Menu
Libération
Interview

Eric Coquerel : «L’affaire Benalla a révélé le manque de pouvoir du Parlement»

Pour Eric Coquerel, député de La France insoumise, les conditions politiques ont changé depuis le passage de la réforme à l’Assemblée.
Eric Coquerel, photo du 13 juin 2018 (Photo FRANCOIS GUILLOT. AFP)
publié le 1er août 2018 à 20h56

Le député La France insoumise de Seine-Saint-Denis Eric Coquerel a toujours été contre le projet de révision constitutionnelle. Après l'affaire Benalla, le texte a été reporté sine die, une décision positive pour l'élu qui juge «impensable d'adopter une loi institutionnelle alors même que les institutions sont mises à mal».

Dans quelle mesure le report de la révision constitutionnelle est-il lié, selon vous, à l’affaire Benalla ?

Même si je reste convaincu qu’il s’agissait dès le départ d’une mauvaise réforme qui affaiblirait les pouvoirs de l’Assemblée nationale, il est vrai que l’affaire Benalla-Macron rendait son examen impossible. Il est tout à fait impensable d’adopter une loi institutionnelle, alors même que les institutions sont mises à mal, c’est contradictoire. D’ailleurs, cette affaire a souligné deux problèmes : le contournement absolu de l’Etat, de la police et des autres institutions par Emmanuel Macron, en direct de l’Elysée. Elle a également révélé le problème actuel de notre pays, qui est le manque de pouvoir du Parlement.

Que reprochez-vous à ce projet avorté ?

Une réforme qui visait à diminuer encore le pouvoir du Parlement, c’était complètement indécent, surtout dans ces conditions-là. Mais sans Benalla, les oppositions se seraient malgré tout positionnées contre ce projet, car l’affaire révèle qu’on est face à une concentration de pouvoirs au-dessus de toutes les institutions légales. En ce sens, le projet de révision constitutionnelle cadre totalement avec la façon de faire d’Emmanuel Macron : une vision du pouvoir très dirigiste et personnelle. Cette réforme visait sans nul doute à entériner le souhait du président de la République de contourner encore l’obstacle que peut représenter l’Assemblée nationale dans la réalisation de son projet. S’il voyait cette réforme comme la clôture triomphale de sa première année à l’Elysée, elle a en fait été son premier couac notable. Et cela peut avoir des conséquences sur la suite des réformes qu’il espérait mettre en place.

Craignez-vous que l’exécutif tente de passer en force les mesures phares (baisse du nombre de parlementaires, non-cumul dans le temps, proportionnelle) qui ne nécessitent pas de modifier la Constitution ?

Le gouvernement serait très mal inspiré de s’embarquer là-dedans. Cela voudrait dire qu’il est complètement rétabli de la crise, et je ne pense pas que ce sera le cas à la fin de l’été. S’il voulait passer en force, il commettrait là une très lourde erreur. D’autant que je ne pense pas que le Sénat le suive : si le débat reprend à la rentrée, je doute que le texte soit adopté par les sénateurs. Jusqu’à maintenant, le Sénat à majorité Les Républicains (LR) hésitait et cette affaire l’a fait basculer dans l’opposition. Cela explique peut-être les déclarations de Richard Ferrand selon lesquelles le gouvernement n’a pas remis l’examen du texte à l’ordre du jour de la rentrée.

Les députés de la majorité se sont dits soudés au sortir de cette séquence. Avez-vous échoué à les faire douter ?

Cette affaire a créé un isolement des macronistes à l’Assemblée. Au début du quinquennat, les marcheurs profitaient de la position floue, voire ambiguë de certains groupes, qui ne savaient pas se situer par rapport à la majorité LREM-Modem écrasante. Je pense notamment au groupe Nouvelle Gauche. Au moment du vote de confiance au gouvernement, ils se sont largement abstenus, alors que les élus UDI-Agir ont voté en faveur du gouvernement d’Edouard Philippe. Les marges, qui faisaient un peu tampon, n’existent plus, elles sont complètement passées dans l’opposition.