Glissé au milieu des bagages, exposé sur la table basse, le cahier de vacances entretient depuis de longues années une relation ambivalente avec les enfants. Il n'y a souvent pas de demi-mesure, soit on l'adopte, soit on le déteste. Caroline, mère de deux enfants de 6 et 5 ans, s'en est rendu compte : «J'en ai acheté la première fois pour mon aînée pour préparer sa rentrée en petite section. Comme elle est de fin d'année, j'ai eu peur qu'elle soit un peu en retard sur ses futurs camarades. Puis elle en a réclamé chaque année. Le second était très demandeur en voyant sa sœur faire.» Désormais, ils n'en remplissent pas moins de trois à quatre chacun par été, alors que Caroline en garde un mauvais souvenir : «Je ne crois pas avoir été au bout d'un seul, c'était une contrainte. Eux s'installent quotidiennement pour en faire.»
Le succès des cahiers de vacances, une spécificité française, ne se dément pas. En 2017, 4,5 millions ont été vendus, selon le panel Gfk. C'est au début des années 30 que le premier spécimen voit le jour. «L'idée est venue à Roger Magnard, qui travaillait dans la papeterie, en parlant avec son épouse institutrice. Elle se plaignait avec ses collègues de devoir préparer des devoirs de vacances aux élèves pour éviter que cette longue coupure soit une période de désapprentissage, explique le directeur du pôle "grand public" des éditions Magnard-Vuibert, Laurent Breton. Ils se sont dit qu'il serait génial de les imprimer, puisqu'une fois faits, ils sont valables pour tous les niveaux et tous les petits Français.»
«Rassurer les parents»
Au fil du temps, la concurrence s'est installée et le cahier de vacances s'est inscrit dans bien des familles comme un rituel. «Nombre de parents en achètent systématiquement même s'ils ne sont pas certains que leurs enfants vont le faire», lance Laurent Breton. Les éditeurs rivalisent donc d'ingéniosité pour qu'ils ne prennent pas la poussière. Les éditions des années 30 en noir et blanc, peu illustrées, paraissent austères à côté des actuels cahiers très colorés, débordant de jeux. «Aujourd'hui, on essaie de faire comprendre les choses aux élèves par leur propre pratique. Dans les années 30, la partie cours à apprendre par cœur était très développée et les exercices pas très fun», souligne le directeur. Ces livrets gardent toutefois le même objectif, faire le pont entre l'année scolaire écoulée et celle à venir.
Même si ces cahiers sont souvent élaborés avec l'aide d'enseignants, leur utilité pédagogique fait débat. «C'est plutôt un moyen de rassurer les parents. Comme c'est axé sur les révisions, il faudrait que ça soit différencié et pas le même cahier pour toute une tranche d'âge. Le problème est aussi qu'il y a beaucoup d'évaluations sommatives, qui ne sont pas formatives. Il n'y a pas beaucoup de place pour la recherche de la procédure, c'est tout de suite les résultats. On ne peut pas voir où sont les difficultés», estime le professeur des écoles Thomas Pagotto. Il émet une inquiétude : «Les élèves déjà en difficulté, qui se plantent encore aux cahiers de vacances, n'auront pas envie de retourner à l'école. Il faudrait quelqu'un qui accompagne. Le problème est que si on demande aux parents, on tombe dans les inégalités sociales. Ceux qui en ont les moyens et les capacités scolaires le feront et pas les autres. Ceux qui sont en réussite vont être confortés là-dedans et ceux en échec vont le rester.»
«Aide-mémoire»
En 2001, Jean-Pierre Jarousse et Christine Leroy-Audouin ont enquêté, pour l'Iredu (1), sur l'efficacité des activités scolaires estivales et notamment des cahiers de vacances. Ils auraient bien un impact, visible dans l'amélioration des notes entre juin et septembre, mais ce curseur varie selon les cas. En primaire, les chercheurs précisent qu'«à niveau comparable en juin, les élèves ayant déjà redoublé, les enfants des familles dans lesquelles aucun des deux parents n'est cadre, les élèves appartenant à de larges fratries ont tendance à maintenir significativement moins leurs acquis. Les écarts qui se constituent pendant l'été sont presque de même ampleur que ceux qui se sont constitués tout au long de l'année scolaire, quelle que soit la discipline». Selon cette étude, seuls les élèves de milieu défavorisé ayant complètement fini leur cahier de vacances compensent en partie leur retard par rapport à ceux de milieu favorisé, mais qui n'ont pas travaillé durant l'été. «Les cahiers de vacances ne font pas progresser, c'est un aide-mémoire. Mais il est important de ne pas forcer les enfants», note Laurent Breton. L'enseignant leur préfère d'autres d'activités comme les sorties nature, les visites culturelles ou les jeux de société tout aussi enrichissants. Simple mais efficace, inciter son enfant à écrire un journal de bord lui sera bénéfique. A vos stylos !
Même le P'tit Libé s'est mis au cahier de vacances. Notre hors-série, «le Petit Journal des grandes vacances» est disponible en kiosques et sur le site de Libération.