Menu
Libération
Météo

Canicule : il fait chaud, tout va à vau-l'eau

Au-delà des conséquences prévisibles, la canicule suscite moult désagréments, plus ou moins graves et coûteux.
Street pooling rafraîchissant, mais tout à fait illégal, à Paris en 2017. (Photo Frédéric Fournier. Signatures)
par Delphine Bernard-Bruls, Arthur Le Denn, Ulysse Bellier et Victor Mauriat
publié le 2 août 2018 à 19h56

Ça monte. Les deux tiers des départements de l’Hexagone étaient placés jeudi en vigilance orange alors que la canicule s’étend vers l’ouest, le centre et le nord du pays… Au total, 66 départements sont concernés. Seule une frange du pays respire dans le nord, ainsi que sur le littoral de la Manche, une partie de la façade atlantique et quelques départements montagneux. Veinards.

Outre l'inconfort et la dantesque mollesse suscités par cette crue du mercure, des conséquences plus ou moins graves se font déjà sentir avec un sale air de déjà-vu. «On est déjà à flux tendu, a prévenu sur RMC-BFM TV l'urgentiste Patrick Pelloux, président de l'Association des médecins urgentistes de France. Ce qui se passe là, avec les afflux supplémentaires dus à la canicule, ça aggrave une situation déjà compliquée de travail dans les hôpitaux.» Corollaire de la chaleur et du trafic routier, un épisode de pollution à l'ozone est prévu vendredi en Ile-de-France. Le seuil d'information (à partir duquel il faut alerter la population) est dépassé dans une partie de la région Auvergne-Rhône-Alpes, dans le Var et dans les Bouches-du-Rhône. «On étouffe, on n'a nulle part où se cacher», témoignent de-ci de-là des SDF…

Les méfaits de la canicule (et toute la longue suite de conseils sur l’hydratation, les économies d’arrosage etc.), la France connaît. Les grandes entreprises, comme la SNCF, aussi (du moins on croise les doigts) : une noria de 460 000 bouteilles d’eau est mise en place pour hydrater 215 gares. Dans les trains, en cas d’avarie, le wagon bar pourra distribuer des boissons (non alcoolisées) après deux heures de retard, une si la clim est en panne. Mais la chaleur a aussi parfois des conséquences très inattendues qu’il n’est pas aisé (voire impossible) d’éviter. Florilège, en France et ailleurs.

Dons : en manque de sang

Les dons et donc les réserves de sang baissent chaque été, mais ce phénomène est aujourd'hui aggravé par les fortes chaleurs. «Ce n'est pas physiologique, mais quand il fait très chaud, les gens ont tendance à ne pas sortir de chez eux» et donc à ne pas donner, précise-t-on à l'Etablissement français du sang. «On est assez soumis au rythme des aléas climatiques. Quand il fait trop froid ou trop chaud, les donneurs restent chez eux.» Si l'appel lancé le 17 juillet a permis de remplir les réserves, le collecteur reste inquiet pour les prochaines semaines, les vacanciers étant loins des centres de prélèvement.

Binouse : l’Allemagne a soif

Les Allemands ont connu la semaine passée une inquiétante pénurie de bouteilles et cannettes de bière. Mais comment se fait-ce ? Ces contenants sont consignés outre-Rhin, et à cause de l’explosion de la consommation due aux fortes chaleurs, beaucoup de brasseries n’avaient plus de quoi mettre leurs bières en bouteilles. Inimaginable en France où, selon Brasseurs de France, c’est le vin qui domine. La bière représente à peine 16 % de la consommation d’alcool, contre 59 % pour le vin et 25 % pour les spiritueux. Pourtant, en 1975, l’ingurgitation de mousse était encouragée par fortes chaleurs par l’ancêtre de France 3 Régions. La recommandation ? Jusqu’à 1,5 litre par jour !

Autoroutes : n'en jetez plus

Pic de bouteilles envoyées par-dessus bord et avalanche de mégots. Selon une étude menée par Ipsos pour Vinci Autoroutes, un tiers des Français n’auraient pas de scrupules à balancer leurs déchets par la fenêtre de la voiture… Les sociétés d’autoroutes n’ont pas le temps de chômer, d’autant qu’avec 35 °C et des centaines de milliers d’automobilistes attendus sur le bitume pour ce week-end de chassé-croisé, il a fallu mettre les bouchées doubles. Sur l’autoroute 7, dite du Soleil, quelque 8 000 litres d’eau ont dû être stockés sur les aires de repos.

Zoos : rab de glace au sang

On ne le répètera jamais assez, en période caniculaire, l'important c'est l'hy-dra-ta-tion. Comme de nombreux humains, les animaux, exotiques ou de compagnie, n'ont bien souvent ni l'habitude ni l'envie de compenser en avalant des litres et des litres d'eau. Aussi les parcs zoologiques ont-ils recours à des stratagèmes à tout le moins surprenants : pour s'assurer de leur hydratation et de leur bien-être, les soigneurs nourrissent notamment les primates de sorbets au sang et aux morceaux de viande. Les herbivores ne sont pas pour autant en reste : oranges et autres fruits enfermés dans de gros blocs de glace leur sont distribués plusieurs fois par jours, a indiqué à Libération le zoo de La Palmyre (Charente-Maritime). Rien ne sert cependant de gaver les bêtes : tout comme les hommes, leur appétit chute à mesure que le mercure, lui, grimpe.

