Avocat au barreau de Paris, Martin Pradel défend de nombreux jihadistes. Dans une ère où la peur du terrorisme fait de la suspicion un élément de certitude, il dénonce le décalage entre les principes juridiques fondamentaux et la réalité de la politique pénale.
Le contexte terroriste influe-t-il sur les pratiques judiciaires et si oui, comment ?
Nous vivons un moment de notre histoire judiciaire extrêmement sombre, où tous les principes sont inversés. Aujourd’hui lorsqu’il y a un doute, en particulier dans ces affaires, celui-ci ne va pas nécessairement profiter à la personne mise en cause, mais au contraire porter une inquiétude. Dans un contexte de lutte antiterroriste, une personne dangereuse est forcément coupable et, à défaut de démonstration exacte, cette suspicion auto-alimente la culpabilité. Dès lors qu’elle inspire le doute ou la suspicion, une personne sera traitée avec la plus grande sévérité. Aleksander H. n’est qu’un jeune confronté à cette suspicion : vous êtes en contact avec, qui est en contact avec, qui est en contact… Les critères d’«association de malfaiteurs terroristes» sont tellement relâchés qu’on trouve toujours un moyen de qualifier ce délit. On fait peser sur les profils de droit commun des charges dont ils sont totalement innocents. Jusqu’au stade de l’exercice de la peine, on a des mécanismes juridiques extrêmement lourds permettant de neutraliser ces individus considérés comme dangereux. Par principe, le juge d’application des peines va évincer toute peine alternative pour prolonger le contrôle. Quant au parquet, il fait tout pour qu’ils ne bénéficient pas d’aménagements de peine, alors qu’ils auraient pu en obtenir dans des dossiers de droit commun. L’objectif d’une justice impartiale est encore plus difficile à atteindre quand on parle d’antiterrorisme. C’est une machine à broyer.
Comment s’explique cette réticence des juges ?
Aujourd’hui, l’institution judiciaire en France est très faible en ce qu’elle est facilement critiquée par les pouvoirs publics. Dans un contexte de peur, on cède à la tentation de blâmer le juge pour son manque de clairvoyance. On voit se développer l’idée que les juges auraient pour mission d’empêcher ceux qui sont impliqués de recouvrir la liberté. Les magistrats vont modifier leur approche et percevoir qu’ils sont les derniers maillons d’une chaîne judiciaire à laquelle ils n’appartiennent pas. Or, les juges ne peuvent se porter garants de l’avenir d’un individu. Ce n’est pas leur rôle d’assurer au premier chef la sécurité publique, c’est le rôle de la police.
Une fois en détention, les détenus impliqués dans des dossiers terroristes souffrent de conditions de traitement particulièrement dures…
Oui. Je voudrais surtout parler des fouilles à nu qu’ils subissent. Une fouille à nu, ce n’est pas juste demander à la personne de se déshabiller. C’est explorer la personne. Combien ont été pratiquées sur Aleksander H. ? Ces fouilles, pourtant extrêmement humiliantes, sont systématiques. Ces pratiques de l’administration pénitentiaire sont tout à fait illégales. Enfin, dans ces dossiers particulièrement graves et complexes, les entraves à l’exercice d’une défense équilibrée sont tout à fait réelles. Nos horaires d’accès à la prison sont restreints, alors que ces détenus, souvent loin de leur famille, font face à un rouleau compresseur terrible. Et ont bien conscience d’être perçus comme des monstres.