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Libération
Impériale

Des Champs, des chants, des champions

Coupe du monde 2018dossier
Des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées ce lundi à Paris pour rendre hommage aux champions du monde de foot.
Sur les Champs-Elysées, des supporteurs au passage des joueurs de l’équipe de France, lundi. (Photo Corentin Fohlen. Divergence)
publié le 16 juillet 2018 à 21h16

Une percée de bitume dans un long couloir essentiellement bleu blanc rouge : les Champs-Elysées, ce lundi, au lendemain de la victoire de l’équipe de France, tout juste rentrée du Mondial en Russie et acclamée par des centaines de milliers de supporteurs. Certains sont là depuis tôt ce matin, d’autres sont arrivés en sortant du travail. Aucun ne voulait louper ça. Mais au rythme où le bus impérial, en retard et dont les occupants étaient attendus à l’Elysée, a descendu l’avenue, ce fut pour beaucoup des heures d’attente pour quelques secondes de bonheur. A peine le temps d’apercevoir ces Bleus qui leur ont mis la tête dans les étoiles, mais pas un regret. Si la victoire de 1998 s’était jouée à domicile, c’est cette fois le retour de ces fils prodigues que les Français sont venus célébrer en nombre.

De part et d’autre de la fine allée de bitume laissée libre pour le bus des héros du jour (et des prochaines années), la foule s’est massée autour des grilles. Comme la marée. Imperceptiblement au début, et soudain les deux kilomètres de l’avenue parisienne étaient couverts. Surtout des jeunes, quelques familles. Une assemblée masculine, mais moins que dans un stade. Métissée, braillarde et joyeuse.

Joe Dassin

C'est le spectacle de l'été, produit par ceux qui y participent. Avec leurs accessoires : un coq en peluche, un bonnet de bouffon ou un chapeau de cow-boy tricolore sur la tête. Leur maquillage : les trois couleurs peinturlurées quelque part sur le corps - une joue, une oreille, des lèvres, des jambes. Leur parole : des classiques (We Are the Champions) ou des nouveautés comme ce tube en trois phrases en hommage à Benjamin Pavard ou ce N'Golo Kanté de circonstance, chanté sur l'air des Champs-Elysées de Joe Dassin.

«Deux millions, cinq cents mille, un million ? On est combien ?» demandent Jérôme, 38 ans et deux victoires de Coupe du monde sur les Champs, et son collègue Akyra, 21 ans. Ils ont débarqué de Massy en Essonne. «Parce qu'on est français et qu'on est champions», lâche Akyra, le visage peinturluré. Jérôme regrette quand même que «ça dorme». Comprendre : l'ambiance était plus chaude en 1998. La suite lui a un peu donné raison.

Photo Corentin Fohlen. Divergence

D'abord, il a fallu attendre. Et enfin. «Ils sont avenue Friedland», «ils sont au parc Monceau.» Bref, la rumeur dit qu'ils approchent. Puis, une vigie sur un lampadaire confirme : ils sont là. Tous. A la seconde où apparaît la plus petite fraction du véhicule dans le contre-jour du soleil déclinant, l'avenue bondit et exulte. Le bus dévale à toute vitesse les Champs, réanimés par le survol de la patrouille de France. Au sol, des fumigènes rouges et bleus viennent, eux aussi, colorer l'atmosphère.

La journée aura été plus longue sans les Bleus qu'avec. Les plus prévoyants étaient venus avec un parapluie parasol ou avec une bouteille de champagne cachée au fond du sac jusqu'au passage tant espéré. Les autres, comme ce gamin étourdi sur un trottoir qu'un plus vieux hydrate par rasades d'eau sur le museau ou ce jeune qui tord le nez quand on lui propose une petite bouteille d'eau à trois euros, ont davantage subi la chaleur étouffante. Mais qu'importe. C'est la fête, pour les Bleus mais pas seulement. Celui-ci n'en revient pas : «Je suis assis sur les Champs-Elysées, je suis avec mon fils en train de boire du Lipton, ça t'arrivera une fois dans ta vie !» dit le quinquagénaire avant de blottir son gamin contre lui et de capturer l'instant en tendant le bras pour éloigner suffisamment son smartphone. Même les quelques gendarmes se montrent magnanimes. A une jeune fille qui fumait un joint, la maréchaussée lui demande seulement de l'éteindre.

«Trop chou Trop humble»

Beaucoup ont apporté un drapeau français. Il sert à tout. On l’agite, on l’enroule autour de ses épaules, on s’en fait un turban pour se protéger du soleil ou le disposer par terre comme une serviette de plage. Giovani, sa femme et ses deux enfants en bas âge se sont armés de patience. Ils ont débarqué à 14 heures. L’occasion valait bien quelques heures sur le chaud bitume parisien : la famille vit à la Réunion. Aujourd’hui, ils ont simplement pris le RER depuis les Yvelines où ils sont de passage.

Chacun a un truc pour patienter jusqu’à l’arrivée des Bleus. Grimper aux arbres ou sur les porches sous les encouragements, mais parfois au mépris de toute prudence, faire des selfies (beaucoup de selfies, beaucoup de «duckfaces»). Un vague sosie de Giroud, c’est-à-dire un grand balaise sec, barbu et rasé sur les côtés, enchaîne les photos avec les passants, non sans une gêne mal dissimulée.

Tassie et Maïssa savent bien pourquoi elles sont venues de Pantin et de Savigny-le-Temple : pour achever leur grand chelem. Elles étaient déjà sur les Champs le soir de la demi-finale, sont revenues pour le 14 Juillet, puis dimanche soir après la victoire et donc lundi après-midi. Leur fête nationale a duré presque une semaine, grâce à cette équipe de France qu'elles aiment d'un seul bloc : «C'est un groupe, pas comme dans les années précédentes. Avec Zidane il y avait un joueur. Aujourd'hui, chacun a sa place, chacun a sa chanson. Giroud, les gens le critiquent parce qu'il a pas marqué, mais il a archi bien défendu.» dit Tassie. Maïssa enchaîne : «On les aime tous. N'Golo Kanté est trop chou, trop humble. Trop un exemple. Hier, il a pas publié de story sur Instagram, juste un poste [à la différence de nombre de ses coéquipiers, ndlr]. Il est tout timide.» Les deux jeunes filles, nées pour l'une quelques mois avant le 12 juillet 1998 et pour l'autre quelques jours après, sont prêtes à chanter. «Benjamin Pavard, l'hymne national, tout !» A la Marseillaise, amplement reprise, les Champs Elysées ont ajouté un couplet lundi après-midi : «Champions du monde, champions du monde, champions, champions, champions du monde !» Pour quatre ans. Non, pour toujours.