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Emotion

«Penser que tous les Français, dans toutes les villes sont réunis, c’est merveilleux !»

A Marseille, un saut de la victoire, ce dimanche soir. (Photo Yohanne Lamouliere)
par Christophe Alix, Rémy Descous-Cesari, Mathilde Frénois, Correspondante à Nice, Sarah Finger, à Espalion, Jean-Manuel Escarnot, Maïté Darnault, à Voiron, Pierre-Henri Allain, Ulysse Bellier et Alexandre Lenoir, à Signy-L'Abbaye
publié le 15 juillet 2018 à 21h49

De Paris à Espalion en passant par Voiron, Nice, Marseille, Rennes, Toulouse et la campagne ardennaise, échos de la liesse qui s’est emparée de l’Hexagone à partir de 18h55.

A Paris, sur le Champ-de-Mars : «On s’en souviendra encore 20 ans après»

A cinq secondes du coup de sifflet final, le public entame le décompte. La foule en transe exulte de bonheur. Les fumigènes, klaxons et quelques pétards reprennent. Nombreux s'arrosent avec leurs bouteilles d'eau. «Je ressens de la joie, c'est trop bien, c'est trop cool, on est très fiers…» Emue, Faouza, 20 ans, fan du PSG, venue d'Angers rendre sa visite à sa sœur, reprend son souffle.

Jean, 20 ans, né en 1998, originaire de Bordeaux : «On était assez confiants face à la Croatie. On efface la plaie de 2016 [finale de l'Euro perdue contre le Portugal, ndlr]. C'est une fierté d'être français ! Ça me rappelle la finale de 2006, où on croyait l'avoir gagné mais en fait non. Cette fois ça se concrétise !» Julien, 22 ans, et Kilian, 20 ans, originaires du Finistère (29), ont chacun le drapeau de la France colorié sur leur torse et un grand drapeau tricolore sur leur dos. Julien : «On est venus pour la finale et on repart directement demain.» La victoire ? «C'est indescriptible ! On a tellement entendu parler de 1998, sans l'avoir connu. Et on a tellement encaissé de défaites, en 2006 et 2016 et là on a la chance de connaître la victoire en 2018, en finale de la Coupe du monde qui plus est. A croire que le chiffre 8 nous porte bonheur.» 

Mélanie, 24 ans, couleurs tricolores sur chaque joue et drapeau à la main, porte le maillot de l'équipe de France flanquée du numéro 2. Arrivée samedi de Bruxelles exprès pour la finale, elle est venue avec des potes. «C'est un super match, je suis super contente. L'ambiance est exceptionnelle et je voulais être là pour vivre ça, plus que pour le foot. J'ai bien fait de venir ! On s'en souviendra encore vingt ans après.» Des supporteurs ont grimpé sur un kiosque pour regarder le match, ils brandissent les drapeaux de la France, du Maroc et de l'Algérie. L'équipe de France soulève la Coupe du monde. La foule en liesse saute en chantant «champions du monde…». Les écrans de smartphones et caméras enregistrent. De nombreux supporteurs restent sur le Champs-de-Mars pour regarder la cérémonie de remise de la Coupe du monde.

A Voiron (Isère): «C’est plus que prévu»

Les deux cousins se sont dressés sur la pointe des pieds pour voir l’écran géant installé sur le parking d’un pub, une franchise plantée entre un McDo et Carrefour, dans la zone commerciale de Voiron (Isère), au bord des champs. C’est le seul endroit à la ronde où la finale est projetée en grand. Toute la jeunesse du coin s’est donné rendez-vous, maillots, drapeaux et bière à la main. Sans quitter des yeux le match, Elias, 14 ans, et Louis, 13 ans, lâchent leur pronostic : 2-0 ou 2-1. Et c’est Griezmann et Mbappé qui feront le boulot. La prédiction va se réaliser en partie. Sur un coup franc tricolore, ouverture du score. Bond gigantesque de la foule, des gobelets de bière giclent, les fumigènes fusent, les vigiles aussi, pour tenter de les supprimer.

