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Libération
Reportage

«Chaque produit a des doses maximales, c’est maîtrisé»

Pour les agriculteurs Christian Mochet, 53 ans, et Jean-François Vallée, 40 ans, il est difficile de totalement se passer du glyphosate.
publié le 13 août 2018 à 19h26

Non loin du massif forestier de Liffré, à Servon-sur-Vilaine (Ille-et-Vilaine), Christian Mochet, qui exploite avec deux associés une ferme de 105 hectares pour 90 vaches laitières, défend un «usage raisonné» des produits phytosanitaires. Et insiste sur la réglementation rigoureuse qui encadre leur usage. Dans le local dédié aux produits de synthèse de son exploitation, il montre les étiquettes sur les bidons entreposés dans une armoire en fer : «Chaque produit a des doses maximales homologuées, avec des dates d'utilisation avant récolte pour être sûr qu'il n'y ait pas de résidus dans les cultures. Les pulvérisateurs sont également soumis à des contrôles techniques tous les cinq ans. Tout cela est maîtrisé.»

Carburant

Surtout, hormis les mauvais élèves qui voudraient un champ de blé «nickel-propre, sans une mauvaise herbe qui dépasse», il juge dans l'intérêt de tous les agriculteurs, ne serait-ce que pour des raisons financières, d'en limiter l'utilisation. Pour ce qui est du glyphosate, «trois ou quatre litres par hectare, c'est trop», soulignant pour sa part se limiter «à un litre». A ces doses, il y a «peu de risques», selon lui, qu'on en retrouve dans l'eau et aucune raison qu'il en reste des traces dans les produits d'origine agricole. L'éleveur insiste aussi sur les précautions pour pulvériser ses herbicides, pour un maximum d'efficacité et en limiter la volatilité. Hydrométrie, force des vents, rien n'est laissé au hasard. «Le matin ou le soir sont les meilleures périodes de la journée pour pulvériser ces produits. La nuit est le moment idéal. Certains agriculteurs dorment le jour et pulvérisent la nuit, ce qui peut permettre de diminuer les doses de moitié.»

Autre argument avancé par cet exploitant en faveur de l'herbicide : les frais de gasoil générés, en agriculture bio, par le passage de la charrue, pour retourner la terre et enfouir les mauvaises herbes. Une tâche très gourmande en carburant qui va avaler plusieurs dizaines d'euros à l'hectare, quand il n'en coûte qu'une dizaine avec le glyphosate. Bref, selon Christian Mochet, il y a certes des pistes à creuser, comme la culture de «plantes compagnes» semées avec le blé ou l'orge pour étouffer les mauvaises herbes, mais ce n'est pas demain qu'on pourra se passer de l'herbicide.

Couvert végétal

A quelques dizaines de kilomètres, à Saint-Marc-sur-Couesnon, Jean-François Vallée, qui dirige avec son épouse une exploitation de 120 hectares d'orge et de blé principalement, a considérablement fait évoluer ses pratiques. Mais il estime devoir encore, même marginalement, avoir recours au glyphosate. Sur des sols peu profonds où affleure la roche, plus question d'utiliser le moindre engin mécanique, comme il l'a fait durant des années, usant le soc de ses charrues comme l'acier de ses outils à disques, tout en favorisant l'érosion des parcelles. «Jusqu'en 2007, tout allait mal. J'étais dans un travail du sol intensif et je passais mon temps à pulvériser du désherbant sans parvenir à éliminer les herbes indésirables, tandis que mes rendements diminuaient. Une nuit j'ai pris conscience de mon problème : la clé se trouvait dans la vie du sol, qui était en train de mourir et que je devais cesser de travailler pour qu'il retrouve toute sa matière organique.» Il a alors commencé «à faire des semis directs, sans travailler la terre, et ça a marché très bien». Dans la foulée, l'éleveur adopte des techniques originales en multipliant la plantation de nouvelles espèces pour accompagner la culture des céréales : tournesol, phacélie, féverole et autres plantes susceptibles d'être éliminées par le gel en hiver. Objectif : assurer un couvert végétal permanent qui empêche la pousse des mauvaises herbes. Mais aussi nourrir les sols, voire servir de repoussoir pour certains insectes. «Ces couverts végétaux protègent aussi les sols des intempéries et ne demandent que le passage d'un semoir dans les champs tiré par un tracteur peu puissant, ce qui représente une importante économie d'énergie par rapport au travail mécanique de la terre», ajoute Jean-François Vallée, dont la ferme s'est quasiment vidée des engins agricoles qu'elle pouvait autrefois abriter.

Reste certaines graminées, pour lesquelles l'agriculteur, qui n'utilise plus ni insecticides ni fongicides, estime n'avoir d'autre solution que le recours au glyphosate. En quantité néanmoins limitée : «Autrefois, j'en utilisais 3 litres à l'hectare. Aujourd'hui, j'en suis à 0,8 litre et on n'en a jamais retrouvé trace dans les eaux de drainage. Mais si demain, on nous supprime ce produit, c'est tout notre système vertueux de régénérescence et de protection des sols qui sera remis en cause.»