Le responsable, c'est lui. Emmanuel Macron l'a clamé devant ses soutiens réunis mardi soir : «Celui qui a fait confiance à Alexandre Benalla, c'est moi. Celui qui a été au courant et a validé l'ordre, la sanction de mes subordonnés, c'est moi et personne d'autre.» Près d'une semaine après la révélation de l'intervention violente et hors de tout cadre de son collaborateur le 1er Mai, le chef de l'Etat entend tout prendre sur lui. «S'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent le chercher», a-t-il lancé mardi soir. Mercredi, depuis Bagnères-de-Bigorres (Hautes-Pyrénées), le Président a déclaré : «J'ai tout dit. Regardez les gens, est-ce qu'ils parlent de ça ? […] J'ai dit ce que j'avais à dire.» Pourtant, des questions cruciales demeurent sans réponse.
Pourquoi n’avez-vous pas demandé que la justice soit saisie ?
Dans l'affaire qui tétanise l'Elysée depuis une semaine, c'est le point faible qu'Emmanuel Macron n'arrive pas à justifier. Comme le prévoit l'article 40 du code de procédure pénale, «toute autorité constituée» est tenue d'en informer la justice quand elle acquiert la connaissance de la commission d'un crime ou d'un délit. Certes, le non-respect de cet article n'est pas constitutif d'une infraction pénale mais peut faire l'objet d'une sanction administrative. Mais quelle autorité hiérarchique peut sanctionner le président de la République sur ce terrain ? Aucune. Et dans cette affaire, Emmanuel Macron prévient désormais qu'il n'y aura pas de «fusible». Donc que, à ses yeux, il n'y avait pas de raison de prévenir la justice du comportement de son proche collaborateur.
L'argumentaire de l'Elysée sur ce point a été détaillé par le directeur de cabinet du président, Patrick Strzoda, devant la commission d'enquête à l'Assemblée nationale. Il explique notamment que c'est le contexte de violence lors de la manifestation du 1er Mai qui l'a incité à ne pas saisir la justice. De même, il a souligné que l'Inspection générale de la police nationale, qui avait reçu la vidéo dès le 3 mai, n'avait pas ouvert d'enquête. Donc pas besoin de saisir la justice. Mais sa directrice, Marie-France Monéger-Guyomarc'h, a précisé devant la commission d'enquête que l'agent qui avait visionné la séquence pensait alors qu'il s'agissait d'un policier, et que les coups portés n'étaient donc pas illégitimes.
Pourquoi Benalla a-t-il continué à être responsable de vos déplacements privés ?
Emmanuel Macron a choisi un terme fort, mardi soir, pour qualifier le comportement de son chargé de mission le 1er mai. Une «trahison». La décision immédiate, prise par son directeur de cabinet et tacitement validée par Macron qui ne s'y est pas opposé, comprend deux volets : la suspension pendant deux semaines et une «rétrogradation». Contredisant les déclarations du porte-parole de l'Elysée, qui avait évoqué une suspension de salaire,
Patrick Strzoda a révélé mercredi devant les sénateurs que, finalement, Alexandre Benalla avait touché «son salaire intégral» pour le mois de mai, sa sanction s'appliquant sur ses congés : «Ces quinze jours feront l'objet d'une retenue sur les droits à congés.»
Selon les déclarations de Patrick Strzoda devant la commission d'enquête parlementaire, une partie des missions de Benalla lui a été retirée dès le 22 mai : il est écarté de l'organisation des déplacements officiels du président de la République. Après la fin de sa suspension, le chargé de mission est officiellement cantonné à l'Elysée et à la seule organisation des déplacements privés du couple présidentiel. Il apparaît néanmoins à l'extérieur à plusieurs reprises : pour la cérémonie d'entrée au Panthéon de Simone Veil, pour le 14 Juillet et pour la descente des Champs-Elysées de l'équipe de France de football victorieuse. Une présence à chaque fois expliquée par le caractère exceptionnel des situations. Plus troublant, l'homme qui a «trahi» a donc continué de suivre Macron dans ses sorties privées. A Giverny, fin juin, «M. Benalla était dans son rôle» lorsqu'il accompagnait le président de la République et son épouse, a répondu, lapidaire, le directeur de cabinet. Sans expliquer pourquoi il était maintenu dans cette fonction.
Pourquoi demander un port d’arme s’il n’était pas chargé de votre sécurité ?
Pour dégonfler l'importance du rôle qu'aurait eu Alexandre Benalla, Patrick Strzoda a assuré, mardi, qu'il était en charge de coordonner «les services qui concourent aux déplacements officiels du président de la République». Et qu'il ne lui revenait donc pas d'assurer la sécurité du Président. Une affirmation confirmée mercredi matin, devant la même commission, par Lionel Lavergne, chef du Groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Pourtant, Patrick Strzoda a demandé, en début de mandat, au préfet de police de Paris de lui délivrer une autorisation de port d'arme au titre de ses fonctions. Une démarche qui intervient après deux refus récents du ministère de l'Intérieur. Une première demande avait eu lieu en janvier 2017 pendant la campagne. Puis le 21 juin 2017, cette fois auprès des services de Gérard Collomb, ministre de l'Intérieur. Benalla «s'était de nouveau adressé à mes services pour que sa demande soit réétudiée, demande à laquelle mon cabinet n'avait pas donné suite, considérant que les conditions juridiques n'étaient pas réunies», a expliqué Gérard Collomb devant les députés. Pour justifier ce refus, Frédéric Aureal, chef du Service de la protection (SDLP) a déclaré, mercredi au Sénat : «J'étais extrêmement défavorable au fait qu'une personne non policier, une personne privée, puisse être armée, alors qu'un dispositif de protection composé de professionnels aguerris puisse être présent.»