1998, ça évoque quoi à Elias ? : «La victoire» avec un grand V, nous dit-il comme si on venait de la lune. Lui n'était pas né, mais sa mère lui a raconté. Stéphanie, 42 ans, est derrière : c'est elle la fan de la famille, «mon mari beaucoup moins», précise-t-elle : «Mais je suis modérée, je crie dans mon salon, c'est tout.» Pourtant, quelques minutes plus tard, elle scande : «Penalty, penalty !» «Allez Grizou !» hurlent les spectateurs. Stéphanie sautille les mains sur la tête quand Griezmann transforme. Elle est incrédule lorsqu'on la recroise deux buts plus tard : «C'est plus que prévu», dit-elle avec un joli sourire. A deux minutes de la fin, Kévin, 27 ans, murmure : «On l'a fait !» La première étoile française, il s'en souvient «comme si c'était hier» : «J'avais 7 ans, je ne comprenais pas tout au match, mais je me rappelle la folie d'après.» Ce soir ? «La tournée des grands-ducs ! Je suis venu seul, on est jamais à l'abri d'une rencontre…» 

A Rennes : «J’en ai les larmes aux yeux»

Mélange de joie et d'exubérance retenue : les Bretons n'ont manifestement pas la victoire débridée. Il faut dire que plus de deux heures sous le cagnard où étouffait la fan-zone de l'esplanade Charles-de-Gaulle à Rennes aura usé quelques enthousiasmes. «C'est plus calme que ça l'aurait été dans notre ville», évaluent deux Lyonnais de passage. David, venu de Fougères, ne cache toutefois son bonheur. «J'ai stressé jusqu'à la dernière minute. Mais j'avais 8 ans en 1998 et cette fois je voulais être au cœur de la foule. C'est une émotion incomparable, un truc qui ne s'explique pas. Penser que tous les Français, dans toutes les villes sont réunis, ont oublié leurs soucis, leurs conflits, que tout le monde est solidaire, c'est merveilleux ! C'est un moment unique! J'en ai les larmes aux yeux.»

Tandis que drapeaux tricolores et bretons entremêlés s'agitent pour fêter la victoire et que les cloches de l'église Saint-Germain carillonnent pour s'associer à la fête, Fatou, la joue striée de bleu blanc rouge, exprime elle aussi une émotion intense. «C'est comme un rêve, je suis en train de vivre ce que les gens ont vécu en 1998, c'est magique». Mais pour l'aide-soignante de 22 ans, comme pour David, ouvrier-plaquiste, pas question de se laisser totalement aller. «La vie continue et je travaille demain.» Sans doute pas le cas de Loïc, un trentenaire qui promet de «danser, chanter et s'extasier» une bonne partie de la nuit.

 A Nice : «Ça fait vingt ans que j’attends ça»

Benjamin s'est déjà «littéralement cassé la voix» lors de la demi-finale contre la Belgique, sur le but de Samuel Umtiti. Ça lui a valu une soirée aphone. Alors ce dimanche, il s'économise. «Je la préserve un peu», dit le Niçois 24 ans. Mais les promesses n'auront pas duré bien longtemps. Les quatre buts de la France et le titre de champion du monde les ont fait valser. Benjamin lance les chants éraillés dans les ruelles de Nice à base de «Mbappé allez allez» et «Popolopopopopo». Plus loin, les fumigènes bleu-blanc-rouge rendent trouble le ciel azur de la place Massena. Tony: «C'est une énorme fierté, crie-t-il. Ça fait du bien au cœur. On est tous réunis, tous ensemble.» Hala s'époumone au téléphone : «On est champions du monde !» répète-t-elle cinq fois à sa mère. «On va faire la fête ce soir, on peut tout faire, envisage-t-elle. Tout est permis».

Mourad aussi ne lâche pas son téléphone. Il filme «en live sur Facebook» sa joie et celle des Niçois qui ont grimpé sur la fontaine au centre de la place. «Je ne trouve pas les mots, il y a trop d'émotion.» Mourad habite aux Moulins, un quartier à l'ouest de la ville. C'est là qu'il a regardé le match. Puis il a sauté sur son scooter pour rejoindre «vite vite» ce «lieu de rencontre et de fête » : «Je ne sais pas comment exprimer ce que je suis en train de vivre.» Alors il filme. Gabriel s'embrouille avec les mots : «Je suis né en 1998. Moi, je n'ai connu que la France qui perd. Et aujourd'hui on gagne, dit-il. Ça fait vingt ans que j'attends ça.» Et il promet : il n'enlèvera pas son drapeau tricolore accroché à ses épaules avant lundi matin. Benjamin ne s'est pas arrêté de chanter. Il claque les mains des passants et crie sous les fenêtres du Vieux-Nice. Avant, au coup de sifflet final, il a pleuré. Il paraphrase Thierry Rolland après la finale France-Brésil de 1998 («Je crois qu'après avoir vu ça, on peut mourir tranquilles») : «Ce soir, j'ai envie de mourir tranquille.»

