Pendant l'an I de son quinquennat, Emmanuel Macron a multiplié les réformes, non sans essuyer des critiques et provoquer des crispations. Libération s'est lancé dans un tour de France pour décrypter, sur le terrain, les effets des mesures sur le quotidien des gens.
«Si ça se fait, je me tire de Saint-Aignan»
Pour les habitants de la commune située près de l’actuel aéroport, c’est la douche froide. D’autant que l’extension de la piste est à l’étude.
Lionel Biton vit dans un petit écrin de verdure. Un pavillon de plain-pied estimé à 300 000 euros, exposé plein sud et sans vis-à-vis, à l’écart du bourg de Saint-Aignan-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique). Sa piscine est entourée d’un jardin verdoyant, où un robot électrique tond silencieusement et méticuleusement chaque brin de pelouse. Il n’est séparé du lac de Grand-Lieu, réserve ornithologique de premier plan au niveau national, que par un petit bois. Seul le bruit des avions vient déchirer le chant des oiseaux.
«Blockhaus»
Ce jeudi, c'est un avion de la compagnie espagnole Volotea qui passe en arrière-plan. «Même si le cadre est très sympa, c'est infernal : je les vois arriver dans la baie vitrée de la salle à manger», soupire cet ex-conseiller municipal de 65 ans qui vit ici depuis près de quarante ans. «Le pire, c'est l'été : je ne peux même pas ouvrir les fenêtres la nuit.» Le reste du temps, son double vitrage est indispensable : les compagnies low-cost comme Volotea se sont multipliées à l'aéroport Nantes, situé à 4 km de là, à cheval entre Saint-Aignan et la commune voisine de Bouguenais.
Comme Lionel Biton, Henri de Cayeux a été conseiller municipal. Et, comme Lionel Biton, il habite à l'écart du bourg depuis près de quarante ans, dans une maison qu'il a rénovée «de fond en comble». Il y a passé «un temps fou» - environ «quinze ans à temps plein», calcule-t-il. L'extension de la piste de l'aéroport nantais, envisagée par les médiateurs pour remédier à l'augmentation du trafic aéroportuaire, et à l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, ne le réjouit pas vraiment. L'artisan de 64 ans est convaincu de pouvoir «compter les boulons» sous la carlingue des avions. «Si [l'extension de la piste] se fait, je prends le pognon, et je me tire dans les Pyrénées», prévient-il, catégorique.
Joël Sauvaget, lui, est arrivé plus récemment dans la commune : en 2010, il a acheté son pavillon et ses 1 200 m² de terrain pour 200 000 euros. Deux ans plus tard, il fait des travaux pour en doubler la surface, malgré la proximité des pistes. «Jamais je n'aurais acheté ici si j'avais su que l'aéroport n'était pas transféré», martèle ce chef d'entreprise de 54 ans. Avant l'annonce de l'abandon du projet d'aéroport, Joël Sauvaget avait donc pris soin de faire évaluer sa maison par un huissier, à toutes fins utiles : elle en valait alors 330 000 euros. «Si demain la piste devait être étendue, je ne serais pas le plus malheureux. Je serai situé dans la zone de délaissement, ma maison sera donc rasée et je serai indemnisé», souffle-t-il.
En attendant, Joël Sauvaget refuse de vivre «cloîtré». «On va nous proposer de bien isoler la maison, mais moi, je n'ai pas choisi Saint-Aignan pour vivre dans un blockhaus», fulmine le chef d'entreprise. Il entend donc bien poursuivre le combat à la tête du Coceta, le Collectif des citoyens exposés au trafic aérien. L'ex-Collectif des citoyens engagés pour le transfert de l'aéroport - qui rêvait de se dissoudre une fois Notre-Dame-des-Landes sorti de terre - prépare déjà trois recours devant le tribunal administratif de Nantes. Et «caresse l'espoir» que le transfert de l'aéroport revienne sur la table «au début du prochain quinquennat»…
«Encaisser»
En attendant, ses adhérents se sont bien défoulés sur Aude Amadou : la députée LREM locale a cru bon d'organiser une réunion publique le 28 juin à Saint-Aignan, où 350 riverains l'attendaient de pied ferme… «Je savais très bien où j'allais, que je n'allais pas faire de miracle, rassure-t-elle d'emblée. L'idée, c'était de donner la parole aux citoyens, d'encaisser le mécontentement et la colère.» Pour le coup, l'ex-handballeuse de haut niveau a «pris pour tout le monde» : «Emmanuel Macron» évidemment, mais aussi «Edouard Philippe» et «les autres parlementaires qui n'étaient pas là». En revanche, la députée a été claire sur un point : l'aéroport «ne sera plus transféré».
«Ma priorité, c'est de protéger au mieux les riverains, et non pas de trouver un énième point de chute pour un énième transfert», martèle Aude Amadou. Même si elle n'était «pas d'accord avec la décision» d'abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes, la députée salue le «courage politique» et la «méthode» d'Edouard Philippe. Pour assurer le SAV, elle a d'ailleurs promis d'organiser une nouvelle réunion publique à Saint-Aignan «à la rentrée».
