Mettre au vote la responsabilité du Premier ministre et donc du gouvernement, à défaut de pouvoir ébranler celle du chef de l’Etat, cet intouchable. Ce mardi, à la tribune de l’Assemblée nationale, Christian Jacob au nom du groupe LR, et André Chassaigne au nom des insoumis, des socialistes et des communistes, défendront chacun leur motion de censure. Un moment jamais anodin et qui intervient après une folle semaine où l’Elysée, pour avoir géré avec ses pieds l’affaire Benalla (ce fait divers pas si banal que ça), s’est retrouvée confrontée à la pire crise politique depuis le début du quinquennat. Certes les résultats des votes de mardi seront sans suspense au regard du rapport de force politique : les groupes d’opposition rassemblent 219 voix sur 577.
Mais pour la droite et les gauches comme pour le pouvoir, l'épisode, épilogue d'une séquence parlementaire enfiévrée, n'a rien d'une formalité tant la tension est montée de part et d'autre. Pour Edouard Philippe - concerné de très loin - ce sera l'occasion de répondre présent au côté du Président (lire page 3). L'Assemblée baissera ensuite le rideau mercredi pour une reprise tout début septembre.
«Le Premier ministre ne veut pas répondre [à la commission d'enquête], nous le contraignons par les institutions, explique Jacob. Il y a eu une vraie dérive au plus haut niveau de l'Etat et le gouvernement a laissé faire alors qu'il était de sa responsabilité de stopper les choses.» Deux motions de censure faute d'une audition, en somme, les députés de gauche pointant aussi «l'obstruction [des députés LREM] au bon fonctionnement de la commission». Sur ce front, la vie de la commission d'enquête de l'Assemblée, qui s'est constituée à chaud au soir des premières révélations, aura connu une tournure funeste dans la foulée du show Macron, mardi à la Maison de l'Amérique latine.
Refus
Regonflés à bloc, les députés LREM de la commission des lois, avec leur présidente Yaël Braun-Pivet en tête, ont sifflé la fin des auditions élyséennes. Tempête au Palais-Bourbon, où LR a joué la rupture tapageuse avec la démission du corapporteur Guillaume Larrivé comme rampe de lancement de la motion de censure déjà annoncée. Et Gabriel Attal, zélé député macronien de crier à «l'instrumentalisation politique» et au «cirque» de partis «sortis des radars», dénonçant cette «tentative de faire tomber un gouvernement parce qu'un chargé de mission a dérapé». Cette autre députée LREM croisée vendredi verse, elle, dans la morgue : «Vous avez vu la motion de censure de LR ? C'est bourré de fautes d'orthographe, on dirait un mauvais PV de gendarmerie.»
L'histoire retiendra le refus de la majorité présidentielle de convoquer le secrétaire général de l'Elysée. Et ce week-end dans le JDD, Yaël Braun-Pivet a de nouveau justifié cette décision en affirmant que l'audition d'Alexis Kohler jeudin'avait rien apporté de nouveau. Comme si ça n'était pas justement lors de sa deuxième audition, au Sénat, que le directeur de cabinet de Macron, Patrick Strzoda, déjà interrogé à l'Assemblée, avait fini par dire que Benalla avait été payé pendant sa «suspension». Au sein de la Chambre haute, où la commission d'enquête est présidée par Philippe Bas (LR), aussi placide que pointu, et où la droite est majoritaire donc maîtresse du jeu, les auditions vont continuer. Et ça pourrait durer. Le Palais du Luxembourg s'est en effet offert la possibilité d'œuvrer six mois durant, quand l'Assemblée a d'emblée borné son travail à un mois. Alors que Christophe Castaner sera auditionné mardi en tant que patron d'En marche (lire pages 4 et 5), Philippe Bas n'exclut plus d'auditionner Benalla lui-même, possiblement à la rentrée. S'il craignait au départ un télescopage avec le calendrier judiciaire, le riche calendrier médiatique de l'intéressé a changé la donne. La commission de l'Assemblée devrait, elle, conclure ses travaux avortés par un rapport de sa seule présidente LREM.
Mais depuis ce week-end, tous les esprits sont maintenant tournés vers cette journée de mardi, où deux motions de censure sont soumises au vote des députés. Ce n’est pas si courant et même une première depuis plus de quarante ans. Une preuve, une de plus, de la fin du bipartisme parlementaire.
