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Biodiversité

Quand le loup ressort du bois

Une saison à la montagnedossier
Le «canis lupus», repéré jusque dans l’Yonne ou le Tarn, a fait des victimes cet été parmi le bétail. Des faits qui ravivent la colère des éleveurs contre le plafond d’abattages instauré pour permettre le retour de cet animal sauvage dans l’Hexagone.
La population française de loups reste inférieure à 500 individus. (Photo Manuel Cohen. Aurimages)
publié le 17 août 2018 à 20h16

Loup, y es-tu ? Oui, il y est. Dans nos massifs montagneux, depuis plus de vingt-cinq ans. Mais aussi, de plus en plus, dans nos plaines. La préfecture de l'Yonne l'a confirmé mardi, analyses ADN à l'appui : c'est bien canis lupus qui a attaqué en juin un troupeau d'ovins (14 brebis sont mortes) à Arthonnay, à la limite de l'Aube et de la Côte-d'Or. Alors qu'on ne l'avait pas vu dans le département depuis cent trente ans. De son côté, début août, la préfecture du Tarn a signalé la présence du loup gris à la limite entre le Tarn et l'Hérault, l'Office national de chasse et de la faune sauvage (ONCFS) concluant que le canidé «figure parmi les prédateurs ayant pu commettre» l'attaque fin juin de plusieurs brebis d'un éleveur de Murat-sur-Vèbre (Tarn). Le loup, en expansion rapide sur le territoire national, a aussi été aperçu plusieurs fois dans la Somme fin 2017.

D'après les chiffres publiés en juin par l'ONCFS, la France compte environ 430 loups en liberté, répartis en 57 meutes et 74 zones de présence dite «permanente» (au moins deux hivers consécutifs). Communs en région alpine, ils se sentent aussi désormais chez eux dans le Massif Central, les Pyrénées, le massif des Vosges et en Lorraine. Et depuis leur retour en France en 1992 après soixante années d'absence, quand deux individus de souche italienne ont été observés dans le Mercantour (sud des Alpes), leur population croît de près de 20 % par an. D'où, forcément, de plus en plus de tensions avec Homo Sapiens. Et ce alors même que la population des loups français n'a pas encore atteint le seuil de 500 individus, au-delà duquel elle sera considérée comme «viable».

Si, à l'heure de la sixième extinction de masse, le retour d'une espèce sauvage protégée est une bonne nouvelle, cela ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. Ce prédateur discret, furtif, qui se nourrit essentiellement de cerfs, de chevreuils, de sangliers ou de lièvres, attaque aussi le bétail qui a la chance de profiter des grands espaces à la belle saison. Et en Aveyron ou en Lozère, chez les éleveurs qui retrouvent leurs bêtes égorgées, la colère et le sentiment d'impuissance grandissent. D'autant que certains accusent les tueurs de leurs bêtes d'être majoritairement des loups hybridés avec des chiens (et donc non protégés), une polémique alimentée en 2017 par l'eurodéputé José Bové, grand pourfendeur du loup, mais réfutée par l'ONCFS (qui évoque un phénomène inférieur à 10 %).

Randonneurs

Pour les éleveurs français, garants d’un pastoralisme qui maintient des milieux ouverts et leur biodiversité spécifique, le retour du loup engendre de réelles contraintes administratives, techniques et économiques. Le prédateur aurait tué plus de 11 000 animaux domestiques en 2017, en grande majorité des ovins dont le cheptel est estimé autour de 7 millions de bêtes. Les indemnisations versées ont atteint 3,2 millions d’euros en 2016. Et 21 millions d’euros ont été consacrés par l’Etat au financement des mesures de protection. Clôtures, chiens, renforcement de la présence humaine sont financés à hauteur de 80% dans les zones de présence permanente. Et si les éleveurs qui subissent des attaques n’ont pas protégé leurs troupeaux, conformément à une règle communautaire. Sans compter que ces mesures, si elles limitent la prédation, n’empêchent pas toutes les attaques et peuvent gêner les randonneurs et autres usagers de la nature…