D'où la nouvelle demande via une autre procédure, plus rare, auprès de la préfecture de police. Interrogé lui aussi, le préfet de police de Paris, Michel Delpuech, a expliqué sous serment que la demande lui avait été transmise «par l'Elysée dans le cadre des fonctions liées à la sécurité qu'exerçait M. Benalla». D'ailleurs, le préfet de police de Paris reconnaît «un point de faiblesse». Dans l'arrêté ministériel, qui précise «les services auxquels doit appartenir l'agent», le cas d'un chargé de mission, adjoint au chef de cabinet du président de la République, n'était pas prévu. Mais comme c'est l'Elysée qui avait «relayé» auprès de lui cette demande, le préfet «l'assume» en ajoutant qu'il n'y avait pas eu de «pression». Et insiste sur le fait que ce port d'arme était «lié à sa fonction auprès du chef de l'Etat». Dès lors, quelle fonction peut justifier l'usage d'une arme à feu, si ce n'est la sécurité ?
Face à cette contradiction évidente, Patrick Strzoda a bien été obligé d'ouvrir une brèche. Le haut fonctionnaire assure, cette fois devant les sénateurs, qu'il a jugé utile pour les «déplacements privés, qu'il y ait dans l'entourage du président de la République une personne qui ait un port d'arme». Pourtant, y compris dans ces cas-là, le chef de l'Etat est toujours accompagné de policiers d'élites du GSPR.
Pourquoi ne pas faire toute la lumière sur les chargés de mission de votre cabinet ?
Alexandre Benalla faisait partie d'un cabinet fantôme : sa nomination comme chargé de mission n'est pas parue pas au Journal officiel, son nom ne figurait pas dans les organigrammes. Une pratique légale mais opaque, et employée dans d'autres ministères, aujourd'hui, comme sous les mandats précédents. La commission d'enquête parlementaire a permis d'établir qu'une «dizaine» de chargés de mission travaillaient dans le cabinet d'Emmanuel Macron. C'est du moins ce qu'a déclaré Strzoda devant les députés. En revanche, les détails manquent pour savoir si Benalla faisait l'objet d'un traitement de faveur par rapport à ses collègues embauchés avec le même statut. Sur le salaire notamment. Le directeur de cabinet a catégoriquement refusé d'indiquer le montant que touchait Benalla. Il a vigoureusement démenti la somme de 10 000 euros évoquée dans la presse, mais n'est pas allé plus loin, invoquant la séparation des pouvoirs et précisant : «Je ne souhaite pas, dans le mandat que m'a confié le président de la République pour venir répondre à vos questions, répondre.» Depuis, l'Elysée a précisé que le salaire d'Alexandre Benalla était de 7 000 euros brut.
Sur les autres avantages dont a pu bénéficier Benalla, le directeur de cabinet n'est pas beaucoup plus prolixe, sinon pour contester le terme d'«avantage». Outre le logement attribué, le chargé de mission disposait d'un véhicule, une Renault Talisman, habituellement réservée à la haute hiérarchie ministérielle. Motif officiel : «Sa voiture était une voiture de service pour exercer sa mission, qui l'amenait très souvent sur le terrain pour préparer les déplacements du président de la République, et qui était intégrée dans le cortège, d'où les équipements spéciaux installés par le garage de l'Elysée.» L'a-t-il conservée après rétrogradation ? Strzoda ne l'a pas dit.
Pourquoi Benalla était-il le seul chargé de mission à bénéficier d’un appartement de fonction ?
Quand le journal le Monde révèle pour la première fois qu'Alexandre Benalla est installé depuis le 9 juillet dans un appartement de fonction au quai Branly, l'Elysée reste muet. Il faudra attendre les informations de l'Express, qui évoque un montant de 180 000 euros de travaux pour la création d'un duplex de 200 mètres carrés destiné à Benalla, pour que l'entourage du chef de l'Etat démente le montant de la facture pour la création d'un duplex. Sans plus de précision. Devant les députés de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale, Patrick Strozda évoque pour la première fois l'affaire dans l'affaire, d'une drôle de manière. Il conteste vigoureusement le fait que Benalla se soit installé dans un duplex de 200 mètres carrés. Sans que personne ne comprenne s'il dément la taille de l'appartement ou l'installation du chargé de mission de Macron. Plus tard dans son audition, il justifiera l'attribution d'un tel appartement (aucun des dix chargés de mission de l'Elysée ne bénéficie de cet avantage) par la disponibilité permanente qu'exigeait la mission de «coordination des différents services de sécurité» impliqués dans les déplacements présidentiels. Mais qu'en est-il depuis la sanction et surtout le changement de périmètre des missions du proche collaborateur de Macron ? Depuis le 4 mai, Benalla n'est officiellement en charge que de l'organisation des événements tenus à l'intérieur du Palais, et des déplacements privés du couple Macron. Autant dire que cette disponibilité permanente n'est plus de mise. La veille, à LCI, Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, avait affirmé qu'Alexandre Benalla avait formulé cette demande d'un logement de fonction au mois de mars. Sans que l'on sache quand elle lui a été accordée et par qui. Avant ou après la sanction ? Plus compromettant, Griveaux avait laissé clairement entendre que Benalla avait bien occupé un appartement de 80 mètres carrés en juillet, ce qu'a démenti fermement Strzoda, le lendemain, devant les députés.