Il n'y aura pas d'effet Coupe du monde pour Macron. Le quotidien le Monde a révélé qu'Alexandre Benalla, un proche collaborateur du chef de l'Etat, s'est glissé dans la peau d'un policier lors du défilé du 1er Mai à Paris et en a profité pour frapper un manifestant déjà maîtrisé et à terre. L'information est remontée jusqu'au président de la République, tandis que le directeur de cabinet l'a sanctionné de seulement quinze jours de mise à pied. Sans en informer la justice. Mercredi matin, l'Elysée pensait peut-être déminer l'affaire avec une déclaration matinale de son porte-parole. La journée a pris une autre tournure. Le parquet de Paris a ouvert de sa propre initiative une enquête préliminaire des chefs de violences par personne chargée d'une mission de service public, usurpation de fonctions et usurpation de signes réservés à l'autorité publique. Une enquête administrative a été lancée par le ministère de l'Intérieur. Et dans la soirée, à l'Assembée, la commission des lois a décidé de se doter des prérogatives d'une commission d'enquête. Retour en quatre questions sur l'affaire.
Que faisait Benalla lors de la manifestation du 1er Mai ?
Blouson noir, gants et casque de maintien de l'ordre, Alexandre Benalla apparaît sur plusieurs images tournées à l'occasion de la manifestation parisienne, le 1er Mai, à Paris. Sur une vidéo filmée dans le Ve arrondissement, place de la Contrescarpe, on voit ce collaborateur de l'Elysée saisir une première manifestante au niveau du cou et la pousser en dehors du champ de la caméra. Quelques secondes plus tard, il est de retour sur l'image. Alors qu'un autre manifestant est maîtrisé et à terre, Alexandre Benalla le saisit, le relève, lui donne plusieurs coups, le jette à terre, et enfin lui adresse un violent coup de pied. Puis quand il réalise que son visage est filmé en gros plan, Alexandre Benalla arrête son action et s'éloigne. Cette vidéo est publiée dans la foulée de la manifestation et le collaborateur de l'Elysée est identifié à l'époque comme policier. Sur d'autres images du même jour, il est cette fois équipé d'un brassard orange «police» et d'un talkie-walkie des forces de l'ordre.
Alexandre Benalla était en réalité intégré dans le dispositif policier ce jour-là en tant que simple observateur. Une situation habituelle qui permet à des personnes extérieures à la police (comme des journalistes, sociologues, élus…) d'assister à son travail au plus près. Ce jour-là, le collaborateur de l'Elysée est sous la responsabilité de la préfecture de police de Paris, en charge des opérations de maintien de l'ordre. Interrogée à ce propos, la préfecture refuse de répondre à nos questions, renvoie la balle à l'Elysée et se contente de rappeler que les personnes extérieures accueillies «doivent se cantonner à un rôle d'observateur». «L'équiper d'un casque et d'un talkie-walkie c'est possible pour des raisons de sécurité mais qui lui a donné ce brassard de police ?» s'interroge un gradé de la direction générale de la police nationale, qui en profite pour condamner ce qu'il qualifie d'«agression». Pour y voir plus clair, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, a annoncé l'ouverture d'une enquête administrative confiée à la police des polices.
Quel était le rôle d’Alexandre Benalla à l’Elysée ?
Avant le 1er Mai, le jeune homme passé par le service d'ordre du PS (lire ci-contre) était chef de cabinet adjoint de Macron. Etant simple chargé de mission, Alexandre Benalla n'apparaît pas dans le cabinet présidentiel publié au Journal officiel. Selon le porte-parole de l'Elysée, il était chargé de «l'organisation de la sécurité des déplacements du Président». Bizarre, car cette tâche est dévolue au Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) composé de policiers d'élite formés pour cette mission. «Le poste de Benalla n'existait pas sous Hollande et pour cause, puisque c'est la mission même du GSPR d'organiser la sécurité du Président et de ses déplacements», confie à Libération un ancien du service. C'est un collaborateur de l'Elysée qui rapporte les faits survenus sur la place de la Contrescarpe au directeur de cabinet présidentiel, Patrick Strzoda, qui prévient alors Emmanuel Macron, en déplacement en Australie. La décision tombe : mise à pied de quinze jours, suspension de salaire, mais pas de limogeage, Benalla est chargé depuis la mi-mai de «sécuriser les événements à l'intérieur de l'Elysée». A ce titre, il a organisé la venue de Tom Cruise samedi avant d'être mis à contribution lors du retour de l'équipe de France de foot en France lundi.
Comment a réagi l’Elysée ?
Mardi matin tôt, pensant pouvoir déminer le déplacement d'Emmanuel Macron en Dordogne (lire ci-contre), Bruno Roger-Petit a pris la parole de façon solennelle. Pour la première fois, le très discret porte-parole de l'Elysée s'est exprimé devant la caméra, sans la présence de journalistes, évitant ainsi de répondre à leurs questions. Le but de cette mise en scène ? Expliquer que l'Elysée n'a pas attendu les révélations du Monde pour sanctionner Alexandre Benalla. Bruno Roger-Petit précise alors : «Cette sanction vient punir un comportement inacceptable et lui a été notifiée comme un dernier avertissement avant licenciement.» Si Benalla reste salarié du Palais, l'Elysée a par ailleurs «mis fin à toute collaboration», avec Vincent Crase. Présent, lui aussi le 1er Mai, ce dernier, compère de Benalla, et salarié de LREM, avait été mobilisé à plusieurs reprises par le commandant militaire de l'Elysée. «Ce qui est incompréhensible, c'est comment l'Elysée a pu imaginer que cette sanction suffisait et comment ils ont pu penser que cela ne leur retomberait jamais dessus», dit un préfet à Libération. En tout cas, les syndicats de police n'ont pas été convaincus. Pour, le syndicat Alternative Police-CFDT «si ces faits avaient été perpétrés par un policier […] il aurait fait immédiatement l'objet d'une procédure judiciaire et [été] placé en garde à vue, d'une procédure administrative avec une suspension ou un changement de service».
L’Elysée aurait-il dû saisir la justice ?
«Oui», répond à Libération le secrétaire national du Syndicat de la magistrature, Vincent Charmoillaux. Même position du côté de l'Union syndicale des magistrats. L'article 40 du code de procédure pénale dispose en effet que «toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit, est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République». Aux yeux du ministère de la Justice, qui répondait en 2009 à une question d'un sénateur sur cet article, la notion d'«autorité instituée» «inclut les représentants des pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires dont les prérogatives et les rapports ont été définis par la constitution du 4 octobre 1958.» Autrement dit, l'article s'applique à l'administration de l'Elysée. A ce jour, rien n'indique que celle-ci ait effectué un tel signalement. En cas de non-respect de cet article, les conséquences éventuelles sont uniquement d'ordre administratif. «L'article 40 est une obligation professionnelle, mais le non-respect de cette obligation n'est pas un délit», dit Vincent Charmoillaux. «Tant la Cour de cassation que le ministère de la Justice ont dit qu'il n'y a pas de conséquence juridique», abonde Christophe Daadouch, juriste spécialiste des questions de secret professionnel. L'Elysée ne peut donc pas faire l'objet de poursuites à ce titre, la faute étant simplement d'ordre professionnel. Une sanction administrative serait en revanche théoriquement possible. Mais reste à savoir à qui elle pourrait s'appliquer.