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Libération
Reportage

Social : «Que ce soit le Cercle des économistes qui rappelle l’exécutif à l’ordre, c’est risible !»

A Aix-en-Provence, les économistes libéraux, globalement satisfaits de la politique macroniste, ont débattu ce week-end sur les «Métamorphoses du monde» avec certains membres du gouvernement.
Aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, samedi, en présence du Premier ministre, Edouard Philippe. Etaient aussi présents pour le gouvernement Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie et des Finances, et Muriel Pénicaud, la ministre du Travail. (Photos Patrick Gherdoussi. Divergence)
par Stéphanie Harounyan, spéciale à Aix-en-Provence
publié le 8 juillet 2018 à 20h46

Le tapis rouge a été déroulé à l'entrée de l'université d'Aix-en-Provence. Ce week-end, le prestigieux Cercle des économistes a reçu tout le gratin gouvernemental - à commencer par le Premier ministre, Edouard Philippe - rehaussé de quelques invités de renom, de Christine Lagarde, la présidente du Fonds monétaire international, au président de l'Olympique de Marseille, Jacques-Henri Eyraud. Du beau monde venu débattre des «Métamorphoses du monde», thème choisi pour la 18e édition de ces Rencontres.

Au-delà des figures imposées, ce rendez-vous est surtout l'occasion, pour les représentants du gouvernement, de tester leur popularité auprès de ceux qui, durant la campagne, ont affiché pour la plupart un soutien au candidat Macron. Un an plus tard, et à la veille du Congrès de Versailles, ce public est-il toujours acquis au président de la République ? La divulgation, début juin par le Monde, d'une note confidentielle adressée à l'Elysée et signée par trois économistes de renom (Philippe Aghion, Philippe Martin et Jean Pisani-Ferry) qui y expriment leurs réserves, notamment sur le volet social des réformes qui se fait attendre, apportait une touche de suspense à l'exercice.

Avant Muriel Pénicaud (Travail) et Bruno Le Maire (Economie et Finances), c'est Edouard Philippe qui a ouvert le bal samedi matin à la tribune. Appelé à réfléchir sur «le monde qui vient», le Premier Ministre a surtout insisté sur la nécessité de garder le cap des réformes entreprises depuis un an. «Dans ce monde qui est marqué à son commencement par la colère, ce qui paye in fine, c'est la ténacité», a martelé le chef du gouvernement, dressant le portrait d'une France où, «depuis très longtemps, il y a une forme de renoncement à prendre des décisions parfois difficiles à assumer, à expliquer». Une façon de concéder, en sous-texte, que si son gouvernement a péché ces derniers mois, c'est peut-être sur ce terrain.

«Part d'autocritique». «Vous devez expliquer, expliquer et expliquer, et quand vous avez terminé, vous pouvez commencer à expliquer. C'est ça, la démocratie», a-t-il notamment répondu à un étudiant qui le questionnait sur la perception de son action par l'opinion. Une concession mineure qui a suffi à rassurer un auditoire qui se contente de peu. «Son insistance à en parler me fait penser que pour les prochaines réformes, il y a une volonté d'être plus à l'écoute de la société civile, souligne ainsi Christian de Boissieu, professeur à Paris-I et vice-président du Cercle des économistes. Il y a peut-être une part d'autocritique sur ce qui s'est fait jusqu'à présent.» Et de pointer notamment la séquence «réforme de la SNCF» comme exemple à ne plus reproduire : «Si ça n'a pas bien fonctionné, c'est un peu la faute de tout le monde. Il faut améliorer la capacité d'écoute réciproque. Et expliquer : aujourd'hui, on parle plus du comment [faire une réforme] que du pourquoi.»

Enthousiasme retrouvé. Car chez les experts réunis à Aix, sur le terrain du «pourquoi», la confiance semble toujours régner. Il suffit juste d'expliquer. «Les économistes sont globalement favorables à ce qui se passe, confirme le vice-président du Cercle. Ça faisait longtemps qu'on attendait qu'il se passe quelque chose. Mais si la direction générale est la bonne, le diable peut être dans les détails. Y compris dans l'absence de débat démocratique.»

Outre le déficit pédagogique du gouvernement, les économistes pointent aussi le flou du calendrier des réformes, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre du volet social de l'action gouvernementale. «C'est quand même risible que ce soient les membres du Cercle des économistes, que l'on ne peut pas accuser de gauchisme, qui soient obligés de rappeler le gouvernement à l'ordre sur le sujet !» raillait samedi un professeur d'économie aixois entre deux débats. La fameuse note confidentielle adressée à l'Elysée a visiblement marqué les esprits…

Mais Philippe Aghion, professeur au Collège de France - qui est pourtant l'un des signataires de ce document - tient à relativiser : «Il faut garder le sens de l'histoire, il y a des choses à améliorer mais beaucoup a déjà été fait, défend aujourd'hui l'économiste. Il faut juste expliquer où on va, rappeler que notre modèle, c'est le social-libéralisme des Scandinaves.» Et de souligner son enthousiasme retrouvé en se lançant dans un pari : «Vous allez voir, la mobilité sociale va s'améliorer significativement, prédit l'économiste. Je prends rendez-vous dans deux ans, et vous verrez. France is back !» A Aix-en-Provence, le macronisme a toujours ses soutiens.