Dominique Prieur, née Maire, est plus connue du grand public sous le nom de Sophie Turenge, des célèbres «fauzépoux Turenge» ; une petite main ayant épaulé le commando de la DGSE qui saborda le Rainbow Warrior de Greenpeace, le 10 juillet 1985 à Auckland (Nouvelle-Zélande). Un attentat commis par la France dans un pays étranger (mais ami), qui provoqua la mort d'un photographe de l'ONG écologiste, Fernando Pereira.
Dominique Prieur n’a pas posé les deux bombes qui ont coulé le navire amarré au port - tâche dévolue à des «nageurs de combat» dûment formés à cet effet. Combattante au sol, son arme était un van de location. Son rôle consistait à livrer les explosifs (mission amplement accomplie) puis à récupérer les divers protagonistes du commando. Echec sur ce second point : non seulement les poseurs de bombes ont dû s’exfiltrer seuls sur un voilier pour être récupérés au large par un sous-marin français, mais elle s’est fait pincer, avec son «fauzépoux» Alain Mafart, à l’aéroport d’Auckland après avoir benoîtement rendu le van au stand de location.
Résistance
Un fiasco ? Prieur réfute le terme. Après tout, l’ordre venu d’en haut (instruction explicite de Charles Hernu, alors ministre de la Défense, avec le feu vert implicite de François Mitterrand) a été exécuté. Et si elle a finalement été arrêtée, elle dit aujourd’hui encore sa fierté d’avoir su cacher les équipements des membres du commando dans une rivière, sans que la justice néo-zélandaise n’en sache rien, empêchant ainsi l’élargissement des poursuites à d’autres collègues de la DGSE.
Première femme à intégrer le «service action» du service d'espionnage, Prieur n'avait a priori pas le profil. A la base de son engagement, il y a une fibre patriotique - en 1944, cinq ans avant sa naissance, ses grands-parents étaient exécutés par la milice pour faits de résistance. Mais après des études de lettres, c'est la pratique assidue de l'équitation et du parachutisme qui la rapproche du fana mili. Un agent recruteur de la DGSE la drague, en tout bien tout honneur professionnel. Des décennies plus tard, elle confiera à Libération avoir dû plus d'une fois «clouer le bec à ces mâles glorieux qui me toisaient avec condescendance».
L'ombre lui allait si bien que l'exposition à la lumière de l'affaire du Rainbow Warrior fut peut-être à ses yeux la pire des sanctions : «C'était un effondrement complet de mon univers. J'avais passé tant d'années à me cacher, à faire disparaître mon visage…» Comme souvent chez les prévenus, ses photos d'époque, planquée derrière ses lunettes, ne sont pas toujours à son avantage. Au plan strictement pénal, Dominique Prieur a écopé de dix-sept années de prison, une peine prononcée en 1985 par la justice locale et très vite muée - après un accord au sommet entre la France et la Nouvelle-Zélande - en une assignation à résidence sur l'atoll de Hao, trou perdu du Pacifique.
Kérosène
Trois ans plus tard, elle était rapatriée dans la mère patrie, à la grande indignation de la Nouvelle-Zélande. La France sait récompenser ses moines-soldat(e)s : capitaine avant l'attentat du Rainbow Warrior, Prieur finira colonelle. Entre-temps, sur Hao, elle aura pris le temps de faire un enfant avec son mari, lui-même général dans l'armée.
Quant à son «fauzépoux», Alain Mafart, il a rompu pour de bon avec l'armée. Reconverti en photographe animalier («Voir pour ne pas être vu», explique-t-il avec un sourire), il n'a pas hésité à critiquer son ancienne maison : à l'entendre, quelques gouttes distillées dans le réservoir à kérosène du Rainbow Warrior auraient suffi à l'immobiliser.
Dominique Prieur a fini sa carrière en 2008 comme DRH des sapeurs-pompiers de Paris. Pour jouir, à 69 ans révolus, d’une retraite bien méritée.