«Epris d'équipe», titrait Libération en une, la veille de la finale de la Coupe du monde. C'est qu'une tendresse inhabituelle soude les Bleus de 2018, et que l'Hexagone s'est pris d'affection pour ces petits jeunes si efficaces et sympas et pour leur coach inoxydable. Pour preuve, la liesse qui a gagné le pays dès la demi-finale et la frustration générée par l'avancée rapide du bus des champions du monde sur les Champs-Elysées.
Mais aussitôt la coupe décrochée, l'équipe de France a été la cible d'aigreurs à échos racistes. Elles provenaient notamment de l'Italie, où les réseaux sociaux ont charrié des phrases comme «c'est l'Afrique qui a gagné», ou qui assimilaient les joueurs à «des singes avec un ballon», ou les rebaptisaient «champions du tiers monde». Raccord, Ernesto Sica, conseiller municipal du parti d'extrême droite Fratelli d'Italia, a posté sur Facebook (avant de l'effacer) : «Pour la première fois, une équipe africaine remporte la Coupe du monde de football.» Le président du Venezuela, Nicolás Maduro, a dit la même chose, mais avec une intention différente : «L'Afrique a tant été méprisée et dans ce Mondial, la France gagne grâce aux joueurs africains ou fils d'Africains. Je souhaite que la France et l'Europe réalisent que nous, ceux du Sud, les Africains, les Latino-Américains, nous avons aussi de la valeur et du pouvoir.»
«Identité»
Aux Etats-Unis, Trevor Noah, le présentateur sud-africain du satirique Daily Show, qui s'était exclamé «l'Afrique a gagné la Coupe du monde 2018 !», a expliqué qu'il ne «retire pas leur identité française aux champions du monde mais il ne faut pas non plus leur retirer leur identité africaine qui est aussi la mienne». La polémique a fait réagir jusqu'à Barack Obama, de Johannesburg où on célébrait le centenaire de la naissance de Nelson Mandela : «Tous ces gars ne ressemblent pas, selon moi, à des Gaulois. Mais, ils sont français, ils sont français !»
Côté Bleus, Benjamin Mendy a torpillé le tweet de l'agence de communication Sporf, qui avait posé à côté de chaque joueur un drapeau de ses origines, en remettant partout un drapeau tricolore. Le basketteur international français et joueur de la NBA à Orlando Evan Fournier est aussi entré dans la mêlée : «Est-ce que l'Afrique gagne quand les Etats-Unis gagnent des médailles d'or aux Jeux olympiques ? L'Europe gagne-t-elle lorsque l'Afrique du Sud gagne au rugby ? Et on peut continuer. Nous sommes tous français, il faut faire avec.» Idem pour son collègue Nicolas Batum : «Oui, j'ai un père et un nom camerounais, mais nous tous, on se bat et on joue pour la France, car nous sommes nés ici, avons grandi ici, avons appris notre sport en France, avons la fierté d'avoir la nationalité française.»
Cris de singe
Alors, on peut conclure : racisme de pisse-vinaigre, mauvais perdants, jaloux minables. Sauf que le racisme dans le foot n'est pas conjoncturel, ne se produit pas que tous les quatre ans. Et les joueurs français n'ont pas besoin de jouer à l'étranger pour en faire les frais. Les Noirs, surtout. Cris de singe, envois de bananes, insultes («sale nègre», «sale singe»), chants racistes, la chronique sportive charrie des incidents à travers le territoire, de Marseille à Bastia, de Metz à Grenoble. Ils peuvent aussi bien être le fait de supporteurs que de joueurs ou de leur encadrement.
Le 6 mai, Kerfalla Sissoko, 25 ans, l'a vécu en version ultraviolente. Il joue pourtant en amateur, en D3 du District d'Alsace. Zéro enjeu donc, juste le fun, le foot des champs. Sauf que Kerfalla Sissoko a été passé à tabac. Il en garde des séquelles, psychologiques et physiques, va devoir être opéré de la tempe et du tympan. Libération a enquêté sur ce cas de racisme ordinaire qui vire au quasi-lynchage. Sans provoquer plus de remous que ça.
photo Pascal Bastien
Les chiffres peu crédibles de la FFF
A en croire les chiffres de la Fédération française de football (FFF), le racisme sur le terrain est un épiphénomène. Depuis 2006, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) publie une étude annuelle sur les incivilités et violences dans le football. Elle est alimentée par l’Observatoire des comportements, outil informatique mis en place par la FFF pour collecter les dérapages sur les terrains amateurs. Le nombre de matchs émaillés d’au moins un incident est en baisse constante : 10 309 rencontres ont été concernées en 2016-2017, soit 6 % de moins par rapport à la saison précédente, et les matchs à incidents ne représentent que 1,6 % de l’ensemble des matchs disputés. Le racisme ? Il concerne 0,7 % des matchs à incidents… soit, en tout et pour tout, 74 rencontres. Principalement des injures (67 %), les agressions physiques comptant pour 18 %. Les cibles sont d’abord les arbitres (53 % des actes racistes commis à leur encontre). Mais les chiffres reposent sur le bon vouloir des instances régionales du football. Et l’ONDRP note, à regret, qu’elles sont de moins en moins nombreuses à faire remonter les dérapages. A charge aussi aux ligues et aux districts d’apprécier le caractère discriminatoire ou non d’un incident.