Chauve-souris : cerveaux cramés

Cela faisait quatre-vingts ans que le mercure n’était pas monté aussi haut à Sydney. Les premières victimes des 47 °C atteints en début d’année : les renards volants à tête grise, une espèce de chauves-souris vivant dans les arbres, et non pas dans des grottes comme certains de leurs congénères. Déjà classés comme «vulnérables» par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), ces animaux ne parviennent pas à réguler la température de leur corps lorsqu’ils sont jeunes. Si bien que le cerveau d’environ 400 d’entre eux aurait «cuit», selon les constatations des scientifiques. Les mammifères auraient alors été désorientés, et seraient morts de fatigue et de déshydratation. Dur.

Vêtements : le gilet à pains de glace

Des futés ont mis au point des tee-shirts antitranspirants. Mais il y a encore plus fort. A l’attention de tous ceux qui travaillent dehors sous un soleil de plomb et ne peuvent décaler leurs horaires, certaines marques ont vraiment mis le paquet et élaboré un gilet rafraîchissant, ou gilet à pains de glace. Comme pour un vulgaire pique-nique avec une glacière, il faut déposer les pains au congélo quelques heures avant de les glisser dans la doublure du vêtement. La marque hollandaise qui en commercialise garantit un effet cool «constant», sans aucun risque d’engelures.

www.inuteq.com/technologies/#pac. 69,95 €, pack de pains spéciaux, vendu séparément, 119,95 €.

Street-pooling : pas touche aux bouches

Dans les étages de certains immeubles de Seine-Saint-Denis, les habitants n'ont plus d'eau courante. Les responsables ne sont pas bien loin. Au pied des tours, des petits malins (un peu crétins ?) fissurent les bouches d'incendie pour se rafraîchir dans le geyser ainsi créé. Le phénomène est encore récent en France. Inspiré de la mode américaine du street-pooling, qui consiste à transformer la chaussée en une véritable piscine, il préoccupe aujourd'hui les autorités. «C'est une pratique dangereuse. En plus de causer des inondations, elle gaspille l'eau qui doit pouvoir nous servir à arrêter un éventuel incendie», regrette le capitaine Guillaume Fresse, de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. Environ 200 interventions pour ce motif ont été recensées cet été. Les sanctions peuvent être lourdes : jusqu'à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende.

Nucléaire : des réacteurs en pause fraîcheur

L’activité d’un réacteur nucléaire de l’Ain a été momentanément interrompue et deux autres ont vu leur puissance fortement ralentie depuis jeudi matin. La faute à qui ? A la canicule, évidemment. Pour des raisons environnementales plus que de sécurité, comme on pourrait le penser de prime abord, les centrales nucléaires sont surveillées de très près lors des grosses chaleurs. L’eau des fleuves est en effet pompée et utilisée pour refroidir les réacteurs, avant d’être à nouveau rejetée dans son lit. Mais relâcher de l’eau devenue trop chaude en raison des températures présente des risques écologiques non négligeables. Les limitations qui ont donné lieu à ce ralentissement nucléaire ont pour but de protéger la flore et la faune aquatiques. Cette pause nucléaire n’est pas sans rappeler la pittoresque image de la centrale de Fessenheim, dans le Haut-Rhin, arrosée par des jets d’eau en continu lors de la canicule historique de l’été 2003.

Vaches : envoyez l’hélico

Une vache consomme entre 50 et 100 litres d'eau par jour. Alors que les sources de montagne s'assèchent à vue d'œil, l'eau doit désormais être acheminée dans les pâturages par camion-citerne, mais aussi par hélicoptère. L'armée de l'air suisse s'est ainsi mobilisée depuis juillet à sept reprises pour apporter près de 210 000 litres d'eau aux bovins. Outre l'armée, des entreprises privées effectuent aussi ce transport. Le quotidien suisse le Matin rapporte que 300 000 litres d'or bleu ont été livrés dans les montagnes par la société Swiss Helicopter. Une opération qui n'avait pas été menée depuis des années.

Primeurs : le frais tout flapi

Les producteurs de salades ont chaud aux feuilles. Alors que la canicule risque de battre des records, le commerce des fruits et légumes frais souffre le martyre. La production quotidienne est en baisse. Les heures supplémentaires passées à arroser et entretenir les plantes n’empêchent pas les pertes. Cerise sur le râteau, selon Jacques Rouchaussé président des producteurs de légumes de France, les ventes pâtissent également de ce gros coup de chaud. Aucun pic de ventes de crudités ou autres fruits frais n’est à signaler. Motif ? Les marchés sont vides dès 10 heures du matin, lorsque la fraîcheur s’en est allée… Double peine pour les primeurs : les chambres froides remplies coûtent plus cher à faire tourner, et n’empêchent pas les pertes…

Télé : «l'Amour» est dans les ronces ?

Nos voisins belges supporteront-ils les fortes chaleurs ? La production de la version wallone de L'amour est dans le pré est inquiète : l'avance de la moisson contraint les agriculteurs cherchant l'âme sœur à travailler jour et nuit pendant le tournage, et donc à délaisser leurs prétendantes. «Nous choisissons de tourner l'émission chaque année du début juillet à la mi-août pour le ciel bleu, précise à Ciné Télé Revue la production de l'émission de télé-réalité. Mais [avec la canicule], les agriculteurs de cette saison ont eu moins de temps à consacrer» aux candidates. Sudinfo.be ajoute : «Certaines seront sans doute déçues, mais d'autres profiteront peut-être de ces conditions pour s'immerger encore un peu plus dans le quotidien de la ferme.»