Contre-attaque
Pour les gauches, réussir à se mettre d'accord et déposer une motion commune n'a pas été chose aisée, même si sans union, personne n'aurait eu les troupes nécessaires pour agir seul. Mélenchon y a illico vu, peut-être un peu vite, l'acte fondateur d'une nouvelle union de la gauche derrière lui, quand les socialistes martèlent qu'il s'agit d'un acte circonstancié. Les gauches ont surtout évité une désunion qui aurait conduit au seul vote de la motion portée par LR. «La motion de censure a une vertu, celle de rappeler que le groupe LR est seul à pouvoir la déposer sans le renfort d'autres groupes», fanfaronne un député de droite, avant de reconnaître volontiers : «Elle a une limite… C'est qu'on ne va pas gagner !»
Alors que la majorité En marche est en mode contre-attaque - après avoir subi pendant les premiers jours de l'affaire Benalla -, un arc LR-socialistes-LFI-communistes aurait été une cible facile : une opposition tutti frutti aisément caricaturable en alliance politicienne de circonstance dont le seul projet commun serait d'empêcher Macron. A LREM, les éléments de langage étaient déjà partis pour dénoncer ces «séditieux». Reste que la majorité se retrouve prise en tenaille entre LR et un bloc de gauche rassemblé - le Rassemblement national (ex-FN) a annoncé qu'il votera les deux motions, histoire de se revendiquer, comme LREM, au-delà du si vieux clivage gauche-droite…
Sur le terrain de l'opinion, où se joue une partie de la capacité de l'exécutif à réformer, les premières études portant sur le mois de juillet ne montrent pas de décrochage spectaculaire pour Macron. Chacun glosant, en fonction de son bord, sur deux points de hausse ou un point de baisse. Il est trop tôt pour mesurer l'impact durable de l'affaire Benalla sur la popularité mais surtout l'image d'Emmanuel Macron. Ce qui est notable, au moins dans l'étude de Harris Interactive publiée vendredi, c'est le net décrochage à droite. Dans l'équation politique de Macron, ce n'est pas rien. Jusqu'à présent, c'est sur ce champ de l'échiquier que le Président a assis sa popularité et une bonne part de son crédit réformateur, quand beaucoup des électeurs de gauche ayant voté pour lui ont déjà pris leur distance. Au gré des orientations économiques du «président des riches» et même des «très riches» selon le mot cruel de François Hollande, mais aussi face à la très rigide politique de Collomb à l'égard des migrants. Pour Macron, le vrai test sera à la rentrée. Quand il s'agira d'ouvrir pour de bon le dossier explosif des retraites et quand la réforme constitutionnelle, dont l'examen a été reporté au début de la tempête Benalla, fera son retour à l'Assemblée. Sans parler des lois agriculture et Pacte. Dans l'opinion publique, comme dans les oppositions parlementaires, que restera-t-il de cette folle semaine au sortir du mois d'août ? Car chacun l'imagine et beaucoup l'espèrent, l'intensité politico-médiatique du feuilleton va, sauf nouvelle révélation massue, aller decrescendo.
Révélateur
Quel sera l'impact politique de ce qui n'est ni un simple fait divers ni l'affaire des affaires, mais un révélateur de la gouvernance Macron, comme l'a souligné Julien Dray lundi dans Libération ? S'il s'agit d'une «tempête dans un verre d'eau», comme l'a affirmé Macron, elle a quand même fait de sacrés remous et conduit pas mal d'acteurs à tenter de surfer sur la vague. On peut surtout se demander si, comme l'espèrent les oppositions, le sentiment d'un deux poids deux mesures au profit de Benalla puis la gestion à la petite semaine du scandale, va altérer la présidentialité du chef de l'Etat et limiter sa capacité à demander des efforts aux Français. A fortiori dans une conjoncture économique où le miracle Macron ne saute pas aux yeux, d'autant plus que la scène européenne, otage des égoïsmes nationaux, ne lui permet pas de briller davantage.
Quant aux oppositions, difficile de dire si elles ont marqué des points. Légitime pugnacité ou navrante obstruction ? Autant de questions auxquelles les enquêtes du moment ne peuvent répondre. En l’état, la première force du macronisme reste en tout cas la faiblesse de ses adversaires. Avis aux oppositions.