Zapper la justice, taper sur le Parlement, et se payer la presse. Dans l'affaire Benalla, qui a discrètement commencé dans la foulée du 1er Mai à l'Elysée avant d'éclater au grand jour il y a une semaine, le chef de l'Etat maltraite sans complexe les contre-pouvoirs. A la Sarkozy. «Je ne vais pas chercher des fusibles parce que vous avez envie de voir du sang et des larmes dans le tournant de l'été», a-t-il lancé à la presse mercredi depuis Bagnères-de-Bigorre. La veille, devant les députés LREM, il avait déjà dénoncé «un spectacle où la tentation pour presque tous les pouvoirs est de sortir de [leur] lit. Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité. Je vois un pouvoir médiatique qui veut devenir un pouvoir judiciaire […], qui a décidé qu'il fallait fouler au pied un homme [Benalla, ndlr] et avec lui toute la République.» Ne s'encombrant pas des faits, Macron a poursuivi pour démontrer la volonté de nuire : «On ne voit jamais la scène d'avant [pourtant diffusée par Libération] ou la scène d'après [diffusée par Mediapart], quel est le contexte, que s'est-il passé ? […] J'ai cru comprendre qu'il y avait des images, où sont-elles ?»
«Fadaises». Ciblant la commission d'enquête, Macron a dénoncé la tentation parlementaire de «se substituer à la justice et de devenir un tribunal populaire», avant d'affirmer, à la Chirac, que les élus de la nation ne doivent pas oublier «la séparation des pouvoirs» et «considérer qu'il est [du] ressort [du Parlement] de contrôler chaque décision de l'Elysée». Comme si c'était le sujet. De telles sorties visant des contre-pouvoirs légitimes apparaissent fort peu responsables dans la bouche du gardien des institutions. Quand bien même celui-ci les enroberait d'un appel à ce que chacun reste dans son rôle. Un président ne devrait pas dire ça. «Pour se préserver des abus de pouvoir, il faut des contre-pouvoirs», a rappelé mercredi le sénateur LR Bruno Retailleau.
A écouter Macron, dans la saga Benalla, le «pouvoir médiatique» raconte des «fadaises» : «[Benalla] n'a jamais détenu les codes nucléaires, […] n'a jamais occupé un 300 m2 à l'Alma , […] n'a jamais eu un salaire de 10 000 euros [et] n'a jamais été mon amant.»
Opacité. Dans cette énumération, le chef de l'Etat liste pêle-mêle, en toute mauvaise foi, des fake news ou des parodies circulant en ligne (la vie privée et les codes nucléaires) et des questionnements journalistiques légitimes sur lesquels l'opacité élyséenne est patente : le salaire de Benalla et son logement dans un immeuble de la présidence. Devant la commission d'enquête, Patrick Strzoda, le directeur de cabinet de Macron, avait annoncé avoir convenu avec le chef de l'Etat qu'il ne répondrait pas à ces questions. Pas de quoi empêcher le secrétaire d'Etat Mounir Mahjoubi d'affirmer : «Nous sommes nés dans la transparence et nous continuerons à transmettre toutes les informations.»
Sans le travail du Monde, le cas Benalla serait en tout cas resté un dossier réglé en catimini à l'Elysée. La justice s'est illico autosaisie une fois les faits révélés, ce que l'Elysée, pas plus que la préfecture ou l'Intérieur, n'avait jugé utile de faire. Alors que ce choix est très contesté, ce président, qui prive les Français de réponses claires, serait bien inspiré de cesser de taper sur les contre-pouvoirs et de s'affirmer seul dépositaire de la République. Car la République, même la Ve, ne se résume pas à celui qui la préside, c'est un tout.