«Mais pourquoi les LGBT ont-ils besoin de créer leurs propres Jeux olympiques ?» lancent, railleurs, de nombreux internautes, depuis l'ouverture samedi dernier de la dixième édition des Gay Games, à Paris. Une compétition sportive où 10 317 athlètes venus de 91 pays peuplent les stades de foot, pistes d'athlétisme ou centres aquatiques. La critique ruisselle. Indéniablement, l'intitulé de cet événement sportif laisse transparaître un certain communautarisme. Oui, mais un communautarisme non souhaité à l'origine.
Le sport reste en effet à la traîne dans le combat contre les discriminations liées à l'orientation sexuelle. Si des athlètes professionnels commencent à sortir du placard dans les pays anglo-saxons, l'homosexualité est encore un sujet tabou dans le sport français. Selon un sondage de l'institut Ifop publié en juin, environ 20 % des athlètes LGBT auraient déjà été victimes de discrimination en club… De la même façon, voilà des années que l'association SOS Homophobie pointe dans son rapport annuel «le dénigrement et le rejet» auxquels les personnes LGBT sont confrontées dans les différents clubs et compétitions «standards».
Pour échapper à cela, on a vu éclore ces dernières années une cinquantaine d'associations sportives «gay friendly» placées sous l'égide de la Fédération sportive gaie et lesbienne (FSGL). C'est aussi pour contrer l'homophobie ambiante qu'ont été créés les Gay Games, en 1982. Ils offrent depuis un environnement sécurisant à celles et ceux qui aiment le sport. Sans pour autant écarter les hétérosexuels, qui peuvent aussi participer. «Certaines de mes coéquipières ont vécu des situations sous les douches où ça se passait mal. La plupart du temps, leurs anciennes coéquipières, très majoritairement hétéros, se sentaient observées… à tort», raconte Apolline Honorat, volleyeuse dans le club LGBT du Contrepied (lire ci-contre). Mais dans les sports d'équipe, c'est plus souvent le football qui est pointé du doigt. Un rapport commandé par le ministère des Sports en 2014 révélait notamment que dans les centres de formation, les insultes telles que «pédé» ou «tapette» font florès.
Reste que dans la grande majorité des sports, l'homophobie ne revêt pas une forme aussi frontale. «Je n'ai jamais eu affaire à des insultes ou des agressions physiques, indique Cyril, participant aux Gays Games venu de Tours. En revanche, l'omerta autour de l'homosexualité est totale.» Alors, si le terme Gay Games en irrite certains, sur place les athlètes, eux, ont des arguments à faire valoir. Contre l'homophobie, bien sûr, mais aussi contre le «sport genré» ou l'exclusion des personnes handicapées… Témoignages avant la clôture des jeux ce dimanche.
Apolline Honorat, 39 ans, volley : «Jouer ensemble pour vivre ensemble»
«J’ai déjà participé aux Gay Games de Cologne en 2010. C’est surtout un événement festif, où l’acceptation des différences, de l’autre est mise en avant. Cette édition est encore plus spéciale pour moi. En 2014, j’ai eu un accident de moto en région parisienne. J’ai été amputée d’une partie de ma jambe. Pendant trois ans, je ne pouvais plus jouer, c’était compliqué. Je me sentais déjà différente du fait de mon orientation sexuelle. Etre handicapée en rajoute une couche. Etre lesbienne, c’est un processus, ça se fait petit à petit. Mon accident, ça a été un choc brutal. Plus difficile à vivre.
«C’est l’acceptation des différences par le vivre et le jouer ensemble qui m’a fait me sentir à nouveau bien dans mon corps. Il y a un an j’ai proposé à mes amies de Contrepied, un club de volley LGBT parisien, de remonter une équipe pour participer aux Gay Games. C’était l’objectif. C’était important pour moi de reprendre confiance avec mes amies. Et je trouve que le sport est un vecteur hyperpuissant pour cela.
«Maintenant je m’accepte totalement en tant que lesbienne et handicapée. Sur le terrain je retrouve des sensations. Je ne pense même plus à mon pied. Je n’ai pas envie d’avoir la pitié des gens, juste de vivre normalement malgré mes différences. L’esprit d’ouverture qui anime les Gay Games permet cela. L’idéal serait qu’un jour il n’y ait plus besoin de tels jeux. Mais vu les insultes et les propos homophobes qu’on entend encore dans le sport, et plus globalement dans la société, je n’ai pas fini d’y participer.»
