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Mythe

Avenue des Champs-Elysées, entre ferveur populaire et tentation du luxe

Artère de toutes les émotions populaires, surfréquentée, pièce emblématique du patrimoine national, la «plus belle avenue du monde» migre vers le luxe. En restant un rien canaille.
Les Champs-Elysées après la victoire de l'équipe de France contre la Belgique en demi-finale de la Coupe du monde, mardi. (Photo Corentin Fohlen pour Libération)
publié le 12 juillet 2018 à 16h40

Dimanche soir, si la France devient championne du monde de foot, la foule envahira les Champs-Elysées en criant sa joie, généralement bien arrosée. Dans les têtes, la question de savoir pourquoi on se rassemble à cet endroit ne se posera même pas : dans ces moments de ferveur, les Champs s’imposent comme une évidence. Ils sont le réceptacle des ferveurs du peuple dans lesquelles on peut, si on a les idées larges, inclure le défilé militaire du 14 Juillet.

Ces deux événements donnent aux Champs-Elysées une identité à peu près claire, celle d'une artère populaire alors que la Terre entière, elle, s'accroche à l'idée qu'il s'agit bien là de «la plus belle avenue du monde», tandis que l'arrivée d'enseignes du luxe a pu faire croire à une évolution vers le haut de gamme. Le vrai talent de l'avenue des Champs-Elysées, c'est qu'elle est tout cela à la fois. L'histoire de son image est marquée par des hauts et des bas. Le commerce reste le meilleur baromètre pour les mesurer.

Depuis quelque temps, l'arrivée de grands noms du luxe tire la cote à la hausse. Du moins, dans l'estime des investisseurs. «C'est un axe qui a vu l'an dernier le mètre carré atteindre 20 000 euros de loyer annuel. Des valeurs jamais atteintes», constate le directeur exécutif retail France chez CBRE Jérôme Le Grelle. Cartier, Montblanc, Ladurée, Pierre Hermé et évidemment Louis Vuitton ont fait monter l'artère en gamme. Même si la légende veut que Bernard Arnault, propriétaire du groupe LVMH et donc de Vuitton, ait voulu dans un premier temps que l'adresse officielle de son magasin, à l'angle de l'avenue George-V et des Champs-Elysées, soit établie côté George-V, qu'il jugeait plus chic. Aujourd'hui, le mégastore est bel et bien au 101 Champs-Elysées. Et en 2019, Chanel, Dior et les Galeries Lafayette ouvriront au 52.

L'architecte Philippe Chiambaretta, chargé de la réhabilitation, pour ces utilisateurs haut de gamme, de l'immeuble art déco du 52, est à la foi lucide et bienveillant sur les Champs-Elysées : «C'est un territoire un peu abandonné dans l'imaginaire parisien, une avenue qui vit sur un mythe. La plus belle avenue du monde n'est pas vraiment une promenade. Se pose aussi la question de l'intégration de la nature. Les jardins [entre le rond-point des Champs-Elysées et la Concorde, ndlr] ne sont pas utilisés par les Parisiens.» De part et d'autre de deux fois trois voies de circulation, ça se comprend.

Qui vient aux Champs-Elysées ? «Un tiers de touristes, un tiers de gens qui travaillent dans le quartier et un tiers de Parisiens», recense Jérôme Le Grelle. Soit un «flux» supérieur à 100 millions de passages par an. Unique. Cette affluence explique qu'à partir des années 80, l'avenue soit devenue le royaume du «mass market», avec des enseignes comme McDonald's, Sephora ou Virgin. Mais outre que ces enseignes, à part Virgin qui a fermé en 2013, avaient les reins assez solides pour payer des loyers stratosphériques à des investisseurs souvent qataris, elles collaient bien au caractère M. et Mme Toutlemonde en goguette qui avait été celui des Champs-Elysées depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Dans les années 60, nombre de constructeurs automobiles avaient ce que l'on n'appelait pas encore un showroom sur les Champs et on venait en famille rêver sur les nouveaux modèles. Comme les cinémas pullulaient, ça faisait une bonne petite sortie. Aujourd'hui, seul Renault est encore là, avec son Atelier Renault et ses glaces Häagen-Dazs, dont le côté un peu excessif en sucre, en crème et en topping va comme un gant à l'ambiance les Champs. Quant aux cinémas, ils survivent. Dans le classement national des 80 meilleures fréquentations établi par le Film français, la seule salle du quartier à y figurer est l'UGC George-V, à la 67e place. Le Gaumont Ambassade a fermé en 2016, remplacé par les chaussures J.M. Weston qui, peut-on lire sur la vitrine, «se font un cinéma». Très drôle.

Alors, fini les Champs-Elysées du populo ? Pas sûr. Le nouveau commerce du lieu, c'est aussi le tour de manège en Ferrari ou en Lamborghini. Vingt minutes pour 89 euros. «Vous partirez, accompagné d'un copilote vers un parcours stratégique dans des rues très larges sans trafic (sic)», peut-on lire sur le site d'un de ces loueurs. La retape se fait au coin de la rue, personne n'a pignon sur rue, les pointes promises à 180 km/h font hurler les pouvoirs publics. Pas très chic ? Aux Champs-Elysées, où Pierre Hermé voisine avec la Brioche Dorée, malgré les loyers vertigineux, l'âme populaire résiste.