«On a cherché dans les archives de la nation, on n'a pas vu beaucoup de Premiers ministres s'exprimer sur la biodiversité», se réjouissait mercredi un conseiller de Nicolas Hulot, avant la présentation, au Muséum national d'histoire naturelle, du contenu du plan biodiversité du gouvernement. Tel un nouveau converti à la cause, qui évoque ces derniers temps sa passion pour «l'effondrement» des sociétés, Edouard Philippe, entouré de plusieurs ministres, a parlé «d'urgence», rappelé que le nombre d'oiseaux dans les campagnes françaises avait baissé d'un tiers en quinze ans et tweeté que «sur la planète, une espèce disparaît toutes les vingt minutes, soit mille fois plus fréquemment que la normale». «Pour la première fois en France» était organisé un comité interministériel pour la biodiversité (CIB), réunissant la plupart des ministres ou leurs représentants. Histoire de mieux marquer la volonté affichée d'élever la protection des écosystèmes et des espèces, vitale pour l'avenir de l'humanité, au rang de «priorité gouvernementale», devant être «mise au cœur de toutes les politiques publiques». Signe d'un «changement d'époque», d'une «mobilisation sans précédent», dixit l'exécutif.
Vraiment ? Les 90 mesures du plan sont plus incitatives que contraignantes. Beaucoup reposeront sur la bonne volonté des collectivités, entreprises ou particuliers. Et elles n'ont rien de révolutionnaire. Elles marquent avant tout «la volonté de mettre en œuvre le Grenelle de l'environnement [de l'ère Sarkozy, ndlr] et la loi biodiversité de 2016», estime Allain Bougrain-Dubourg, président de la Ligue pour la protection des oiseaux. L'écologiste remarque au passage que le texte «ne comporte pas un mot sur les espèces agonisantes qui sont encore chassées en France» et rappelle, entre autres incohérences, que Paris s'est opposé mi-mai à la proposition de la Commission européenne d'un moratoire visant à suspendre la chasse à la tourterelle des bois dont la population a chuté de 80 % en trente ans. S'il se réjouit «d'une démarche qui va jusqu'à intégrer la biodiversité dans la Constitution», il regrette que le plan n'ait «pas l'ambition du plan climat auquel il devait s'apparenter». Et de pointer, surtout, un manque de moyens.
L'exécutif prévoit de «mobiliser 600 millions d'euros de crédits d'Etat supplémentaires sur les quatre prochaines années» et d'identifier «les subventions dommageables à la biodiversité, dans l'optique de les réduire». Le patron de WWF France, Pascal Canfin, estime lui aussi que le compte n'y est pas. Responsable de la biodiversité à France Nature Environnement, Jean-David Abel relève, lui, qu'une partie des sommes allouées dans le cadre du plan seront prises sur les budgets des agences de l'eau ou ont déjà été annoncées. Pour l'avocat Arnaud Gossement, qui souligne que «bien des mesures de ce plan procèdent de règles européennes existantes ou à venir», pour lutter efficacement contre l'artificialisation des sols, entre autres, «il va falloir en passer par la fiscalité». Rien de tel dans le plan…
Artificialisation des sols : rien de très neuf sous le béton
Chaque année, 66 000 hectares d’espaces naturels et agricoles sont grignotés par l’urbanisation et les grandes infrastructures. Tous les dix ans, l’équivalent d’un département comme la Loire-Atlantique est englouti sous le béton, entraînant imperméabilisation des sols, risques d’inondations accrus et effondrement de la biodiversité. Comme tous les textes qui se succèdent depuis vingt ans sur le sujet, la loi SRU de 2000, qui prévoyait déjà de limiter l’étalement urbain, n’a pas permis d’endiguer la prolifération de zones commerciales en périphérie, au détriment des centres-villes.
Le plan du gouvernement veut «inverser la tendance», faire comprendre que les sols sont une ressource finie et «ménager plutôt qu'aménager» le territoire. Il prévoit d'inscrire dans le projet de loi Elan (sur le logement) l'obligation pour les collectivités de lutter contre l'étalement urbain, les préfets devant «vérifier systématiquement» l'application de ces mesures. Ils pourront aussi suspendre les autorisations commerciales à l'extérieur des centres-villes à redynamiser. Quand un nouveau parking sera construit, sa surface devra être perméable.
L'exécutif estime qu'«on ne changera pas d'échelle sur le sujet tant qu'on n'aura pas d'objectifs chiffrés», mais il n'entend pas les définir seul : il veut le faire notamment avec les collectivités. Il a ainsi lancé une concertation pour fixer l'horizon auquel il veut parvenir à l'objectif de «zéro artificialisation nette des sols», l'idée étant qu'on aura toujours besoin de construire, surtout des logements, mais qu'il faudra compenser en rendant à la nature des surfaces équivalentes. Rien de très neuf en fait puisque «l'objectif d'absence de perte nette, voire de gain de biodiversité, est déjà inscrit dans le code de l'environnement», rappelle l'avocat Arnaud Gossement.
Et l'exécutif, au nom de la «responsabilisation des élus locaux», se garde de mettre son veto aux «grands projets totémiques», tel le méga-complexe EuropaCity, près de Paris. Mi-mai, l'Etat a même fait appel de la décision de justice qui retoquait le projet. Et Nicolas Hulot a autorisé le Grand Contournement Ouest (GCO) de Strasbourg, projet autoroutier destructeur de biodiversité, malgré les avis négatifs de l'enquête publique et du Conseil national de protection de la nature.
«Zéro plastique» : adieu Pailles, touillettes, cotons-tiges
«Objectif zéro plastique rejeté dans les océans en 2025», martèle le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot. Le sujet est l'un des points phares de son plan pour la biodiversité : «On estime qu'entre 5 et 13 millions de tonnes de plastique rejoignent chaque année les océans», souligne-t-on à Matignon.