Nicolas Speranza, 46 ans, natation synchronisée : «Il y a une pression sociale à ne pas faire un sport de fille»
«Je nage depuis mes 9 ans. La natation synchronisée, elle, est venue plus tard. Je l’ai découverte un peu par hasard à l’âge de 30 ans, après un déménagement à Paris pour le travail. Une équipe masculine s’était montée dans un des clubs LGBT de la capitale, le Paris-Aquatique, dans lequel je m’étais inscrit. Je n’avais jamais songé à en faire avant ça. Jamais un entraîneur de natation n’encouragera un jeune homme à s’orienter vers cette discipline ! C’est la même chose avec la danse et la gymnastique rythmique. Les garçons qui s’initient à la natation synchronisée ont souvent une mère ou une sœur qui en font aussi. Et la plupart d’entre eux abandonnent du fait de la pression sociale. Sous prétexte que certaines disciplines paraissent être artistiques, ce seraient des «sports de fille».
«C’est dommage que ces clichés genrés et tenaces empêchent des jeunes hommes de se réaliser sportivement. Justement, les Gay Games participent à un mouvement plus global d’ouverture de chaque discipline à tous. A l’heure actuelle, c’est encore la seule compétition dans laquelle je peux me produire en couple non-mixte ! Heureusement, cette vision genrée du sport tend à se réduire depuis 2015. La Fédération internationale de natation (Fina), qu’on ne peut pas vraiment qualifier de progressiste, a enfin donné l’autorisation aux grandes compétitions de natation synchronisée d’organiser des épreuves en duo mixte. Avant cette date, les garçons ne pouvaient participer qu’à des compétitions mineures. Espérons que cela offre une meilleure exposition de la discipline auprès du public masculin dans les prochaines années.»
Thierry Zapha, 54 ans, athlétisme : «Je participe par solidarité et pour le côté festif»
«Il y a quelques années, j’ai rencontré un athlète homosexuel en club. Il court à la fois dans un club «classique» et dans un autre, plus gay-friendly. Quand je lui ai demandé s’il connaissait une compétition organisée en été car c’est souvent le calme plat à cette période de l’année, il m’a proposé de participer à une compétition gay d’envergure nationale. C’était en 2016.
«Même si je suis hétérosexuel, j’y suis allé sans hésiter parce que je connais ce milieu. Mes frères et sœurs sont musiciens. Ils sont amenés à faire des représentations dans des soirées gay-friendly depuis plusieurs années. C’est à force de fréquenter la communauté LGBT lors de leurs représentations que j’ai remarqué à quel point l’ambiance y est festive, bon enfant. Les gays aiment la vie et savent en profiter. La compétition de 2016 s’est tellement bien passée que j’avais promis à mon ami de m’inscrire pour les Gay Games à Paris. Et je ne regrette pas.
«Ces jeux transpirent d’humanité. Les accolades sont spontanées, ce qu’on ne voit pas forcément dans certaines autres compétitions. Et puis je ne vois pas en quoi des préférences sexuelles différentes pourraient empêcher les gens de bien s’entendre.
«Je participe aussi par solidarité: tant qu’il y aura de l’homophobie, il y aura une nécessité d’exposer la communauté LGBT même s’il y a eu de nombreuses avancées comme le mariage pour tous. C’est ce que j’explique aux personnes qui pourraient taxer l’événement de communautariste ou qui sont surprises à l’idée de savoir que j’y participe.»
Catherine Berdix, 53 ans, bowling : «Dans mon sport, c’est plutôt les hommes d’un côté, les femmes de l’autre»
«Quand j’ai su que les Gay Games auraient lieu à Paris, on n’était qu’en 2016. Et je me suis inscrite tout de suite ! Il fallait que j’en sois, quoi que ça me coûte. Je suis une femme, je suis noire, je suis homosexuelle : ça fait énormément de casquettes. Et de pouvoir les présenter comme ça avec tellement de fierté dans l’entrée du stade, c’est vraiment fort. Il faut rappeler le contexte lié à l’apparition des Gay Games en 1982 : à l’époque, quand vous étiez athlète de haut niveau, vous ne pouviez pas dire que vous étiez homosexuel(le). Vous étiez d’emblée montré(e) du doigt. Durant les derniers JO, il y a eu des demandes en mariage, tout ça s’est libéré mais…
Dans ma discipline, je n’ai jamais eu affaire à des actes homophobes ou une quelconque discrimination. Mais là où ça commence à coincer, c’est en dehors. Lorsqu’on commence à boire un verre après les matchs et que les amis, les conjoints de vos coéquipières viennent. Quand on est homosexuelle, on se demande toujours si on va vraiment présenter sa compagne ou s’il faut trouver des mots flottants.
«Avant le bowling, j’ai fait trente ans d’escrime. Et je n’ai jamais eu l’impression qu’il y ait eu des cases homos ou hétéros. On n’en parlait pas. Au bowling, c’est différent. C’est beaucoup plus masculin, et plus codifié : les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. On sent des clivages, tant sur le sexe que sur la sexualité. Pour dépasser cela, je pense qu’il faudrait que les sportifs de haut niveau prennent encore plus la parole. Et fassent leur coming out.»
Photos Albert Facelly