Et donc, installation à la campagne il y a sept ans, après quarante-cinq ans de Paris, achat d'une mignonne chaumière, un rêve de bobo du XIe, avec ses tomettes, ses poutres, ses cheminées et ses 120 m² au prix d'un parking dans le même arrondissement. Et donc, aussi, un jardin pour mettre la piscine hors-sol et sa maison à chauffage solaire, comme à Brégançon mais en un peu moins cher (800 euros pour une 6 mètres sur 3), la cabane des amis, l'atelier pour papa et les poules pour maman. Parce que maman, en sus d'avoir quatre chats, elle veut des poules, parce que, comme le dit fort justement le site Chemin-des-poulaillers.com, au rayon comment élever des poules, «les œufs sont l'un des principaux avantages à l'élevage de poules». Les chats, non. Oui, il fallait y penser… Ou encore : «La poule est un animal très sociable et a besoin de compagnie», comme maman, quoi, surtout à la campagne où l'indigène est rugueux, parfois.
Ayant déjà écrit force papiers sans concession sur la mode des poules qui serait le nouvel animal de compagnie, on avait déjà une petite idée de ce que ça signifie, d’en élever. C’est-à-dire rien, on n’élève pas des poules, les poules, c’est très con, donc rien à en tirer, sinon des œufs et une immense affection, car la poule est un volatile total stupide, mais très marrant et attachant. Non, je ne suis pas saoule, je vis avec des poules depuis six ans, la première venait se nicher sur mon épaule dès que j’étais assise (photo sur demande).
Première question, la poule peut-elle cohabiter avec des tas de chats ? Renseignements pris chez un marchand avisé qui nous vendit deux petites poules soie hors de prix, ravissantes mais à tout petits œufs (erreur de bobo narcissique et débutant) : oui, sans problème. Il faut en prévoir deux, sinon elles s’ennuient, et s’attendre à récolter entre 150 et 300 œufs par an : les miennes sont donc des grosses feignasses avec de longues périodes d’abstinence œufesque pouvant durer des semaines, et tu peux toujours les menacer de la casserole, elles n’en n’ont rien à pondre. En particulier l’hiver, où il faut aller au magasin acheter ses œufs bio et continuer d’entretenir ces deux pouffes se pavanant dans le jardin. Méthode à suivre pour avoir chez soi des poules, qui en plus contribuent à la tendance zéro déchet, so 2018, vu que ça bouffe tout.
Construire le poulailler
Là, il faut demander à papa, c’est lui qui l’a construit de ses mains (comme la cabane à amis et le coffrage très chic de la piscine). En gros, il faut impérativement un ou plusieurs pondoirs, dixit le site susdit, un ou plusieurs nichoirs sur lesquels dorment les poules, un abreuvoir et une mangeoire. Un plan d’architecte sur papier, les courses au Brico (environ 100 euros de bois plus de la récup de grillage), un week-end de travail, de la paille pour qu’elles aient chaud (5 euros la botte de 1,20 m, une par an, plutôt que les paillettes de lin, que ces dames détestent). Résultats des courses, ces intéressants gallinacés ne mettent pas les pattes dans la maison bien chaude de paille (c’est ce grand crétin de Tennessee qui y dort), pondent absolument n’importe où en changeant d’endroit à chaque fois - c’est commode pour trouver les œufs - et dorment par terre. Alors que papa avait prévu tout bien - sa jolie petite cabane en bois et en hauteur (sur pilotis) avec sa pente pour descendre, son espace clos avec grillage et bois, son jardinet bordé d’un mur en pierre, à l’ombre, avec son arbre au-dessus d’une petite mare -, leur idée fixe, c’est de sortir de là pour aller flinguer le gazon, chier dans la maison et bouffer dans l’assiette des chats. Lesquels ne disent rien, sauf Jean Moulin qui s’agace un peu parfois et Sigmund qui crache parce que la bouffe, pour lui, c’est sacré.
Sélectionner les gallinacés
Plusieurs options : une ferme à côté, un genre de Gamm vert, des copains qui en ont, des poules, un éleveur pro. C’est cette dernière option qu’on a choisie pour les deux premières bestioles, et les conseils du monsieur furent précieux : les laisser enfermées au début dans l’enclos afin qu’elles s’habituent, les nourrir à heure fixe, puis les laisser sortir progressivement dans le vaste monde. Un peu comme un stage d’adaptation à la crèche, oui. On les ramena dans la caisse de transport des chats (deux places) de chez l’éleveur, avant de s’extasier sur la beauté des personnes, belles comme des poules de luxe, et aujourd’hui décédées, l’une de mort subite, l’autre sans doute pécho par une fouine, gros prédateur du genre. Paix à leur âme, aujourd’hui vivent sur site la grosse blanche et la ravissante rouquemoute, l’une donnée par l’amie Karen parce qu’elle faisait souffre-douleur de ses trois autres, l’autre achetée chez Gamm vert, le fermier bio qui en vendait étant par trop désagréable.
