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Libération
Décryptage

Poursuites après la fatale course-poursuite

Après la mise en examen du policier suspecté d’avoir tué par balle un automobiliste dans des conditions rocambolesques, mardi soir à Paris, «Libération» revient sur les principales interrogations soulevées par cette affaire.
Jeudi, à Paris. Des fleurs déposées en hommage à l’homme tué. (Photo Denis Allard pour Libération)
publié le 17 août 2018 à 20h46

Le policier suspecté d'avoir mortellement touché un automobiliste au terme d'une course-poursuite mardi soir à Paris a été mis en examen pour «violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner», a annoncé le parquet de Paris. Les magistrats ont retenu la circonstance aggravante selon laquelle les faits auraient été commis par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions. Son contrôle judiciaire lui interdit de travailler et de détenir ou porter une arme. Selon les enquêteurs, mardi, peu avant 23 heures, il avait pris en chasse le jeune automobiliste qui avait refusé de se soumettre à un contrôle dans le Ier arrondissement de Paris. Monté à l'arrière du scooter d'un particulier auquel il a demandé d'engager une course-poursuite, le policier l'a poursuivi jusque dans le IXe arrondissement. Bloqué par un autre véhicule rue Condorcet, l'automobiliste fuyard aurait enclenché la marche arrière et percuté le deux-roues. L'agent, positionné du côté passager de la voiture, aurait alors ouvert le feu, atteignant mortellement le conducteur de 26 ans au thorax.

Un policier peut-il «réquisitionner» un véhicule ?

Dans leurs missions, les forces de l’ordre ne sont pas toujours motorisées. C’était le cas du policier mis en cause, qui effectuait mardi une patrouille à pied dans le centre de la capitale. Pour rattraper l’automobiliste récalcitrant, l’agent est monté à l’arrière du scooter d’un particulier.

Si le terme «réquisition» est impropre juridiquement, la pratique a depuis été légitimée par plusieurs policiers. Jeudi sur RTL, le secrétaire national du syndicat Alliance (classé à droite), Loïc Lecouplier, a ainsi justifié l'action en expliquant qu'«il n'y [avait] rien de choquant à ça. C'est prévu, cela peut être fait, il [le policier] a vu ça comme étant une solution permettant d'intercepter le véhicule».

Juridiquement, la réponse est plus nuancée. S'il existe des réquisitions prévues par l'article 60 du code de procédure pénale, elles ne s'appliquent pas aux véhicules. «L'officier de police judiciaire a recours à toutes personnes qualifiées», dispose la loi, visant les personnes qui disposent d'une expertise particulière. Dans le cas présent, cela concernait une personne, mais surtout son scooter, donc un bien. Selon une source policière contactée par Libération, ce n'était pas une réquisition mais une «sollicitation, […] à laquelle le particulier n'est pas du tout tenu de répondre positivement». Il s'agirait d'une pratique reconnue par la jurisprudence, d'après un juriste cité par l'AFP. En ce sens, le policier était dans son droit, mais le scootériste aurait pu refuser.

Dans quelles conditions les policiers peuvent-ils engager une course-poursuite en cas de refus d’obtempérer ?

La pratique des courses-poursuites n'est pas privilégiée par les forces de l'ordre. «Il n'y a aucun automatisme, c'est toute la difficulté, explique une source policière à Libération. Il existe une notion de discernement, qui permet de choisir le comportement le plus adapté à la situation. Par exemple, on ne va pas engager une course-poursuite pour un vol de téléphone portable. Il faut une situation grave, comme la présence d'un individu armé ou la mise en danger de la vie d'autrui», poursuit la source. Dans certaines situations, c'est le renoncement qui sera adopté.

La notion de discernement, «c'est le fait de se dire, "est-ce que ça ne va pas envenimer les choses ?"» abonde cette même source, qui pointe les nombreuses situations de «cas par cas, qui font la difficulté du métier». Auprès de l'AFP, une autre source policière étaie ces propos en expliquant qu'il «vaut parfois mieux relever la plaque d'immatriculation et le signalement de la personne que de risquer qu'elle n'en blesse d'autres [en engageant une poursuite]».

Selon plusieurs médias, la salle de commandement de la préfecture de police aurait intimé au policier auteur du tir mortel d'interrompre la poursuite. Interrogée par Libération, cette dernière n'a pas souhaité confirmer ou infirmer cette information. D'après France Info, le policier aurait déclaré au cours de sa garde à vue ne pas avoir entendu cet ordre dans sa radio.

Le policier a-t-il agi en situation de légitime défense ?

Les conditions dans lesquelles les forces de l'ordre peuvent faire usage de leur arme de service sont définies par le code de la sécurité intérieure. Le texte évoque un usage d'«absolue nécessité», de manière «strictement proportionnée». Parmi les situations énumérées : l'immobilisation «des véhicules […] dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt et dont les occupants sont susceptibles de perpétrer, dans leur fuite, des atteintes à leur vie ou à leur intégrité physique et à celles d'autrui».

Pour l'avocat du policier, Laurent-Franck Liénard, la légitime défense est incontestable. Sur France Info, vendredi, il a revendiqué le bien-fondé du tir. «Le conducteur du scooter dit bien que s'il ne s'était pas extrait du scooter au moment du tir, il aurait été écrasé, affirme Me Liénard. Le tir était donc totalement légitime.» En l'espèce, l'avocat convoque la thèse de la légitime défense au bénéfice d'autrui (le conducteur du scooter). Contacté, par Libération, ce dernier n'a pas donné suite.

Selon les témoignages que nous avons recueillis, le gardien de la paix ne se trouvait plus sur le scooter mais à côté de la voiture, au niveau de la portière conducteur, lorsque ce dernier a reculé et embouti le deux-roues.

C'est après cette manœuvre que le policier aurait tiré. Pour l'avocat Michel Konitz, qui avait obtenu en appel l'an dernier la condamnation d'un policier ayant tué un fugitif d'une balle dans le dos lors d'une course-poursuite en 2012, «la légitime défense n'est pas caractérisée» dans l'affaire de la rue Condorcet. «Pour qu'elle soit caractérisée, il faut réagir à un péril actuel, réel, et que la riposte soit proportionnée. Si elle était évidente, le policier n'aurait pas été mis en examen», analyse l'avocat. Les faits pour lesquels le policier est mis en examen sont passibles de vingt ans de réclusion.