Menu
Libération
Témoignages

C'est quoi le style Robuchon ?

Sa cuisine a marqué de nombreux cuisiniers, qui reconnaissent au chef une vraie personnalité et une maîtrise parfaite des produits et des techniques. Témoignages.
Joël Robuchon en 1994, dans son restaurant à Paris. (Photo Gérard Fouet. AFP)
publié le 6 août 2018 à 16h08
(mis à jour le 6 août 2018 à 16h53)

Pierre Gagnaire, chef trois étoiles à Paris : «Il aurait dû être notre juge de paix»

«Il était la rigueur poussée à son paroxysme. Chaque service était pour lui un concours de Meilleur ouvrier de France (MOF). Pour moi, Escoffier/Robuchon, même combat car il a réécrit l’héritage du père de la cuisine moderne. Avec Joël Robuchon, tout était inscrit dans le marbre. S’il avait décidé un jour que ses filets de rouget devaient peser 120 grammes, se fournisseurs se devaient de lui en livrer toute l’année de ce poids-là. Il était d’une précision diabolique et s’imposait à lui-même toutes ses exigences. Il a fait des affaires dans le monde mais il est resté cuisinier jusqu’au bout. Il était très timide et très intériorisé mais faisait l’unanimité. Après Bocuse, il aurait dû prendre le pouvoir parmi nous. Il aurait dû être notre juge de paix.»

Victor Mercier, cuisinier et ancien finaliste de Top Chef : «L’un des plus grands sauciers»

«Joël Robuchon était un très grand technicien, sans doute l'un des plus grands. Il maîtrisait extrêmement bien les produits auxquels il recourait et les respectait. Pour ma part, je le considérais comme l'un des plus grands sauciers au niveau mondial. C'était un innovateur, notamment avec ses restaurants les Ateliers. Il a réussi à créer une haute-gastronomie "décomplexée". Qui l'aurait cru quelques années plus tôt ? Lorsque j'étais candidat dans Top Chef, il avait supervisé une épreuve à laquelle j'ai participé. Il était à l'écoute, curieux d'entendre nos propositions et extrêmement bienveillant. Au-delà d'un chef, c'était un homme qui avait une grande capacité à former les gens.»

A lire aussiLa Restauration

Michel Sarran, chef deux étoiles à Toulouse et juré de Top Chef : «Une sorte de Steve Jobs de la cuisine»

«La différence entre les chefs ne se fait pas tant au niveau de la technicité, mais plus au niveau de la personnalité. Et la cuisine de Joël Robuchon était justement le reflet de sa personnalité. Il aimait mettre en valeur des produits simples, comme sa célèbre purée de pommes de terre. C'était un chef audacieux, un véritable "monstre" de la cuisine. Il a réussi à faire connaître la haute gastronomie dans le monde entier. Les deux pays qui l'ont influencé sont l'Espagne et le Japon. Cela se ressentait dans sa cuisine, qui mêlait à la fois un côté très latin et très sobre, voire strict.

«C'est l'un des premiers à avoir ajouté les fameux "petits points" de sauce autour de l'assiette. C'était aussi, et c'est un compliment, un businessman accompli. Il ne s'interdisait rien et il est parvenu à codifier sa cuisine. Peu importe que vous mangiez dans un de ces restaurants en France, au Brésil ou à Macao. Vous retrouviez toujours le même produit, du plat à la décoration. C'est cette rigueur qui lui a permis de conquérir l'adhésion de tous. C'était un peu le Steve Jobs de la cuisine, dans le sens où son concept a plu partout dans le monde. Nous lui devons une certaine démocratisation de la grande cuisine.

Mathieu Pacaud, chef du trois étoiles l'Ambroisie à Paris : «Il est à la gastronomie ce que Liszt est à la musique»

«Ce que je retiendrai de Joël Robuchon, c’est sans hésitation sa technique d’une précision époustouflante. Dans sa cuisine, tout est absolument maîtrisé, rien n’est laissé au hasard, notamment en matière de cuisson, il est inégalable. Il est à la gastronomie ce que Franz Liszt est à la musique classique : un très très grand homme. Il est l’un des plus grands génies de notre époque, on ne reverra pas un tel inventeur, un tel précurseur d’ici bien longtemps, c’est certain. Joël Robuchon restera d’autant plus dans l’histoire de la gastronomie française qu’il était issu des Compagnons du devoir. Aussi, il avait ce vrai goût de la transmission de ses savoirs et de ses techniques. Mais il ne faut pas s’y tromper : apprendre auprès de Joël Robuchon, c’est aussi se frotter à une rigueur quasi militaire. Il a placé la barre très haut pour la relève.»

Ghislaine Arabian, cheffe deux étoiles à Paris : Robuchon, c’était «la perfection, mais pas une perfection ennuyeuse»

«Ma première rencontre avec Joël Robuchon et sa cuisine remonte à l’époque où il venait d’obtenir deux étoiles dans son restaurant du XVe arrondissement à Paris. On était venus de Lille, je n’étais pas en cuisine à cette époque là, mais ça a été un grand moment, j’avais été épatée. Nous avions demandé à le voir, j’avais adoré sa façon d’être : il avait été d’une gentillesse extrême, souriant… Ce qui m’avait frappée, c’est cette impression d’humilité à l’opposé de l’époustouflante précision de sa cuisine. Ca paraissait d’autant plus incroyable qu’on faisait un grand écart entre l’homme, très discret et très humble, et de l’autre côté, la perfection de sa cuisine.

«Tout ce qu’il faisait, il le faisait avec une telle exigence, une telle précision, que ça devenait à chaque fois un plat unique. Ça, ça m’a beaucoup marquée. Sa précision, c’était époustouflant, il respectait ce qu’il travaillait, le produit, les temps de cuisson, c’était incroyable. C’était une perfection qui n’était pas ennuyeuse, elle m’éclatait ! Le respect qu’il mettait dans sa cuisine et dans le travail des produits, au fond, témoignait de son respect pour ses clients.»

Franck Pinay-Rabaroust, fondateur et rédacteur en chef du site indépendant d'information Atabula.com, consacré à la gastronomie : «Sa rigueur était connue de tous les chefs»

«La patte Robuchon, c’est sans doute son ultracomplexité. Son degré d’exigence qui n’existait pas à ce point auparavant en cuisine. Et ce, jusque dans le détail. Jusqu’à l’esthétique du dressage de l’assiette, ce qui avant lui n’était pas très développé. Sa rigueur très pointue était connue de tous les chefs qui rêvaient de passer par ses cuisines : une école de l’excellence. Mais dure aussi. Parfois poussée à l’extrême, comme je m’en suis aperçu lorsque j’ai travaillé sur les violences en cuisine… Reste que comme chef, il a su faire. Et le faire savoir aussi, notamment grâce à Guy Job, le fondateur de Gourmet TV. C’est lui qui lui a donné accès à la sphère médiatique, l’a aidé à travailler son image, a intégré le réseau maçonnique et à se créer tout un réseau robuchonien de par le monde.»