Plus d'une semaine après la publication d'une vidéo, révélée par le Monde, montrant Alexandre Benalla molester deux manifestants, place de la Contrescarpe à Paris, le 1er mai dernier, le parquet de Paris a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire sur des faits de violence commis à l'encontre des policiers en amont de l'interpellation musclée du couple. Dimanche, Libération avait dévoilé une vidéo de «l'avant-scène», montrant des manifestants – dont le couple fait partie – lancer des projectiles sur les forces de l'ordre.
Jeudi, quelques heures avant l'ouverture de l'enquête sur les violences contre les policiers, le Monde a publié le contenu d'un courrier du procureur de la République de Paris adressé à la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP). François Molins s'y interroge sur la raison qui a poussé les policiers à relâcher les deux manifestants interpellés le soir du 1er mai, sans qu'ils ne soient mis en cause. Vincent Charmoillaux, secrétaire national du Syndicat de la magistrature, a accepté de répondre aux questions de Libération sur le courrier de François Molins aux policiers et l'ouverture de l'enquête préliminaire.
Pourquoi le procureur de la République de Paris demande-t-il des comptes aux services de police ?
Vous avez des éléments qui laissent penser que ces personnes [le couple de manifestants, ndlr] auraient pu commettre des violences. Elles sont interpellées et le tout est capturé par la vidéosurveillance. Le procureur de la République est légitime à se poser des questions sur l'absence de procédure. Il y a une circulaire de politique pénale qui a été édictée par le ministre de la Justice [à l'époque Jean-Jacques Urvoas] au moment des manifestations contre la loi Travail, qui, en substance, recommande d'appliquer une politique pénale extrêmement ferme dans le cadre des manifestations.
Cela fait un certain nombre d’éléments qui peuvent amener le procureur de la République à se demander pourquoi ces gens interpellés ont été relâchés sans qu’aucune procédure ne soit engagée. Il est vraiment dans son rôle en interrogeant les services de police.
Selon vous, pourquoi le couple a-t-il été relâché sans être mis en cause le soir du 1er mai ?
Les policiers étaient peut-être tout simplement débordés avec les nombreuses interpellations de la journée de manifestation. Ou alors ils ont très vite compris que s’ils engageaient une procédure, il allait falloir rédiger un procès verbal indiquant les circonstances de l’interpellation, et par qui les manifestants avaient été interpellés. Ce qui pouvait être délicat à écrire sachant qu’ils avaient été arrêtés par un observateur de l’Elysée. Ce ne sont que des hypothèses.
Le fait que le parquet demande des comptes aux services de police est-il habituel ?
Ce n’est pas forcément exceptionnel, mais disons que ça ne fait pas partie du quotidien. Quand un procureur de la République prend la peine de demander par écrit des explications aux services de police, c’est qu’il y a au moins un sujet. Mais ce n’est pas extraordinaire. C’est quelque chose qui peut démontrer une incompréhension à la base, d’où la nécessité de demander des éclaircissements.
Les policiers sont-ils tenus de répondre au courrier de François Molins ?
Dans le fonctionnement normal des institutions, quand le procureur demande des explications, la police répond. Ce ne sont pas des demandes qu’ils peuvent ignorer. Ce n’est pas imaginable que la police ne réponde pas dans la mesure où la police judiciaire s’exerce sur habilitation de l’autorité judiciaire. En ce sens, ce serait problématique de ne pas obtenir de réponse.
Pourquoi le procureur a-t-il décidé d’ouvrir une enquête de son propre chef, sans que les policiers n’aient porté plainte contre les deux manifestants ?
D’une manière générale, dès qu’il y a un délit caractérisé, le procureur de la République poursuit sans avoir besoin d’un dépôt de plainte. Parfois, il peut même engager des poursuites même si les victimes s’y opposent.
Pourquoi l’enquête préliminaire sur les violences commises sur les policiers place de la Contrescarpe n’a-t-elle été ouverte que le 26 juillet, alors que les faits remontent à presque deux mois ?
Il y a une vraie question sur le moment où le parquet est avisé. Par exemple, la vidéo sur laquelle on voit Alexandre Benalla exercer des violences était publique et visible sur les réseaux sociaux. Le parquet aurait très bien pu, et aurait probablement dû, saisir l'IGPN [l'Inspection générale de la police nationale, la police des polices] dès le mois de mai.
Est-il possible d’interpeller quelqu’un soi-même lorsque l’on assiste à la commission d’un délit, comme l’invoque Alexandre Benalla dans sa défense ?
Cette histoire de «ils ont commis des violences» est en effet invoquée par Benalla dans sa défense. Il désigne l'article 73 du Code de procédure pénale, qui donne l'autorisation à quiconque d'appréhender l'auteur d'un délit ou d'un crime flagrant pour le remettre aux services de police. Mais ça ne donne en aucun cas le droit d'exercer des violences, ou de donner des coups de pied à un homme à terre.