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Libération
Récit

Des ministres en congés sauf sinistre

Pour éviter toute vacance du pouvoir pendant l’été, les cabinets veillent à ce que les membres du gouvernement puissent être alertés dès qu’une crise survient, quitte à interrompre leurs congés sur le champ.
Un membre de la sécurité présidentielle derrière une fenêtre de l’Elysée, le 25 juillet. (Photo Kamil Zihnioglu)
publié le 15 août 2018 à 20h36

Si Twitter prend un malin plaisir à moquer le séjour d'Emmanuel Macron au fort de Brégançon, force est de constater que le président de la République continue à gérer des dossiers pendant ses vacances. Alors qu'elle rentrait seule d'une balade à vélo, Brigitte Macron a assuré devant les caméras de LCI que son mari avait «beaucoup de travail». De fait, après deux jours de négociations et d'incertitudes, Emmanuel Macron a annoncé que la France allait accueillir 60 des 141 migrants présents à bord du navire Aquarius. Une décision prise au terme de moult échanges avec les partenaires européens, pour trouver une issue à l'errance du navire. «Le président de la République ou le Premier ministre ne peuvent pas se permettre de disparaître pendant deux ou trois semaines, explique une ancienne conseillère presse du gouvernement Hollande. Le cabinet s'organise donc en fonction de l'actualité, pour montrer que même s'ils sont en vacances, le chef de l'Etat, le Premier ministre et les autres membres du gouvernement sont en situation de reprendre à tout moment leurs activités.»

Le Groupe de sécurité du Premier ministre (GSPM), chargé d'assurer sa sécurité, acquiert un rôle nouveau puisque, contrairement à son cabinet, il accompagne le chef du gouvernement sur son lieu de vacances. Il travaille au plus près de lui et connaît ses habitudes : «Ses membres savent que leur rôle, pendant les vacances, consiste un peu à remplacer le cabinet, indique une ancienne conseillère de Matignon. Ils font le lien entre le dircab et le Premier ministre, c'est à eux qu'on s'adresse en priorité pour joindre le chef du gouvernement, caler un horaire, etc. L'été, ils sont un peu les anges gardiens du cabinet.» Et ce régime de vacances en pointillé du chef de l'Etat et du Premier ministre vaut pour tous les membres du gouvernement qui sont certes en congé jusqu'au 22 août, mais dont les cabinets s'organisent pour tenir la boutique. Objectif : avancer sur les dossiers en cours, préparer la rentrée, et surtout rester en alerte pour prévenir les imprévus et les situations exceptionnelles.

«On est aux aguets»

Pour assurer cette permanence, un roulement s'établit dans les cabinets ministériels, qui fonctionnent en général par binômes (chaque poste étant doublé d'un adjoint). Quand le numéro 2 du ministre, le directeur de cabinet part en congé par exemple, c'est son adjoint qui le remplace. Compétent sur tous les sujets, c'est lui qui assure la liaison avec le ministre. «On le joint au moins une fois par jour au téléphone, pour le tenir au courant de ce qu'on fait et prendre ses instructions», explique Dimitri Lucas, conseiller à Bercy, du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

Deux autres postes doivent toujours être assurés même dans les semaines les plus creuses du mois d'août : celui de chef de cabinet - qui organise notamment les déplacements du ministre - et celui en charge de la communication. «On est aux aguets, indique un ancien membre du cabinet de Manuel Valls, car c'est difficile de prévoir les sujets de presse, et on est souvent seul. En août 2016, l'affaire du burkini nous est tombée dessus tout d'un coup.»En pleine polémique la «plume» de Manuel Valls a dû écrire en vitesse une tribune «car il fallait que le Premier ministre réagisse». Pas possible que Matignon garde le silence sur un sujet aussi sensible.

Ancien chef de cabinet de Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture sous Hollande, Rémi Branco se souvient des périodes creuses de l'été au ministère : «C'est une ambiance particulière. Le cabinet se vide, mais il y a toujours des choses à faire, et on sait que tout peut changer très vite.» Août est un mois calme en trompe-l'œil : une crise, un drame, une catastrophe peuvent survenir à tout moment. Comme pendant la canicule de 2003 : le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, s'était vu reprocher d'être resté en vacances alors que 15 000 personnes étaient mortes à cause des fortes chaleurs. Cette année, Agnès Buzyn en a pris de la graine : la ministre est restée aux manettes de son ministère pendant l'épisode caniculaire.

Sous le quinquennat Hollande, le gouvernement a été confronté à plusieurs crises agricoles en plein été, et notamment à celle des éleveurs en 2015. Le ministre a dû renoncer à ses vacances. «Comme chef de cabinet, se rappelle Rémi Branco, j'ai dû organiser le déplacement de Stéphane Le Foll à Caen, alors que la ville était bloquée par les agriculteurs. Il s'est rendu auprès d'eux. Dans ce genre de crise grave, il est bien sûr hors de question que le ministre ne soit pas aux commandes.» Stéphane Le Foll avait donc passé l'essentiel de son mois d'août à gérer son ministère.

«Prière de ne pas s’éloigner»

La plupart des membres du gouvernement parviennent tout de même à caser deux semaines de congés. Et lorsqu’ils arrivent sur leurs lieux de villégiature, ils sont tenus de se signaler à la préfecture du département. Ils ont aussi pour consigne de ne pas trop s’éloigner de l’Hexagone, de manière à pouvoir rentrer très vite à Paris en cas de nécessité. Car leurs congés - c’est normal - peuvent être interrompus à tout moment. En août 2012, Thierry Repentin, alors ministre de la Formation professionnelle, est reparti le surlendemain de son arrivée en Savoie, pour assister aux obsèques d’un chasseur alpin tué en Afghanistan. Il y a neuf jours, c’est Florence Parly, ministre des Armées, qui a suspendu ses congés pour assister au centenaire de la bataille d’Amiens, le 7 août. Non prévu initialement, ce déplacement a été organisé in extremis pour éviter une bourde diplomatique. Face à Theresa May et au prince William, qui assistaient aux commémorations dans la Somme, aucun membre du gouvernement ayant rang de ministre n’assurait la représentation française. Seule la secrétaire d’Etat Geneviève Darrieussecq figurait au programme au départ. Il a donc fallu réagir à la dernière minute pour parer à une faute protocolaire.

Hors crise ou événement exceptionnel, le travail dans les ministères est invisible, même si le rythme est ralenti : «Depuis le 6 août, j'arrive à absorber tous les mails que je reçois. En temps normal, c'est impossible», explique le chef de cabinet du secrétaire d'Etat Olivier Dussopt, Christophe Guérin-Linxe. Alors que son ministre est en vacances en Toscane depuis le 3 août, lui a choisi de décaler les siennes d'une semaine. «Pendant l'année, l'urgence du matin est dépassée par l'urgence de l'après-midi. Là, j'ai le temps de préparer la rentrée dès maintenant : il faut caler les rendez-vous, les concertations avec les organisations syndicales en vue des négociations pour le projet de loi de finance, etc.» Devenu secrétaire d'Etat aux Affaires européennes en mars 2013, Thierry Repentin avait dû préparer un sommet prévu au Luxembourg quelques jours après son retour. Il avait donc emmené ses dossiers dans ses valises. «On profite des périodes de transport pour travailler.» Et de conclure : «On n'est jamais déconnecté. De toute façon, c'est impossible de débrancher en deux semaines.»