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Portrait

Nicole Klein, l’Etat dame

Cette préfète de la République, qui ne déteste pas communiquer, gère habilement la transition de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
(Photo Théophile Trossat pour Libération )
publié le 24 juillet 2018 à 17h26
(mis à jour le 24 juillet 2018 à 17h57)

Rares sont les hauts fonctionnaires qui peuvent se targuer d’avoir été à la fois à la genèse et au crépuscule d’un même projet d’aménagement du territoire. Surtout quand celui-ci s’est étalé sur des décennies. Et qu’il concerne Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique). Nicole Klein, 66 ans, en fait partie. C’est elle qui, en 2000, avait mis sur les rails la procédure de déclaration d’utilité publique (DUP) du projet d’aéroport, alors qu’elle était secrétaire générale de la préfecture de la Loire-Atlantique. Et c’est elle qui, en 2018, lui a donné le coup de grâce.

Revenue à Nantes comme préfète de région des Pays-de-la-Loire en 2017, deux mois avant la présidentielle, Nicole Klein l'a fait «sans aucun état d'âme». «Je suis là pour appliquer la décision du gouvernement», déblaye-t-elle d'emblée. «Je ne me dis pas du tout que j'ai travaillé pour rien.» Une fonctionnaire au service de l'Etat, et rien que de l'Etat, en somme. Fermez le ban. L'ancienne préfète des régions Picardie (2014-2016) et Normandie (2016-2017) va d'ailleurs bientôt retourner sur la ZAD, pour assurer le SAV. Objectif : rencontrer les zadistes qui ont régularisé leur situation. Une situation inimaginable il y a encore six mois, avant qu'Edouard Philippe n'annonce l'abandon du futur «troisième grand aéroport français».

Aussi inimaginable que le verre de jus de pomme qu'elle a partagé fin janvier avec l'un des responsables de l'association zadiste et le grand patron de la gendarmerie nationale… La séquence a fait s'étrangler tous les militants pro-aéroport, à peine remis de leur douche froide. Mais encore aujourd'hui, Nicole Klein réfute toute «erreur» de communication, mettant plutôt en avant sa «volonté d'apaisement». Le gobelet estampillé «Non à l'aéroport !» trône d'ailleurs toujours sur son bureau. Sylvain Fresneau, l'opposant avec lequel elle a trinqué, a été le premier surpris ce jour-là par la demande de la préfète de visiter le petit local de son association. «Là, c'était de la politique… Je m'en suis rendu compte après», se souvient l'agriculteur. Mais l'homme garde une «bonne image» de la préfète, «quelqu'un de très abordable» et qui n'est «pas une politicienne pur jus». «Elle a des convictions, et elle les garde… Au demeurant, elle a très bien communiqué dans ce dossier.»

La communication, c'est même plutôt son fort, à Nicole Klein. Son «appétence» pour ce domaine date de 1998, quand elle était cheffe du service de l'information au ministère de l'Intérieur. Ces derniers six mois, ses services ont donc envoyé une trentaine d'invitations et de communiqués de presse à propos de Notre-Dame-des-Landes. Elle s'est aussi prêtée de bonne grâce aux conférences de presse et a saisi les micros tendus par les radios et télés. Elle a même réussi à «renouer le contact» avec Philippe Grosvalet, le président du Syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest (SMA), partisan de longue date du projet d'aéroport. Brouillé un temps avec elle, le président (PS) du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a promis qu'il serait «bienveillant avec les zadistes», quand lui seront bientôt rétrocédés les espaces naturels de la ZAD. «Je pense qu'il avait un travail de deuil à faire et il l'a fait», souffle-t-elle. Un «travail de deuil» qu'elle pense aussi avoir fait faire aux zadistes les plus modérés, en leur faisant signer un formulaire administratif en préfecture. Une gageure.

Ce petit gabarit n'est pas mécontent de ce dernier tour de force. Celle qui avait dû gérer en Picardie l'affaire de la ferme des «mille vaches» n'est pourtant pas franchement écolo. Elle se limite à «faire le tri de ses déchets» et à «ne pas jeter ses papiers par terre». Elle n'est pas non plus spécialement végane. «Je préfère le poisson à la viande, et les fruits et salades à tout autre mets.» De fait, c'est plutôt son «respect pour toutes les parties», son «écoute» et sa «patience» qui ont joué, pense-t-elle. Tout comme le «soutien permanent» de Gérard Collomb, de Nicolas Hulot et d'Emmanuel Macron. Certes, le «jeu subtil entre la feuille de route du gouvernement et son application sur le terrain» n'a pas tout le temps été évident et, «bien sûr», parfois elle s'est sentie «sur le fil du rasoir». «Mais c'est la règle du jeu quand on est préfet», dit-elle. Depuis, d'autres dossiers chauds sont venus s'empiler. Elle a dû faire face aux violences urbaines qui ont enflammé Nantes et organiser l'évacuation d'un camp de migrants en centre-ville.

En vérité, sa principale «fierté» demeure son parcours atypique dans la préfectorale. A ce jour, seules deux autres femmes sont, comme elle, «préfètes de la République» au niveau régional . Cela n'avait pourtant rien d'une évidence pour cette «féministe», née en 1952 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) dans une famille «modeste» qui ne compte aucun fonctionnaire. Son père était «confectionneur» de vêtements et sa mère «modiste», créatrice de chapeaux. Cette «enfant de la méritocratie» décroche son bac avec mention bien, fait une classe prépa, puis traverse l'Atlantique sur le paquebot France pour aller étudier un an aux Etats-Unis grâce à une bourse d'études. Mais, finalement, Nicole Klein ne deviendra pas instit, comme l'espèrent ses parents. Elle intègre la Documentation française, un service rattaché à Matignon, où elle suit «de très près l'actualité politique, économique et sociale» pour l'évoquer dans les différentes revues.

Pour œuvrer à «l'intérêt général», elle passe le concours de l'ENA en interne en 1984, alors qu'elle a 32 ans et deux enfants. Elle en sort en 1987, après la naissance du troisième. Elle refuse d'évoquer plus avant son compagnon - «quand on est féministe, devoir parler de son mari, c'est assez désagréable» - tout comme ses hobbys - théâtre, lecture, «d'une banalité affligeante».

Elle préfère évoquer son parcours professionnel. «Cela me permettait non plus seulement d'écrire sur les sujets, mais de les vivre», résume-t-elle. Par la suite, son passage au cabinet du Premier ministre Michel Rocard la marque. «Cela a été une figure qui a compté pour moi, comme pour tous ceux qui l'ont côtoyé : c'était un homme d'une grande intelligence, d'une grande hauteur de vue, avec jamais un mot plus haut que l'autre envers ses collaborateurs», souffle Nicole Klein - qui ne se départit elle-même jamais de sa voix douce. D'ailleurs, bien qu'elle ait toujours obtenu ses postes les plus importants sous des gouvernements socialistes, cette «préfète d'expérience» refuse d'être qualifiée de «préfète de gauche». «Comme dit le ministre de l'Intérieur, "préfet", c'est préfet.»

1952 Naissance à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
1984 ENA (promotion Fernand-Braudel).
1990 Chargée de mission auprès de Michel Rocard, Premier ministre.
2000 Secrétaire générale de la préfecture de Loire-Atlantique.
2017 Préfète de la région Pays-de-la-Loire.

Photo Théophile Trossat pour Libération