Les tags à la mémoire du «Loup» ont fleuri mercredi sur les murs du Breil-Malville. Surnommé ainsi en raison de son caractère «solitaire», Aboubakar F. a été touché à la carotide par un coup de feu policier, mardi dans la nuit, alors qu'il faisait l'objet d'un contrôle d'identité au volant de sa voiture dans ce quartier de Nantes. L'homme de 22 ans avait entamé une marche arrière, qui aurait inquiété les fonctionnaires, selon leur récit. Il faisait l'objet de recherches dans le cadre d'un mandat d'arrêt pour «vol en bande organisée», «association de malfaiteurs» et «recel». Il est finalement mort à l'hôpital, selon la préfecture.
Les heures qui ont suivi ont été émaillées de violences urbaines dans le quartier voisin des Dervallières, où la mairie annexe et un centre commercial ont été incendiés, mais aussi dans celui de Malakoff. Une trentaine de voitures ont brûlé, selon la préfète, Nicole Klein. Après cet «événement dramatique», elle a eu «une pensée» pour la victime et sa famille, tout en tenant à «rendre hommage aux forces de l'ordre et aux secours […] fortement mobilisés». L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie par le parquet de Nantes. «Il appartient désormais à la justice de faire toute la lumière, en toute indépendance, sur cet événement», a souligné la préfète. Pierre Sennès, le procureur de la République de Nantes, s'est, lui, exprimé en début de soirée. Il a assuré que plusieurs auditions étaient en cours pour déterminer les circonstances du drame et qu'un témoignage «utile» avait été recueilli. Sur le fond, il a surtout confirmé que la victime avait reculé «à vive allure» lors du contrôle. Le procureur a aussi appelé au calme, assurant que la famille du jeune homme tué s'y associe.
Dans la journée, à la Maison de quartier, chacun s'arrête de parler pour écouter le dernier flash de BFMTV. «Cela fait plus de six mois qu'il y a des fusillades [ici], mais il n'y a jamais eu de mort… Là, ce sont les policiers qui viennent et ce sont eux qui nous tuent», s'énerve un trentenaire. «Ils avaient des alternatives : tirer dans les pneus, prendre un taser…» Surtout que «le Loup» était, de l'avis de tous, «une crème». Ce type«très intelligent» était venu vivre chez sa tante il y a deux ans. «Il était super respectueux», décrit Saïd En Emer, 32 ans, le président du club de foot du quartier où jouait Aboubakar F. «Il rigolait avec tout le monde. Je le considérais comme mon petit frère, confirme Christian, 36 ans, un "grand" du quartier. C'était quelqu'un de non-violent. Il n'était pas dans les conflits de quartier : il était plus dans la médiation qu'autre chose.» Mercredi, des habitants du Breil ont cherché à collecter des vidéos amateurs pour contredire la version des policiers. «On a l'impression qu'il n'y a qu'une seule version qui passe en boucle, qu'il y a une envie d'étouffer toute voix discordante», déplore Saïd En Emer. «Tous les témoignages qu'on a collectés vont dans le même sens, qu'ils viennent d'enfants, de jeunes du quartier ou de mères de famille : il avait obtempéré au contrôle de papiers, qui durait depuis une vingtaine de minutes et se passait relativement bien.» La «rapidité» de l'intervention des secours, mise en avant par les autorités, est aussi mise en doute. «Pendant une demi-heure, il n'y avait que des CRS. Ils ont préféré appeler leurs collègues plutôt qu'une ambulance», s'énerve Ada, un jeune du quartier. «Il y a juste eu une policière qui lui a fait un point de compression.»
Ce fait divers tragique vient illustrer la problématique de l'ouverture du feu par les policiers dans le cadre de contrôles routiers - au cœur d'un récent rapport de l'IGPN. En 2017, la police des polices a constaté 394 situations où des agents avaient utilisé leur arme de poing, soit une hausse de 54 % par rapport à 2016. Sa directrice, Marie-France Monéger-Guyomarc'h, expliquait que la tendance était due aux tentatives de fuite : «Avant, les automobilistes s'arrêtaient, aujourd'hui ils ne s'arrêtent plus. Ces refus d'obtempérer se traduisent par des manœuvres dangereuses.» Selon l'IGPN, la légitime défense a été retenue pour la quasi-totalité des tirs.