A Toulouse: «ça crée un petit lien même si ça ne dure pas»

«Je n'ai jamais autant ramassé en si peu de temps. Les gens sont heureux tout le monde donne», se réjouit Richard, 24 ans en comptant les pièces récoltées en faisant la manche aux abords de la fan zone toulousaine de la prairie des Filtres. 40 000 personnes, avec cornes de brumes, drapeaux tricolores. Même les policiers en civil des brigades anticriminalité portent des brassards tricolores. Bémol : «Il va falloir gérer l'euphorie de la foule. Certains vont arroser ça. On craint les caillassages et les bris de véhicules, souligne un motard en tenue. C'est malheureusement ce qui s'était passé en région parisienne en 1998 après la victoire de la France».

«Champions du monde !» : chez Waffic, le patron libanais d'un troquet proche du palais de justice, les clients s'époumonent, les couples s'embrassent et le patron arrose les clients à l'eau minérale. Tournées de bières et de selfies. Pour la troisième fois de la soirée les clients entonnent la Marseillaise. Agnès, 36 ans, infirmière: «C'est un engouement patriotique. En ce moment, la France n'est pas très solidaire. Ça réunit. ça crée un petit lien même si ça ne dure pas.» Un peu plus loin sur la terrasse, Catherine, 44 ans, avocate, ne partage pas la liesse générale : «C'est bien de voir les gens heureux. Mais dans deux jours tout sera oublié.» En retrait sur la terrasse, Dominique, 58 ans, couturière soupire : «Si les gens pouvaient manifester comme ça contre la pauvreté, ça serait super.» Quelques mètres plus loin, Ribane, 8 ans, les joues tricolores, est «heureuse que la France ait gagné» même si elle ne peut pas expliquer pourquoi.

A Marseille: «Parce que c’était notre projet !»

C'est la première fois qu'il saute - habillé - dans le Vieux-Port. Paul a 20 ans, il n'a jamais connu ça. «Fallait un truc symbolique… parce qu'on est champions du monde!», hurle-t-il dans les oreilles de ses potes. Au coup de sifflet final, le Vieux-Port de Marseille, déjà plein à craquer, a encore grandi. Des cris, des embrassades, des larmes qui coulent sur les maquillages pour une fois bleu-blanc-rouge… Les fumigènes rangés depuis la défaite de l'OM en coupe d'Europe s'éclatent enfin sur les pavés. Tout le monde lève le bras, un peu parce qu'on est champions, beaucoup pour enchaîner les selfies et les vidéos. Pour l'histoire. «Comme c'est beau», souffle une vieille dame en bout de terrasse. Elle porte une robe léopard, mais sa petite-fille lui a dessiné un drapeau sur la joue. Pour rentrer, elle a choisi d'attendre que la foule nerveuse s'éclaircisse un peu.

Les terrasses périphériques se vident, les supporteurs s'avancent vers l'ombrière centrale du port. Pour la bande-son, les chants de l'OM ont été réécrits pour la France. Mais c'est la Marseillaise qui l'emporte, reprise en chœur dès que quelqu'un se lance. «Je suis plein d'émotions, hurle un trentenaire au milieu des fumées rouges. Plein de pastis et plein de bonheur: c'est ça le Sud !» Un type habillé avec un maillot des Bleus version 1998 pleure. «La deuxième étoile… Parce que c'était notre projet !» braille-t-il, tirant sur le filet de voix qu'il lui reste. Près de lui, deux potes se tombent dans les bras. «J'ai 19 ans, mes parents m'ont dit que j'avais été conçu après France-Brésil ! assure Axel, hilare. Et on est là, avec une deuxième étoile sur le maillot…» Sur le Vieux-Port qui se prépare à une nuit blanche, un jeune couple prend la pause, assis sur un plot. Il a le drapeau français en cape sur les épaules. Elle a le maillot des Bleus, version 2018. Ils s'embrassent. Rendez-vous dans vingt ans.  

