Ce coup-ci, c’est la bonne. Pilier du Medef depuis cinq ans, Geoffroy Roux de Bézieux, dit «GRB», tient son bâton de maréchal. A 56 ans, ce «serial-entrepreneur» (The Phone House, Virgin Mobile, etc.) et investisseur dans les nouvelles technologies a été élu mardi à la tête de la principale organisation patronale française. Il a rallié sur son nom 284 suffrages sur les 556 grands électeurs de l’assemblée générale du mouvement, soit 55,8 % des voix. Il succède donc à Pierre Gattaz, contre qui il s’était présenté en 2013 avant de se rallier finalement à lui en fin de course lorsqu’il avait compris qu’il ne disposerait pas du nombre suffisant de soutiens pour l’emporter. Adoubé, le patron de Radiall en avait alors fait son numéro 2, le nommant vice-président en charge de l’économie, de la fiscalité et du numérique. Un poste stratégique à partir duquel GRB a pu continuer à tisser sa toile pendant cinq ans et mener campagne bien avant son lancement officiel en janvier dernier.
Ambition
Longtemps archi-favori, ce père de quatre enfants, catholique pratiquant d'ascendance lyonnaise mais qui a grandi dans le cocon de Neuilly-sur-Seine, où il réside toujours, a dû faire face dans la dernière ligne droite à la remontée de l'outsider Alexandre Saubot, lui aussi ancien pilier du Medef en tant que président de l'Union des industries et de la métallurgie (UIMM) et négociateur social du patronat. En bon sportif - il pratique assidûment le triathlon -, GRB a d'ailleurs rendu un hommage appuyé à son adversaire, lui proposant de rejoindre le conseil exécutif du mouvement, ce que ce dernier a immédiatement accepté. «Ce que je veux célébrer avec vous, ça n'est pas la victoire d'un camp contre l'autre, c'est la victoire du rassemblement, a déclaré le vainqueur. Le Medef que je vais présider, c'est un Medef qui joue collectif.» Il dit vouloir mettre fin aux «oppositions inutiles» qui traversent ce mouvement de 123 200 entreprises adhérentes : celle des fédérations contre les territoires, des start-up face aux PME et ETI (entreprises de taille intermédiaire), des structures issues de villes moyennes versus celles des métropoles ou encore l'industrie contre les services…
Pendant sa campagne, ce libéral pur jus, ancien sarkozyste puis filloniste avant de se rallier à Emmanuel Macron, a affiché l'ambition d'incarner un patronat «moderne», capable de «renouveler» l'organisation patronale, dont l'image est peu flatteuse dans l'opinion publique. D'où son insistance à mettre en avant des sujets bien dans l'air du temps, comme la transformation numérique des entreprises, «la réconciliation du capital et du travail» ou encore la parité. Son premier geste de président du Medef a d'ailleurs été de nommer cinq femmes sur les dix nouvelles personnalités au conseil exécutif, parmi lesquelles Dominique Carlac'h, la seule femme candidate à la présidence du Medef qui avait ensuite rallié GRB.
Experts
Se présentant comme un «porte-parole» des patrons plutôt que comme leur chef, ce diplômé de l'Essec (passé par les commandos de marine avant de débuter sa carrière chez L'Oréal) veut incarner un Medef «de propositions et d'anticipations» après celui de «combat» des années Gattaz. Ce dernier avait pourtant obtenu gain de cause auprès du gouvernement de François Hollande avec la mise en place du CICE et d'une politique de l'offre très «pro-entreprises» (jamais vue sous une majorité de gauche en France). Mardi, lors du point de presse très décontracté qui a suivi son élection, il a jugé que «la grande question» était «celle des emplois, des compétences. La paupérisation des emplois, la destruction-création des emplois» provoquée par les mutations technologiques en cours : «Pour moi c'est le sujet numéro 1 auquel le Medef doit réfléchir.»
Après avoir concédé qu'il n'était pas «un grand fan» des sommets sociaux et préférait les rencontres entre partenaires sociaux assistés d'experts pour tenter de «tirer des diagnostics communs», comme sur l'évolution des contrats de travail - «la voie est étroite», a-t-il reconnu -, le nouveau patron des patrons a précisé sa philosophie du paritarisme qu'il veut «clarifier» : «Soit on peut négocier sans contrainte, et dans ce cas le Medef a toute sa place, soit les règles sont fixées à l'avance par l'Etat et dans ce cas, il vaut mieux le laisser faire.» Autrement dit, si le Medef ne quittera pas les organismes paritaires dans lesquels il siège, comme l'Unedic (assurance chômage), sa participation (ou pas) aux négociations dépendra de la marge de manœuvre qui sera laissée aux partenaires sociaux.
«Marges»
Parmi les autres sujets balayés, GRB a indiqué vouloir «monter des coopérations avec les patronats européens» afin de faire converger les positions en agissant par «cercles concentriques» avec le patronat italien ou encore allemand. Il doit d'ailleurs rencontrer dès jeudi des représentants de la Confindustria italienne.
Avant d'aller célébrer sa victoire dans les salons de la Mutualité avec ses soutiens, GRB, qui ne savait pas, il y a quelques jours donner le montant exact du smic - il l'avait estimé sur RTL à «1 280 euros net, quelque chose comme ça», soit 110 euros de plus que son montant actuel - a prévenu qu'il ne serait pas possible de le revaloriser de 20 % comme la présidente de la région Ile-de-France, Valérie Pécresse, l'a récemment suggéré. «Je sais que c'est très compliqué de vivre avec un tel revenu, surtout à Paris et dans les grandes villes, a-t-il dit, mais les entreprises ne pourraient pas le supporter, elles viennent tout juste de commencer à reconstituer leurs marges.» GRB n'aura pas mis longtemps à se fondre dans ses nouveaux habits de premier patron de France.