La lutte contre les plastiques non biodégradables s'ouvrira par l'interdiction de la vente et de la distribution de pailles en plastique à partir du 1er janvier 2020. Un projet récemment voté au Sénat, alors que des amendements en ce sens avaient été rejetés à l'Assemblée nationale.
Dans le collimateur du gouvernement, 12 plastiques et emballages à usage unique connaîtront le même sort que les pailles. Parmi eux : les cotons-tiges, les touillettes et autres vaisselles jetables.
Rien de nouveau, toutefois, puisque «la Commission européenne a présenté il y a un mois un projet de texte pour lutter contre les plastiques à usage unique. C'est ce qu'on retrouve aujourd'hui dans la communication du gouvernement», rappelle Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement. La Commission européenne précisait alors que «tous ces articles devront désormais être produits uniquement à partir de matériaux plus durables».
Le gouvernement tente malgré tout d’avancer ses pions et d’innover. Notamment avec le développement de consignes solidaires afin que l’argent récolté via le recyclage soit réinvesti directement en faveur de la biodiversité. Les collectivités se verront également dotées de pouvoirs accrus pour lutter contre les décharges sauvages, avec un renchérissement des amendes. La pollution aux microparticules devra, elle, être limitée par l’installation de filtres de récupération des plastiques dans les sites industriels. Quant aux filets de pêche, qui représentent près d’un tiers des déchets plastiques échoués sur les plages d’Europe, ils devront désormais être recyclés.
Mais les ONG environnementales restent sur leur faim. L'objectif zéro plastique d'ici 2025, «honnêtement, personne n'y croit», souffle-t-on par exemple à la Ligue pour la protection des oiseaux.
Réserves naturelles : des créations et des extensions
«Il faut que tu respires», chantait Mickey 3D. «Il faut que la nature respire», tel est en substance le refrain entonné par Nicolas Hulot. Car pour l'ancien activiste, la préservation de la biodiversité passe par des espaces conséquents dans lesquels elle peut s'épanouir. C'est pourquoi le ministre de la Transition écologique a annoncé, fièrement, la création d'un 11e parc national à l'horizon 2019. Il sera situé à la limite de la Champagne et de la Bourgogne et consacré exclusivement aux forêts : «Le premier [parc] de ce type», se félicite Nicolas Hulot, alors que la France n'a pas ouvert de nouvelles réserves naturelles depuis 2012 et le parc des Calanques (Bouches-du-Rhône). Une idée pas si neuve pourtant, puisqu'elle avait été lancée dès 2008, à l'occasion du Grenelle de l'environnement.
Mais le gouvernement n’en reste pas là. S’ensuivront la création et l’extension d’une vingtaine de réserves naturelles d’ici à 2021. Si les sites n’ont pas encore été identifiés, le ministère de la Transition écologique affirme qu’ils le seront en concertation avec les acteurs locaux - comme c’est la norme depuis 2006.
Dans ces nouveaux espaces classés, la chasse restera toutefois autorisée, a pris soin de rassurer l’équipe ministérielle. Seules certaines espèces bénéficieront d’une restriction, à l’instar de leurs homologues marins menacés d’extinction. Elles feront l’objet d’une attention particulière.
Les cétacés, placés en haut de la chaîne alimentaire, sont aussi au sommet de la liste des espèces menacées. Quand ils ne s’échouent pas en masse sur les plages, ou ne sont pas capturés, même accidentellement, dans les filets de pêche, la pollution sonore des bateaux les met en péril. Autant de fronts sur lesquels Nicolas Hulot dit vouloir agir. Le ministre entend aussi poursuivre la volonté française d’élargir le parc des réserves naturelles marines, notamment en Antarctique. Un projet qui date, lui, de 2016.
Et aussi… Les agriculteurs incités, Les assos oubliées
Dans la veine du «encourager plutôt que contraindre», le plan prévoit de rémunérer les agriculteurs pour leurs actions de protection de la biodiversité (préserver les prairies et les mares, restaurer les haies, couvrir les sols…), à hauteur de 150 millions d'euros d'ici à 2021, avec l'ambition d'inclure ce «paiement pour services rendus» à l'environnement et à l'agriculture (pollinisation, lutte contre l'érosion des sols, protection contre les ravageurs…) dans la prochaine PAC. «Au-delà du travail de réduction des pesticides déjà enclenché», il prévoit un programme de recherches sur les alternatives à ces substances chimiques, doté de 30 millions d'euros, et une hausse de 50 millions par an de la redevance sur les pollutions diffuses (contamination de l'eau par les pesticides) pour financer l'agriculture bio. Le gouvernement veut également «mettre la biodiversité au cœur de la stratégie des entreprises» et leur fournir «des outils pour s'approvisionner en matières premières non issues de la déforestation» - de quoi aider Total à se passer d'huile de palme dans sa raffinerie de La Mède ? Il s'agit aussi de définir un indicateur pour mesurer leur impact sur la biodiversité, comparable à la tonne de carbone pour l'impact climatique.
Autre axe, l'éducation à l'environnement, en particulier pour les enfants («séjours nature» au collège et kit pédagogique pour les écoles dès 2019). «J'en parlais déjà avec la ministre de l'Education de Hollande», soupire Allain Bougrain-Dubourg, de la Ligue pour la protection des oiseaux, qui regrette qu'il n'y ait «pas une ligne sur les associations de protection de la nature, qui fournissent pourtant des centaines de milliers de données aux scientifiques». L'exécutif, qui veut «mettre les outils du numérique au service de la nature», privilégie le développement d'applications permettant à chacun d'identifier les espèces du quotidien et veut «créer un Pokémon Go de la biodiversité ordinaire».