Il aura suffi d'une agression pour réveiller une angoisse bien ancrée dans la police depuis deux ans. Ce mercredi, le tribunal de grande instance de Meaux, a eu la main lourde au moment de juger deux frères poursuivis pour l'agression d'un couple de policiers, devant leur domicile. Les deux prévenus ont été condamnés à quatre ans et demi et trois ans et demi de prison ferme. La réaction politique avait été immédiate. Emmanuel Macron avait, dès le lendemain des faits, dénoncé «l'ignominie et la lâcheté des deux voyous qui ont agressé un couple de policiers». Tandis que Gérard Collomb, le ministre de l'Intérieur, avait promis que «cet acte ignoble ne restera pas impuni».
Une réaction à chaud, précipitée, mais qui illustre la sensibilité d'un fait divers faisant écho à une angoisse bien réelle dans la police. Celle d'être poursuivi jusque dans sa vie privée en raison de son métier. Dans le récent rapport sénatorial sur le «malaise des forces de sécurité intérieure» cette peur a été désignée comme le «syndrome de Magnanville». Du nom de la ville des Yvelines où s'est déroulé le double assassinat d'un couple de policiers, à son domicile et en présence de leur enfant, en juin 2016.
«Quand on parle de syndrome de Magnanville, cela désigne la prise de conscience des policiers qu'ils peuvent être menacés dans leur vie privée», détaille à Libération Pascal Lalle, directeur central de la sécurité publique depuis plus de cinq ans. Sa direction rassemble près de 50 000 policiers de voie publique, en première ligne. À cela, s'ajoute «une prise de conscience du danger par les familles», selon Pascal Lalle. «Il y a eu une rupture et quelque chose a changé dans l'esprit de nos collègues», analysait Jérôme Moisant, secrétaire national chargé des conditions de travail Unité SGP FO, lors de son audition dans le cadre du rapport sénatorial. «Ce n'est pas honteux de l'avouer, il arrive que nos collègues aient peur, poursuivait Jérôme Moisant, mais jusqu'à présent, c'était dans l'exercice de leur profession. Maintenant, certains ont peur en dehors de leur travail.»
Anonymisation
Cette «peur», est tout de suite venue à l'esprit d'un ancien collègue de la policière agressée à Othis, qui se souvient que des policiers voulaient pouvoir «domicilier leur voiture au commissariat d'Aulnay [là où travaille la femme du couple agressé, ndlr] pour éviter que certains viennent relever la plaque d'immatriculation et trouvent nos adresses personnelles». Selon Amélie Puaux, psychologue dans la police, et auditionnée dans le cadre du rapport parlementaire, certains «ont même déménagé à des heures de route de leur lieu de travail, voire se sont mis en disponibilité, ont changé de service ou démissionné pour mettre leur famille à l'abri du monde de la police ou répondre à ses craintes».
Du côté de l'institution, une réponse a aussi été apportée aux policiers. Le port d'arme hors service a par exemple été étendu. «Parmi les policiers dépendant de la sécurité publique, un sur deux fait usage de ce droit actuellement», indique Pascal Lalle. L'anonymisation des policiers dans les procédures a également été décidée pour les fonctionnaires en charge de la lutte terroriste ou au cas par cas dans les autres enquêtes. «Mais dans un cas comme celui de l'agression d'Othis, ça ne change rien», se désole un policier de Seine-Saint-Denis.