Il est sorti du rang. Pierre Vignon, prêtre du diocèse de Valence et juge canonique (la justice interne de l'Eglise), brise le silence dans une pétition cinglante mise en ligne mardi. D'un ton mordant, il demande au cardinal Barbarin de démissionner après de nombreuses «erreurs» dans la gestion des affaires d'abus sexuels. «Donner votre démission de cardinal et d'archevêque serait bien sûr une mort sociale, mais quelle assomption personnelle en retour ? Vous seriez enfin à la hauteur de l'événement», ose-t-il. Avant d'inviter ses confrères et «tous les membres de l'Eglise conscients de l'importance du mal fait aux victimes d'abus» à signer. Un coup de tabac dans le diocèse de Lyon, secoué par plusieurs scandales de pédophilie depuis 2016.
Piraterie
L'archevêque et cardinal Philippe Barbarin est poursuivi par des victimes pour non-dénonciation dans l'affaire du père Preynat qui est accusé d'avoir agressé au moins 70 scouts de Sainte-Foy-lès-Lyons (Métropole de Lyon). Il doit être cité à comparaître au tribunal correctionnel de Lyon, à une date encore indéterminée. Comme révélé par Mediapart, Barbarin est accusé d'avoir couvert en tout cinq cas de prêtres prédateurs et de s'être montré négligent dans la gestion de trois autres dossiers. Pour le père Vignon, «il faut en finir avec la culture de la couverture». En finir avec l'inertie. Sa réaction intervient dans un contexte marqué par les scandales de pédophilie aux Etats-Unis et au Chili, «monstrueux» selon lui.
Inspiré par la dernière lettre du pape François appelant les fidèles à se mobiliser contre les agressions sexuelles, l'ecclésiastique a décidé de prendre la plume. Quitte à s'attirer les foudres de l'Eglise. S'adressant au primat des Gaules, «afin de ne pas être considéré comme [son] complice», il demande à Philippe Barbarin «publiquement et sans détour de donner [sa] démission de cardinal et d'archevêque de Lyon dans les plus brefs délais». Un ultimatum lancé comme on entre en piraterie. Il en faut du courage dans une institution où le chef est jugé infaillible.
La soixantaine, une barbe grisonnante et l'œil bienveillant derrière des lunettes strictes, Pierre Vignon est de ceux qui ne plient pas. «Je dois être inconscient ou téméraire, mais j'ai le sentiment d'avoir fait mon devoir», explique-t-il à Libération au lendemain de la publication de sa pétition. Cet esprit de résistance, il dit le tenir de sa famille originaire du Vercors : «Mon père a été décoré de la Légion d'honneur au titre de la Résistance, et un oncle prêtre a reçu Jean Moulin en 1943.» Il se garde de devancer la justice des hommes : «Même s'il est blanchi, le cardinal sera bloqué jusqu'à la fin par ces histoires, alors qu'il suffisait qu'il fasse un pas vers les victimes», regrette-t-il.
Depuis vingt-cinq ans, Pierre Vignon œuvre notamment auprès des personnes abusées sexuellement, à l'officialité interdiocésaine, un tribunal de l'Eglise : «Dans mon ministère, je reçois des plaintes de victimes, j'ai lu des rapports d'expertises sur les prêtres prédateurs, et je me suis formé sur ces questions.» «Révolté par l'injustice», il attend des actes forts. Certes, il reconnaît quelques efforts menés récemment par l'Eglise catholique mais qui restent, selon lui, minimes. A ses côtés, les associations de victimes comme la Parole libérée ou l'Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles (Avref) attendent l'ouverture des archives, l'indemnisation des victimes ou encore la création d'un tribunal spécial au Vatican.
Cette prise de parole n'est pas sans précédent. Il y a deux ans, le père Patrick Royannais dénonçait la faillite du système et les «gesticulations» du cardinal dans une lettre sobrement intitulée «la Démission de l'archevêque de Lyon». «Mais c'est la première fois qu'on fait une pétition avec un homme d'Eglise, qui partage la même intransigeance. On a eu quelques soutiens qui sont restés officieux. C'est la première fois qu'on entend publiquement des mots aussi forts», souligne auprès de Libération François Devaux, le président de la Parole libérée, l'association d'aide aux scouts victimes du père Preynat.
Tsunami
En vingt-quatre heures seulement, la pétition relayée par l'Avref et la Parole libérée a recueilli plus de 8 000 signatures. Le clerc a bien eu quelques soutiens d'amis prêtres, mais «c'est le calme plat» du côté de ses autres confrères. Le père Christian Delorme, pilier du diocèse de Lyon, a choisi de prendre la défense du cardinal Barbarin sur France Info. «Si on entre dans la logique de l'abbé Vignon, il faudrait que le pape démissionne», a-t-il déploré. Tant pis, Pierre Vignon ne désarmera pas. Sa réponse fuse : «On dit qu'on crucifie le cardinal Barbarin, mais c'est le Christ qui a été crucifié, il ne faudrait pas confondre.»
De son côté, le diocèse de Lyon a réagi par la voix de Mgr Emmanuel Gobilliard. L'évêque auxiliaire de Lyon attend que la justice tranche et rappelle que le cardinal a proposé sa démission au pape en 2016. Refusée par le souverain pontife. «Le porte-parole de l'évêché de Lyon n'a pas compris la lettre du pape, déplore Pierre Vignon. On ne fait pas tout ce qu'il faut pour lutter contre les abus sexuels. Il est temps d'entrer dans une culture de vigilance et que la vie dans l'Eglise soit rendue impossible pour les prédateurs.» Pris dans un tsunami médiatique, le prêtre dissident garde la tête froide : «Si la pétition a rencontré un tel écho, c'est qu'elle était attendue.» De quoi le laisser «en grande paix».