A Espalion (Aveyron) : « On est les meilleurs, il faut savoir gagner ! » 

Il y a fort à parier que la salle polyvalente d’Espalion, coquette commune de 4 500 habitants du Nord-Aveyron, n’avait jamais connu autant de cris, de clameurs, de peur, de bonheur. Une salle pleine à craquer, où le village entier s’était retrouvé pour partager cette coupe du monde. A 17 heures, tous ont chanté la Marseillaise, debout. Comme un seul homme, ils se sont levés au premier but des Bleus. Avec l’égalisation croate, quand l’espoir a changé de camp, ils ont douté ensemble. Au deuxième but des Bleus, ils ont chanté en chœur. Et à la fin de la première mi-temps, tous étaient en nage ; la température, dans cette modeste salle municipale, avait tellement grimpé que plus personne n’était sec. L’alcool n’avait rien à y voir : ici, seule la bière est admise…

Le vrai moment d'inquiétude, celui qui a failli tout gâcher, a été quelques minutes où l'écran est resté noir. Panne technique. Mais après quelques couplets d'«Allez Les Bleus», retour de l'image, avec, ouf, un score inchangé. Le match repart, la fébrilité aussi : les spectateurs perdent leurs nerfs. «Ça donne des sueurs froides», lâche une dame âgée. Les supporteurs finissent essorés, comme les joueurs. Puis laissent enfin éclater leur joie. Un Toulousain coiffé d'un bonnet-poulet claironne : «On est les meilleurs, il faut savoir gagner !» Un autre fanfaronne : «Je suis trop jeune pour avoir vécu 1998, mais trop fier d'être ici, au top, en 2018 !»

Au Rayol (Var): «Cette équipe, c’est l’assurance tous risques»

«Nos parents nous ont raconté mais on ne savait pas ce que c'était d'être champions du monde. Maintenant, on la tient, c'est la nôtre.» En vacances au Rayol, sur la côte varoise à deux pas de Saint-Tropez, Cédric, 20 ans, Lyonnais et habitué des lieux, savoure la victoire en saluant les voitures souvent décapotées qui traversent, klaxons hurlants, la rue principale du village. Comme une centaine de personnes, il est venu voir le match au Maurin des Maures, le principal bistrot de cette station balnéaire en plein démarrage de saison estivale. Répartis autour de quatre grands écrans sur la longue terrasse parsemée de drapeaux tricolores, le public très familial maquillé de bleu-blanc-rouge et de retour de la plage a souffert en première mi-temps avant de souffler après les deux buts qui ont permis aux Bleus de prendre le large en seconde période.

Au coup de sifflet final, tout le monde se lève et s'embrasse en criant «on est les champions, on est les champions» avant de déserter rapidement les lieux. «Ils n'ont pas fait un match exceptionnel mais une fois de plus, ils ont vraiment assuré. Cette équipe, c'est l'assurance tous risques et du béton armé même si on a bien vu en fin de match que les Croates n'avaient plus le jus pour revenir», commentait un officier de marine avant de reprendre sa voiture pour «aller faire la fête à Toulon où il y aura sûrement plus d'ambiance ce soir».

A Paris, Gare Saint-Lazare : «J’étais un des seuls Français à y croire»

«Mesdames, messieurs, la France est championne du monde.» La gare de Paris Saint-Lazare apprend sa deuxième étoile comme on annonce un train en retard. Chaque nouveau train qui arrive Pontoise ou Poissy amène son lot de «hourras», cornes de brume et vuvuzelas. Un train arrive, le hall chante à tue-tête avant de se laisser écouter le piano en libre-service. Les maillots et les drapeaux se dirigent vers les Champs-Elysées. Dehors, le bar l'Atlantique explose, les chaises sont par terre, un fumigène est en l'air, les scooters klaxonnent, drapeaux bleu-blanc-rouge sur les épaules. «Le plus beau, c'est la seconde étoile», clame Yann, déjà bien beurré. Les rues résonnent de pétards, on n'y voit aucun policier. Dans le premier hall qui sert de centre commercial, les boutiques déjà vides depuis des heures ferment leurs rideaux. Loïc, entraîneur d'une équipe de water-polo qui revient d'une semaine de compétition, est vêtu d'un tee-shirt Bleu pas étoilé. «Je l'ai acheté en janvier 1998, j'étais un des seuls Français à croire qu'on pouvait être champions du monde.»