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Récit

Affaire Benalla : Macron sans parole

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Alors qu’une nouvelle vidéo du 1er mai accable encore davantage son ancien chef de cabinet adjoint et que l’Assemblée, paralysée, doit entendre Gérard Collomb ce lundi, l’exécutif demeure mutique.
Alexandre Benalla (à droite) aux côtés d'Emmanuel Macron au Touquet, le 18 juin 2017. (Photo Etienne Laurent. EPA. MaxPPP)
publié le 22 juillet 2018 à 21h06

C'est donc à son vieux grognard, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, que le chef de l'Etat laisse le soin de répondre aux embarrassantes questions que pose l'affaire Benalla. Lesquelles, formulées ce lundi matin par la commission d'enquête parlementaire, sont aussi au cœur de l'information judiciaire pour «violences» et «immixtion» dans l'exercice d'une mission de policier ouverte samedi contre l'ancien chef de cabinet adjoint du couple présidentiel. Tandis que Collomb tentera de fournir des explications à une opposition décidée à donner le retentissement qu'il mérite à ce «scandale d'Etat», Macron, lui, n'a pas prévu de sortir du silence qu'il s'impose depuis que le Monde a révélé mercredi soir l'identité du faux policier filmé le 1er mai place de la Contrescarpe alors qu'il assénait des coups à un manifestant. Même si trois enquêtes sont en cours - judiciaires, parlementaires et administratives - Macron «ne s'exprimera pas», fait savoir Elysée. «Le président est là pour fixer le cap et la stratégie, puis dialoguer avec les Français. Mais pas pour commenter ce genre d'histoire», ajoute Matignon. En coulisse, il est pourtant clair que l'exécutif n'a plus qu'un seul «cap» : se sortir au plus vite d'une crise qui le condamne au silence et à l'impuissance après avoir mis à l'arrêt la machine parlementaire.

Depuis quatre jours, certains au sein de la majorité essaient de faire porter le chapeau au seul Patrick Strzoda, directeur de cabinet de Macron, et ancien directeur de cabinet de Bernard Cazeneuve à Beauvau puis à Matignon. L'objectif ? Faire sauter un fusible avant le tout premier cercle de la macronie. Pour un préfet nommé sous le quinquennat précédent, le scénario d'un Strzoda sanctionnant seul Benalla est hautement improbable : «Strzoda est un homme de droit, pour ne pas dire rigide. C'est un vrai homme d'Etat, c'est impossible qu'il n'ait pas proposé la sanction adaptée à ses supérieurs.» Un ex-conseiller de Hollande ne voit pas comment il serait possible que Macron n'ai pas vu la vidéo. Vu la gravité des faits, «penser que le secrétaire général puisse se contenter d'un simple rapport oral au président est déjà peu crédible.» «Mais qu'ils aient pu collectivement penser que cela allait passer, c'est la preuve que ces gens sont totalement hors sol», confie-t-il. Et d'asséner : «Cela démontre leur incapacité collective à gérer les crises. On est en vigipirate écarlate, c'est totalement glaçant.»

«Ivre de sa puissance»

Macron doit-il s'expliquer ? Le porte-parole du gouvernement tente de justifier le mutisme des piliers de la majorité : «C'est parce qu'on ne parle que de ce dont on est certains et de ce qui est établi», confie Benjamin Griveaux à Libération. Et de s'emporter contre le «naufrage de la presse, qui court après les chaînes info», et recommande aux journalistes de «sourcer leurs infos pour qu'on arrête de lire n'importe quoi».

De son côté, le député LREM Gabriel Attal fait valoir que «si le Président s'exprimait, on trouverait partout des commentateurs pour s'indigner du poids potentiel de ses mots sur les enquêtes en cours». Son collègue Gilles Le Gendre, vice-président du groupe LREM, se félicite même «que les institutions fonctionnent dans le bon sens».

Pendant ce temps, les oppositions continuent de faire monter la pression. De l'extrême gauche à l'extrême droite, tous les adversaires politiques du chef de l'Etat n'ont pas de mots assez durs pour dénoncer l'extraordinaire gravité de ce qui a été révélé ces derniers jours. Pour Jean-Luc Mélenchon, «l'affaire est du niveau du Watergate». Dans Libération, Benoît Hamon dénonce un président «ivre de sa puissance» devenu «dangereux pour les libertés publiques». Laurent Wauquiez n'est pas en reste. Selon lui, c'est «la République exemplaire» qui s'effondre. Le doute s'instille jusque dans les rangs macronistes. Une fois de plus, c'est la députée LREM Sonia Krimi qui ose déclarer publiquement : «Je suis abasourdie. On avait été élus pour la transparence. Ça ressemble au vieux monde», a-t-elle posté sur Twitter.

Beaux principes

Dans les heures suivant sa révélation, l'Elysée a fait le pari qu'au cœur d'un été égayé par la victoire des Bleus, le scandale serait vite oublié. Un optimisme qui rappelle celui de François Fillon, expliquant à ses troupes en février 2017 que la tempête provoquée par la révélation des salaires présumés fictifs de son épouse serait vite retombée… L'opposition a bien compris que l'affaire Benalla pouvait ébranler les fondements du macronisme. Le candidat d'En marche n'avait-il pas fait de la «République exemplaire» sa marque de fabrique ? Son premier geste de président avait été de faire voter une loi de moralisation de la vie publique. Il avait aussi promu un «nouveau monde» privilégiant l'expertise de la société civile et associant plus étroitement les administrations à l'activité gouvernementale. Autant de beaux principes que Macron semble avoir bafoués en rendant possible l'extravagante promotion d'un bodyguard de 26 ans au sein de l'Elysée. Selon des informations du Point, le jeune Benalla aurait même préparé une réforme de la sécurité présidentielle. Sa montée en grade semble avoir été proportionnelle à celle du nombre de ses ennemis.