Dans les rangs de la police nationale, on ne décolère pas. Quand ils évoquent l'affaire Benalla, les syndicats de policiers dénoncent à l'unisson des faits «inadmissibles» qui jettent le «discrédit» et ternissent «l'image de la police». Casque à visière sur le crâne, Alexandre Benalla, 26 ans, participait le 1er mai, comme l'a révélé le Monde, à une opération de police. D'après les images tournées, il s'est montré violent à l'égard de manifestants. Immergé parmi les policiers, c'est en qualité d'observateur que le chargé de mission du cabinet de l'Elysée était censé être présent place de la Contrescarpe, à Paris. Une procédure de licenciement a depuis été enclenchée par l'Elysée, et l'homme a été mis en examen des chefs de «violences en réunion», «immixtion dans l'exercice d'une fonction publique», «port public et sans droit d'insignes réglementés», «recel de détournement d'images issues d'un système de vidéoprotection» et «recel de violation du secret professionnel» dans le cadre d'une information judiciaire ouverte dimanche. Trois policiers, soupçonnés de lui avoir remis illégalement des images de vidéosurveillance, ont été inculpés.
«Agitateur». Mardi après-midi, les représentants des syndicats de police étaient auditionnés au Sénat. Contacté par Libération, Fabien Vanhemelryck, secrétaire général délégué du syndicat Alliance, s'agace. «Il est pas flic, le mec. Il a beau avoir un titre de chargé de mission à l'Elysée, on fait pas la police soi-même. […] On veut comprendre pourquoi il était là, comment il a eu le matériel nécessaire, comment en tant qu'observateur il s'est retrouvé au milieu d'une manif compliquée», égrène le policier. «Heureusement que ça a été révélé au grand public, se félicite Philippe Capon, secrétaire général de l'Unsa-Police. Quand on est observateur, à aucun moment on ne s'octroie le droit de faire ce qui a été décrit.» Le policier est persuadé que la qualité d'Alexandre Benalla «n'était pas connue des CRS». Face aux sénateurs mardi, Philippe Capon a déclaré que le comportement de Benalla tenait plus de celui d'un «agitateur» que d'un observateur, le 1er mai, et qu'il aurait «pu encore davantage faire dégénérer une situation déjà bien tendue», rapporte Public Sénat.
«J'ai le sentiment qu'on est confronté à une police parallèle constituée de barbouzes issus de la sécurité privée», renchérit Yves Lefebvre, le secrétaire général d'Unité SGP Police-Force ouvrière, auprès de Libération. Il accuse les hauts responsables de la police nationale de «venir manger à cette gamelle». Interrogé par la commission d'enquête de l'Assemblée, lundi, Michel Delpuech, préfet de police de Paris, a rejeté les responsabilités de ses services dans la gestion de l'affaire Benalla. «On prend les gens pour des imbéciles», peste Yves Lefebvre.
«Hiérarchie». Auditionné à l'Assemblée nationale mardi, Patrick Strzoda, directeur de cabinet de l'Elysée et supérieur hiérarchique d'Alexandre Benalla, a déclaré que ce dernier avait été «invité par la préfecture de police» en mission d'observation le 1er mai, à l'initiative de Laurent Simonin, l'un des trois policiers mis en examen, chef d'état-major de la Direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC). «J'en ai déduit que la hiérarchie de la préfecture de police était au courant», a poursuivi le haut fonctionnaire, déclarant que c'était la première fois qu'Alexandre Benalla lui demandait une autorisation de ce type. La veille, le préfet Delpuech avait fustigé des «copinages malsains».
Lundi, alors qu'il ouvrait le bal des auditions au Palais-Bourbon, Gérard Collomb a aussi fait valoir son ignorance au sujet de la mission de Benalla le 1er mai. Des propos qui laissent le secrétaire général du syndicat des commissaires de la police nationale, David Le Bars, circonspect : «Ça me gêne si le chef ne sait pas tout. Si c'est une réalité, si des gens lui ont caché des choses, il faut trouver le souci. J'attends des enquêtes judiciaire et parlementaire qu'elles établissent qui était au courant.» Le commissaire qui fut le premier à affirmer que ce n'était pas la première fois que Benalla était présent sur un dispositif policier note toutefois avec ironie une «forte différence» entre les auditions de lundi et les premières réactions qui ont suivi la publication de la vidéo il y a près d'une semaine, «où pas grand monde ne connaissait M. Benalla». Aujourd'hui, tous les policiers de France le connaissent et beaucoup aimeraient lui dire deux mots.