que ce «mardi 3 juillet, à 6h27, les équipes de la centrale nucléaire du Bugey (Ain) ont détecté la présence de deux drones survolant le site. Un des deux drones, le Superman, a été récupéré par les forces de gendarmerie». Selon l'exploitant, «la présence de ces drones n'a eu aucun impact sur la sûreté des installations». Mais EDF, qui semble avoir bien du mal à contrer les actions de Greenpeace malgré le renfort d'un peloton spécialisé de protection de la gendarmerie pour protéger ses centrales, dénonce «une infraction au regard du code de la défense» et indique que celle-ci «donnera lieu au dépôt d'une plainte».
Après ce premier survol de drones, Greenpeace a procédé par la suite à un second survol. Cette fois, un drone en forme d’avion a volé au-dessus de la centrale du Bugey avant de se crasher sur le mur de la même piscine d’entreposage de combustible usé. Un quatrième drone a encore une fois filmé la scène.
Réaction inquiétante d'@EDFofficiel à nos actions ds la centrale nucléaire du Bugey: ils disent avoir "intercepté 1 des 2 drones". En réalité, nous en avons crashé 2 volontairement. Et il y avait également 1 avion radiocommandé. Ni vu, ni connu... ni sécurisé ! #SuperRadioactif pic.twitter.com/enfTHbLuU7
— Greenpeace France (@greenpeacefr) July 3, 2018
Scénario catastrophe
Là encore, aucun appareil n'a été intercepté. Pour l'ONG, il s'agissait de démontrer par les faits l'un des scénarios les plus inquiétants pointé dans son rapport, à savoir une attaque aérienne par drone, hélicoptère, voire avion de ligne détourné. Epais de seulement 30 cm, le mur en béton d'un bâtiment piscine ne résisterait pas au crash d'un petit aéronef bourré d'explosif ou d'un gros porteur rempli de carburant. Or une brèche importante dans l'enceinte provoquerait un «dénoyage» rapide des barres de combustible qui, privées de leur refroidissement, pourraient monter en température et provoquer une catastrophe nucléaire, comme l'avait expliqué à Libération l'expert indépendant Yves Marignac, du cabinet Wise-Paris.
«Lors du premier survol de la centrale, il y avait le drone Superman filmé par un deuxième drone. Je suis formel, il n'y a eu aucune interception de drone», a précisé à Libération Yannick Rousselet, chargé de campagne nucléaire à Greenpeace France. Pour mieux protéger les centrales nucléaires françaises face au risque terroriste, Yannick Rousselet recommande non pas des moyens humains (surveillants, gendarmes…) supplémentaires, pas forcément plus efficaces, mais «une protection passive des installations qui soit suffisante, avec une bunkérisation des murs des centrales, la mise en place de câbles tendus sur pylônes et des filets de protection. Les solutions existent et doivent être adaptées à chaque site».
Prison
Le 12 octobre 2017, lors de la première opération menée par Greenpeace, huit activistes avaient été interpellés pour s’être introduits à l’intérieur de l’enceinte de la centrale de Cattenom (Moselle). Le tribunal correctionnel de Thionville les a condamnés à des peines allant de cinq mois de prison avec sursis à deux mois ferme. Greenpeace France, représenté par son directeur général, Jean-François Julliard, a écopé pour sa part d’une amende de 20 000 euros. Le 28 novembre, un autre groupe de Greenpeace avait cette fois réussi à pénétrer le dispositif de sécurité de la centrale de Cruas (Ardèche), jusqu’à toucher le mur de la piscine de refroidissement. Objectif : démontrer la facilité avec laquelle un commando armé pourrait menacer le bâtiment rempli de combustible ultra-radioactif. Là encore, les activistes ont été condamnés, cette fois, à quatre mois de prison avec sursis.
En 2014 et 2015, des drones avaient déjà survolé plusieurs sites nucléaires français, dont la centrale du Bugey. Or, cette fois, Greenpeace a démenti toute implication. Ces survols restent à ce jour officiellement inexpliqués, malgré les investigations des services français, ce qui n’inquiète pas que l’ONG. Barbara Pompili devrait par exemple recommander dans son rapport d’enquête un net renforcement des moyens techniques et financiers dévolus à la protection des centrales nucléaires françaises.