Depuis 2004, le gouvernement tente donc de gérer la cohabitation via des «plans loups» quinquennaux déterminant les règles de protection des troupeaux et d'abattage des canidés sauvages. Le dernier, entré en vigueur en février, a été porté à la fois par le ministère de la Transition écologique et par celui de l'Agriculture, dont les visions divergent un poil. Pour Nicolas Hulot, «on ne peut exiger des pays africains qu'ils protègent leurs lions si nous-mêmes en France, on n'est pas capable de cohabiter avec le loup et l'ours». Mais son homologue, Stéphane Travert, qui avait, dans un lapsus, assuré être «pour le zéro loup, non, zéro attaque», incite les agriculteurs à «se défendre», même «au-delà du quota» (de 43 loups maximum abattus pour 2018) fixé par le plan qu'il a signé et qui, promet-il, sera réévalué sous peu.

Dérogation

La France est signataire de la convention de Berne, qui a fait de la faune et la flore sauvage «un patrimoine naturel […] qu'il importe de préserver et de transmettre aux générations futures» et du canis lupus un animal «strictement protégé». Résultat, seul un certain nombre d'abattages de loups est permis par dérogation : on parle de «prélèvements» (des tirs sans attaques préalables) et de tirs de défense, qui eux sont destinés à protéger un troupeau en particulier. Ils sont autorisés «à condition qu'il n'existe pas d'autres solutions satisfaisantes et que les opérations ne nuisent pas au maintien du bon état de conservation de la population de loups».

Chaque année, le plafond, fixé à environ 10 % de la population totale, fait l'objet d'âpres négociations et de dérogations préfectorales. Les associations de défense de la nature - dont celle de Brigitte Bardot, qui pique régulièrement de mémorables colères sur le sujet - estiment qu'aucun tir ne devrait être autorisé. Ils sont «inutiles», selon l'association Ferus («ce qui est sauvage» en latin), qui a déployé des bénévoles dans le sud de la France cet été pour promouvoir la cohabitation. «Pour permettre une cohabitation entre la biodiversité faunistique et le pastoralisme, un changement profond des pratiques d'élevage et du système de subventionnement et d'indemnisation français - qui n'incite actuellement pas suffisamment aux bonnes pratiques de certains éleveurs - est nécessaire», défend l'Association pour la  protection des animaux sauvages (Aspas).

Le loup «déclassé» ?

Les syndicats d'agriculteurs, eux, ne sont pas du tout du même avis. Fin juillet, la FNSEA, les chambres d'agriculture et les associations d'éleveurs ont demandé à l'Etat d'autoriser un renforcement des mesures contre les attaques de loups. «Force est de constater que les tirs de défense simple accordés aux éleveurs ne permettent pas d'assurer une protection satisfaisante des troupeaux», affirment-ils dans une lettre adressée au préfet coordonnateur, avant de demander l'autorisation «que les tirs de défense renforcée soient accordés aux éleveurs dès la première attaque de leur troupeau». Fait rare, la Confédération paysanne est sur la même longueur d'ondes que la FNSEA sur ce sujet, et estime que «le nombre de prélèvements maximum est largement insuffisant».

Aussi, une partie des opposants voudrait faire sortir le loup de la convention de Berne sur les espèces protégées, ou au minimum le «déclasser». Les voisins helvètes viennent de faire un pas en ce sens. Jeudi, l'Office fédéral de l'environnement (Ofev) suisse a déposé une demande pour faire passer le loup de «strictement protégé» à seulement «protégé» dans le cadre de la convention de Berne. En 2015, le gouvernement français avait aussi demandé le déclassement du loup auprès de la convention de Berne et de l'Union européenne. Des élus de montagne, dont José Bové, sont revenus à la charge cette année. En vain pour l'instant.