«Le visage de Vigneux aurait changé»
La commune revit depuis la décision du gouvernement. Certains habitants saluent le «courage» des zadistes.
Véronique vit dans un petit écrin de verdure. Cette mère de cinq enfants habite à la Freuzière, un petit hameau de longères magnifiquement restaurées en pierres apparentes, à Vigneux-de-Bretagne (Loire-Atlantique). Cette commune périurbaine, à quinze minutes du périphérique nantais, aurait dû accueillir avec sa voisine de Notre-Dame-des-Landes, le futur «aéroport du Grand Ouest». Mais en janvier, le projet a été abandonné par le gouvernement.
«J'étais hypercontente, dit Véronique. Quand on a acheté ici, il y a treize ans, on ne pensait pas que l'aéroport allait se faire : mon père, il y a cinquante ans, en entendait déjà parler», se souvient cette femme de 48 ans. Du coup, quand la menace s'est faite plus précise, la mère de famille s'est inquiétée : elle a «signé des pétitions» et «manifesté», comme tant d'autres ici, pour préserver leur cadre de vie. «Quand vous regardez les photos aériennes du secteur, beaucoup de gens ont des piscines», fait remarquer Frédéric, son mari, professeur de hautbois au conservatoire de Nantes. Un autre habitant du village se rappelle qu'«une agence immobilière ne voulait même pas visiter [sa] maison du fait de la proximité des pistes du futur aéroport… Il y avait un effet répulsif».
En attendant, même s'il ne se fera pas, le projet a bien gâché la vie de Véronique et Frédéric : leur fille s'est par exemple «fâchée avec sa meilleure copine» du lycée, car cette dernière soutenait que «les zadistes étaient des malfrats». Leur voisine Anna, 55 ans, rend au contraire hommage aux occupants de la zone à défendre (ZAD). «C'est grâce à eux si le projet ne se fait pas : je ne sais pas si nous, les riverains, on aurait été aussi courageux qu'eux», lance cette ancienne adhérente de l'Acipa, la principale association d'opposants.
Courage
Tout le monde ne partage pas son avis à Vigneux-de-Bretagne. Comme le maire, Joseph Bézier, qui était «plutôt favorable» au projet, pour «raisons économiques». Ce retraité de 66 ans, autrefois ébéniste aux chantiers navals de Nantes, en est convaincu : «Le visage de Vigneux aurait changé, même s'il y aurait certainement eu des nuisances… Un aéroport, cela fait fuir une partie de la population, mais ça en attire d'autres.» Mais quand la décision est tombée, Joseph Bézier a tout de même ressenti un certain soulagement : ses administrés étaient «lassés» de ne pas savoir à quelle sauce ils allaient être mangés. «Il y a au moins une chose qu'on peut mettre au crédit de Macron et du gouvernement, celle d'avoir pris une décision, positive le maire de Vigneux. Avant eux, personne ne l'avait fait, par manque de courage politique.»
La pilule est plus dure à avaler à la Paquelais, le second «centre» de la commune, à 3 kilomètres du bourg historique de Vigneux. Ne leur parlez pas des zadistes. La fermeture pendant toutes ces années de la D281, la fameuse «route des chicanes» barrée par les opposants au projet d'aéroport, a fait beaucoup de tort aux commerçants : le bar-tabac a fermé, tout comme la boulangerie, la pharmacie et le restaurant. Le boucher-charcutier, lui, ne se fait «pas d'illusions» : il s'apprête à prendre sa retraite dans deux ans sans avoir de successeur, bien que l'échoppe soit tenue de père en fils «depuis 160 ans». Pascal Allain attend simplement de voir si les habitués des balades dominicales dans la forêt du Gâvre, entre Nantes et Redon (Ille-et-Vilaine), reprendront la D281 aujourd'hui dégagée.
«Invendable»
«Avec la fermeture de la route, les gens ont perdu l'habitude de passer par ici… Ils prennent plutôt la 2 × 2 voies Nantes-Vannes», s'inquiète le boucher. A un pâté de maisons de là, sa belle-sœur s'efforce elle aussi de tenir le choc. Catherine Allain, 55 ans, n'a pas trop le choix, à vrai dire : son salon de coiffure est «invendable», de son propre aveu. Il y a dix ans, elle l'avait pourtant remis à neuf, quand le projet d'aéroport était toujours d'actualité et qu'elle avait encore deux salariées. «Je ne demande pas à ce que l'Etat rachète mon commerce, mais au moins qu'il impulse une dynamique»,répète la commerçante. La proximité des zadistes a en effet fait fuir une partie de sa clientèle, «surtout les personnes âgées».
Lire les autres épisodes :
[ CP dédoublés : «Ce sont les enfants en difficulté qui ont été le plus aidés» ]
[ 80 km/h : «Avec mon taxi, on ne s’y est pas encore vraiment mis…» ]
[ Concurrence ferroviaire: «Il faut arrêter de faire croire que le service public existe encore» ]
[ Rupture conventionnelle collective : «Sans projet solide, tu te retrouves vite le bec dans l’eau» ]
[ Réforme de l’ISF vue du Touquet : «On taxe toujours les mêmes !» ]