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Récit

Jean-Louis Borloo à Chanteloup : «Je ne peux que jouer l'optimiste»

Après l'enterrement de son plan banlieues par Emmanuel Macron, l'ancien ministre fait mine de toujours y croire. Il était en déplacement dans les Yvelines jeudi.
Jean-Louis Borloo à Chanteloup-les-Vignes, le 5 juillet. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 6 juillet 2018 à 8h26

Pour être là, Jean-Louis Borloo a dû laisser son petit-fils en Provence après une virée estivale en tête-à-tête mais il ne le regrette pas. A Chanteloup-les-Vignes, dans les Yvelines, jeudi, l’ancien ministre de la Ville est parmi les siens, ces élus de banlieue désemparés par les débuts du macronisme ayant tout misé sur ce messie laïc, mélange de Moïse et de Bernard Tapie, dans l’espoir qu’il dessille enfin les yeux du président sur la réalité de leurs quartiers populaires.

Sous le chapiteau en bois tout neuf du Centre des arts du cirque, on le salue donc et on dit beaucoup «merci pour tout Jean-Louis», comme autant d'hommages à un grand blessé. «Borloo n'était pas mort mais il est ressuscité», plaisante Pierre Bédier, le patron (LR) des Yvelines qui ne lâche pas son hôte d'une semelle pendant la cérémonie de signature d'un «plan d'amorce de rénovation urbaine» piloté par le département. Soit une manière de contourner les lenteurs de l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) qui n'est pas pour déplaire à l'invité du jour. «En marche ne vient pas alors nous, nous mettons la rénovation en marche», plastronne Bédier.

Il y a six semaines, après être allé le chercher en personne, Emmanuel Macron a enterré sept mois de travaux collectifs contenus dans les 19 plans «pour une réconciliation nationale» de Jean-Louis Borloo. Tournant le dos à une politique «venue d'en haut» dans les banlieues pour se faire le chantre des réussites individuelles. Des premiers de cordée pour les quartiers. Le coup a été rude pour tout le monde. «Je ne digère pas d'avoir été niée», glisse Catherine Arenou, la maire LR de Chanteloup-les-Vignes. Comme elle, Jean-Louis Borloo ne sait toujours pas quelle foudre l'a frappé. Revanche du jeunot, décalage horaire, duplicité irrationnelle, influence de la «camarilla présidentielle» : il a tout envisagé pour tenter de comprendre l'attitude d'Emmanuel Macron. «Deux mois avant, il me dit "j'achète tout, la philosophie, les mesures. En bloc et en détail". Tout a été validé, raconte l'ancien avocat d'affaires en aparté. Il s'est passé un truc, je ne sais pas quoi. La veille on se parle, le matin il dit tout ça». Malgré tous les signaux négatifs envoyés par le gouvernement - report du plan pauvreté, du plan hôpital, nouvelles suppressions d'emplois aidés, entourloupe supplémentaire sur les APL - il veut croire que tout ça n'est qu'un «bug». Depuis fin mai, il n'a eu  aucun contact avec le chef de l'Etat mais à l'entendre, certains membres de la majorité et non des moindres - «Edouard (Philippe), Ferrand, Collomb» – n'ont rien compris non plus à la séquence, pensant le chef de l'Etat sur le point de toper avec Borloo. Jeudi soir, après Chanteloup, Borloo (re)discutera de tout ça avec Bruno Lemaire avec qui il avait rendez-vous pour l'apéro.

«Petite alerte»

Après une période d'abstinence d'un gros mois – «il avait besoin de souffler, de comprendre. il n'était pas bien», confie un de ses proches – le père de la rénovation urbaine a fait un retour médiatique fracassant la semaine dernière lors d'un débat dans son ancienne mairie de Valenciennes. Où il discourait sur une «vision dangereuse et inefficace du monde», une certaine élite qui aurait «décidé d'arbitrer pour permettre à ceux qui courent le plus vite de courir de plus en plus vite» et sur des nouilles qui quittaient le gratin. Pas totalement limpide – les envolées lyriques et les phrases laissées en suspens font partie du bonhomme – mais assez transparent pour qu'on y voit une attaque en règle contre l'Elysée. Tête-à-queue de l'intéressé vu l'inflation d'invectives venues de la majorité : il parlait de l'Afrique et non de Macron. On avait mal compris.

A la tribune jeudi, il en «appelle une nouvelle fois à l'union nationale». Rangé dans la catégorie «mâle blanc» par Emmanuel Macron le 22 mai, Borloo évoque un «malentendu, sans jeu de mots» avec le sommet de l'Etat. L'ancien ministre de la Cohésion sociale reprend son credo contre «les élites» et reconnaît enfin qu'il a voulu lancer une «petite alerte» il y a huit jours. Cette fois, c'est bien de la France dont il est question. Pour lui, «il y a une certaine élite française qui n'a pas le même regard que les élus de banlieue». Sous l'évidence pointe le procès en technocratie et en déconnexion de l'exécutif. L'actuel mais pas que. «Moi c'est Valenciennes qui m'a forgé, pas Janson-de-Sailly [le lycée parisien huppé où il a étudié, ndlr]», insiste Borloo. Cette fois, c'est Emmanuel Macron, arrivé à l'Elysée sans passer par la case élection et gestion locales, qui appréciera.

Vigie, lanceur d'alerte, vieux sage, paratonnerre, doudou, sherpa, meneur d'hommes : difficile de dire quel rôle Jean-Louis Borloo ambitionne vraiment de tenir depuis fin mai. «Je ne suis pas un soutien, je suis un citoyen. Ce n'est pas lui [le Président] mon problème, ce sont eux», insiste-t-il une fois redescendu de l'estrade, en désignant d'un large geste les élus alentours avant de verser dans la prophétie autoréalisatrice : «Il y a eu un petit retard à l'allumage, je suis sûr que ça va s'arranger. De toute façon, je ne peux que jouer l'optimisme.» A Chanteloup, la municipalité s'apprête à inaugurer un Espace Borloo, avec fresque de trente mètres et portrait de l'intéressé en rouge, jaune et blanc. Avant de repartir, seul, au volant de sa petite voiture, Borloo biche en découvrant le plan du projet mais ce serait indécent de l'avouer : «C'est dingue ce que j'ai une sale gueule.»