Leur donner un nom
Option facilement laissable de côté, évidemment, mais on n’a pas résisté - puisque Johnny, c’est pas trop possible pour une poule (le chat, oui, mais il est décédé prématurément à 19 ans et demi) - à Mazel et Tov. Comme ça, quand il y a un œuf, on lève les bras en l’air et on crie quoi ? Voilà.
Les nourrir
Un gros poste, ça, parce que soi-disant elles trouvent des trucs dans la terre genre vers, insectes, fruits. Les miennes, non, elles ruinent le potager de papa, s’empiffrent d’aliments complets (maïs, blé, tournesol, pois, luzerne, coquilles d’huîtres bonnes pour la coquille des œufs, etc.) et bio, achetés par sac de 20 kilos à 34,90 euros. Deux par an en gros. Du coup, il faut le distributeur à graines à recharger toutes les semaines, une mangeoire (30 euros le tout) et surtout de l’eau (l’hiver, quand il gèle, ajouter de l’eau tiède régulièrement, les Anglais leur mettent des petits manteaux aussi, mais non). Et surtout, elles accourent comme des folles en entendant la voix de maman, qui rime avec super bonnes choses genre lardons, jambon cru, maïs, bouts de viande (non, pas du poulet, on n’est pas des sadiques). Le problème, c’est quand maman n’a rien dans les mains, elle est juste en train d’assener une conférence ou de dire bonjour à autrui dans le jardin : elles se pressent autour des pieds, manquant de faire choir la figure maternelle qu’elles suivent partout en permanence. C’est assez gonflant, d’autant que les chats, jaloux, en font autant, ce qui fait que chaque tour dans le jardin ressemble au joueur de flûte de Chantilly avec la ménagerie derrière. Et encore, on n’a pas pris l’option chèvre, le jardin étant supposément trop petit, dit papa. Enfin, on a des œufs régulièrement, alors que les chats ne fournissent rien, eux. A part des trucs morts sur mon lit. Voire sous la couette - Sigmund, tu pousses, là.
Le vivre ensemble
C’est très facile, surtout avec Mazel qui est de très bonne humeur tout le temps, et très attachée à maman. On la prend dans les bras comme un bébé (ou un cubi en fin de soirée), on peut aussi lui chanter des petites chansons, elle est toujours ravie. Elle serait sans doute prête à dormir dans le lit, mais papa ne veut pas, on est déjà six avec les chats. Tov, la nouvelle ravissante (Mazel est restée seule un petit moment pour cause d’accident de chat, de clavicule cassée chez les humains, mais je te passe les détails), qui a bien failli s’appeler Magda (Goebbels) vu comment elle a été sympa au début, répond enfin à la voix de maman, et s’approche plus comme Sissi (le chat beauté de maminou) que comme la grosse, qui court comme une dératée vers l’humaine même si elle va juste se baigner (l’humaine : la poule, quant à elle, se roule dans des trous de terre pour se nettoyer et enlever les parasites, on met de la cendre dedans pour qu’elles se nettoient. On a une cheminée, on te dit). Des petits pas un peu snobs, genre «oui bon, ça va, tu attends que je sois prête, j’ai des trucs à faire, là», et contrairement à la grosse Mazel, elle arrive à se percher sur le petit muret, histoire d’observer le monde en marche d’en haut.
Pour le dodo, c’est très facile, elles se couchent quand il fait nuit et se lèvent quand il fait jour. La rousse commence à kiffer les caresses, on avance bien. On a énormément ri quand on a donné des œufs (commandés sur Internet) à couver à Mazel, pour avoir des poussins. Papa avait installé un portier électronique à pile qui ferme la porte à la tombée de la nuit et rouvre le matin (pour protéger des fouines, essentiellement). Elle a super bien bossé, mais les très jolis petits bébés poussins tout mignons «cœur avec les doigts» sont devenus d’immondes créatures vaguement punks, avec une espèce de crête carrée noire et haute sur des corps petits et jaunes, maman n’en a pas voulu, on les a fourgués à la ferme d’à côté. Oui, chez les poules aussi, il peut y avoir délit de sale gueule.
Jeudi J'ai testé le véganisme