Députée LREM de la Somme venue de l'écologie, Barbara Pompili a piloté les investigations de la Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaire, qui a rendu son rapport jeudi matin. Un pavé de 197 pages qui appelle à un véritable «contrôle démocratique» du complexe nucléaire hexagonal et vient ébranler le «faites-nous confiance» opposé aux lanceurs d'alerte qui s'inquiètent d'un possible attentat terroriste visant l'un des 58 réacteurs français. La Commission avance 33 propositions, qui vont du renforcement des pouvoirs de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au floutage des centrales nucléaires sur Google Earth, en passant par la fermeture des réacteurs vieillissants et l'entreposage des combustibles à sec plutôt qu'en piscine… Libération a demandé à Barbara Pompili de raconter les coulisses de cette commission d'enquête.
Le Premier ministre Edouard Philippe est un ancien d’Areva… En créant cette commission, vouliez-vous exercer un contre-pouvoir face à un lobby nucléaire présent à tous les étages de l’Etat ?
Jamais je n'ai eu le moindre message de Matignon ou de l'Elysée pour me dire «cette commission, il ne faut pas la faire». Mes opinions sur l'atome sont connues, mais je ne voulais pas que l'on dise «c'est la commission anti-nucléaire». Cette commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité nucléaire a été créée à la suite d'un vote de la majorité dans l'hémicycle, envers et contre le groupe Les Républicains qui s'est opposé à sa création au prétexte que nous voulions «remettre en cause la filière nucléaire». J'ai réussi à convaincre mon groupe – et on ne peut pas dire que LREM soit massivement anti-nucléaire – parce qu'il y a eu les alertes de Greenpeace sur le risque terroriste, la question de la prolongation de la durée de vie des centrales et le contexte de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), qui doit déterminer le nombre de réacteurs à fermer pour arriver à l'objectif de 50% de nucléaire en 2030 ou 2035. Que l'on soit pour ou contre le nucléaire, on a tous collectivement intérêt à ce que la sûreté et la sécurité des centrales soient assurées pour éviter l'impensable : une catastrophe type Tchernobyl ou Fukushima.
Lors de vos travaux d’enquête, votre commission s’est-elle heurtée à des refus d’accès à des documents sensibles ?
Ce qu'on n'a pas pu voir, c'est le plan des piscines des réacteurs d'EDF classés secret-défense. En revanche, Orano [anciennement Areva, ndlr] nous a donné toutes les infos pour ses piscines de La Hague car, étrangement, elles ne sont pas classifiées. Le problème, aujourd'hui, c'est que l'exploitant est celui qui décide de ce qu'il met sous le sceau du secret ou pas. Greenpeace nous a alertés sur la vulnérabilité des centrales, l'épaisseur des murs, les transports de combustible… On nous répond que des tests ont été faits, on nous montre quelques photos et c'est «circulez, il n'y a rien à voir» : impossible de voir ces tests ! On nous a opposé beaucoup de refus sur le thème «vous n'êtes pas habilités à avoir ces infos-là». Nous avons auditionné à huis clos la haute fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) du ministère de l'Energie. Elle était embêtée, elle a essayé de nous donner le maximum de ce qu'elle pouvait nous donner dans les limites du secret-défense. Qu'on ne mette pas ces données en libre-service, je comprends, mais que des élus de la Nation ne puissent pas vérifier les infos et leurs doutes, cela pose problème.
Que faire pour percer ce mur du secret-défense ?
Nous proposons de créer une délégation parlementaire au nucléaire civil, dont les membres auraient accès aux informations classifiées avec l’habilitation idoine. Cédric Villani, qui est le premier vice-président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, s’est lui aussi heurté au problème. Il soutient notre initiative.
Les auditions menées par votre commission ont donné lieu à des échanges musclés, certains parlent de véritables interrogatoires de police…
On n’est pas là pour écouter religieusement un discours de com bien rodé ou de la propagande. On est face à des gens qui maîtrisent très bien leur sujet, donc forcément, on n’est pas au même niveau d’information. Alors on bosse pour être outillés et on ne pose pas que des questions qui font plaisir. Quand on a auditionné des dirigeants de la filière nucléaire, on a dû leur rappeler qu’ils déposaient sous serment pour avoir des réponses à nos questions. Cela a fait bouger des choses, ne serait-ce que sur la transmission d’infos. Je ne suis pas certaine qu’ils étaient très heureux que nous enquêtions, mais ils ont plutôt joué le jeu. Le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, est venu devant les parlementaires – de toute façon, il n’avait pas le choix. Et il nous a ouvert la porte de ses centrales, tout comme Orano nous a ouvert celles de La Hague.
Les députés ont-ils un pouvoir de contrôle suffisant ?
Pour moi, la commission d’enquête est l’un des outils les plus puissants dont disposent les parlementaires, quand on s’en saisit vraiment, on a beaucoup de pouvoirs. On peut auditionner qui on veut, les gens sont obligés de venir et ils déposent sous serment. Ceux qui refusent de venir devant les députés, on peut aller les chercher chez eux en ayant recours à la force publique… En fait, nous avons presque les mêmes pouvoirs que les juges d’instruction. Quelqu’un qui ment sous serment est passible de poursuites pénales.
Avez-vous pu voir ce que vous vouliez sur les sites nucléaires français ?
Globalement, il a fallu se bagarrer pour tout, pour avoir des auditions publiques et des visites de sites ouvertes à la presse dans un souci de transparence. Le nucléaire n’a vraiment pas cette culture : moins ils en disent, mieux c’est. Mais au final, on a pu faire notre travail. La commission d’enquête s’est déplacée sur six sites nucléaires en France : les centrales de Flamanville, Gravelines et du Tricastin ; l’usine de retraitement de La Hague ; le centre de stockage de l’Aube ; et enfin Cigéo, le futur site de stockage des déchets les plus radioactifs à Bure. Nous sommes même allés à Fukushima, au Japon, un voyage au cœur des conséquences d’un accident nucléaire grave qui a marqué tous les députés présents.
A quoi va servir votre rapport ? Ne craignez-vous pas qu’il finisse sur une étagère ?
Certains verraient d’un bon œil que notre rapport soit enterré. Maintenant, à nous de le faire vivre, en demandant des suites aux ministres concernés, en déposant des propositions de loi. Un rapport d’enquête qui n’a pas de suite, c’est une perte de temps pour tout le monde. La question de la sûreté et de la sécurité nucléaire est un sujet d’intérêt et de sécurité nationale. Aussi, il serait souhaitable que nous puissions auditionner les ministres concernés à qui nous avons remis le rapport, pour voir comment avancer et changer les choses.