Sur toutes les images, Edouard Philippe se marre. Cela fait partie du personnage, mais Emmanuel Macron est en plein stand-up devant la majorité réunie à la Maison de l'Amérique latine mardi dernier, et le Premier ministre goûte apparemment au discours présidentiel, aussi guerrier soit-il. «Les valeurs qui nous ont conduits là, ce n'est pas la République des fusibles, ce n'est pas la République de la haine, celle qui fait trinquer un fonctionnaire ici, un collaborateur là», vitupère le chef de l'Etat. Pas de «République des fusibles». Soit, en filigrane, un satisfecit présidentiel implicite et un renouvellement de bail explicite après une année dense en polémiques se terminant par le feu d'artifice Benalla.
Grand oral
Depuis le début de l'affaire, Philippe a tout du paratonnerre. Dès le lendemain de la parution de l'enquête du Monde et alors que les ministres ont reçu la consigne de l'Elysée de ne faire aucun commentaire, c'est le Premier ministre qui se coltine la colère de l'opposition, au Sénat. «Cette affaire est aux mains de la justice et c'est très bien ainsi», déclare-t-il posément, refusant d'entrer dans les détails. Au total, en deux semaines, il aura répondu à 17 questions parlementaires sur l'affaire Benalla, selon le décompte de Matignon. «Le Premier ministre a été irréprochable», explique-t-on dans l'entourage du chef de l'Etat à la veille du grand oral d'Edouard Philippe devant l'Assemblée. Même l'agacement présidentiel naissant face à la cote d'amour d'Edouard Philippe chez les maires LR semble dissipé. En réalité, même si le Premier ministre a été de toutes les réunions de crise du premier week-end, cette affaire atteint le premier cercle macroniste. Ces «Mormons» qui ont fait la campagne avec Macron dont Philippe n'a jamais fait partie. Il s'est prudemment tenu à l'écart sur le fond, s'échappant même vers les routes du Tour de France pour réaliser «un rêve d'enfant». Son déplacement n'était pas sur commande présidentielle et Matignon a même pensé à l'annuler vu la tourmente. «Mais on a décidé que la vie des Français devait continuer et que lui avait été assez "enfermé" rue de Varenne», entre les évaluations des ministres et les arbitrages budgétaires, explique un de ses conseillers.
Tétanie
De fait, la mitraille politique est venue d'un trio de macronistes pur jus, de Castaner à Griveaux en passant par Schiappa, les poids lourds de l'équipe gouvernementale restant à l'écart. «Cela donnait le sentiment que le petit clan de la campagne présidentielle se refermait sur lui-même, analyse à froid un conseiller ministériel. Il aurait fallu faire tout l'inverse : monter une stratégie de com avec tout le monde. Mais pour sortir dans les médias, il faut avoir quelque chose à dire. Et là, on n'avait rien.» Ce qui n'incite pas à partir au feu, même pour essayer de l'éteindre. L'interview de Bayrou appelant au calme a d'ailleurs souligné, en creux, cette absence de cador en première ligne, une faiblesse du macronisme.
Entre le Président et le Premier ministre, même si Emmanuel Macron a mis les bouchées doubles passée la tétanie initiale, on est loin de l'incongruité de l'époque Sarkozy-Fillon, où le premier occupait tout l'espace et le second se planquait. Pour le sénateur marcheur François Patriat, «il y a d'un côté le respect de Macron pour son Premier ministre et de l'autre l'élégance de Philippe qui reste dans son rôle». D'où des cotes sondagières totalement liées, clouées au plancher pour l'instant : les 80 km/h ont fait reculer Philippe au printemps, Macron accuse le coup au creux de l'été avec l'affaire Benalla. Sans l'esquiver, le Premier ministre, qui a bossé son discours ce week-end au Havre, a l'intention de «replacer l'église au cœur du village» mardi, une des expressions fétiches de la majorité pour dire qu'il faut recentrer le débat sur les vraies priorités. «Il veut remettre l'affaire à sa juste mesure, se confronter aux oppositions et parler du boulot effectué depuis un an, fait valoir un de ses proches. En vrai, c'est une occasion en or qui nous est présentée.»