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Libération
Décryptage

Rentrée du Medef : Matignon peut compter sur Bézieux pour pleurer

Fraîchement élu patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux aborde la rentrée avec la ferme intention d’obtenir plus du gouvernement. Tour d’horizon des mesures déjà passées ou toujours sur la table des négociations.
Première conférence de presse de Geoffroy Roux de Bézieux, lundi au siège du Medef, à Paris. (Photo Denis Allard)
publié le 27 août 2018 à 19h56

Un poil chafouin, le nouveau président. Lundi, à la veille de sa première université d'été du Medef en tant que numéro 1 de l'organisation, Geoffroy Roux de Bézieux n'a pas vraiment apprécié les petites annonces matinales du ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire. Le report d'une partie des baisses de cotisations patronales au 1er octobre de l'année prochaine pour aider le gouvernement à boucler son budget 2019 ? De la «tambouille comptable», a critiqué lundi le nouveau patron des patrons, élu en juillet dernier et irrité d'avoir appris la nouvelle «au dernier moment», soit «quelques heures avant» les annonces du ministre sur RTL. Roux de Bézieux a donc lancé devant la presse, depuis le siège de l'organisation patronale, un (petit) avertissement à l'exécutif, mettant en garde contre des «mesures contradictoires» qui pourraient «créer de l'incertitude». Et donc peser sur la croissance : «Il ne faudrait pas qu'on revienne à une période pas si lointaine où l'on alternait le zig et le zag…» Patrick Martin, numéro 2 du Medef, n'en pense pas moins : «Le gouvernement cherche des recettes de poche, un peu dans l'urgence, ce n'est pas digne de lui», souffle-t-il. Si Roux de Bézieux a convenu que cet exécutif «a fait beaucoup de choses» en faveur des entreprises, il en a demandé davantage sur la «dépense publique» : «C'est l'angle mort de la politique économique du gouvernement, a-t-il insisté. On peut regretter qu'il n'y ait pas de vraie réflexion de long terme», sur les missions de l'Etat.

Roux de Bézieux aura quelques occasions d'en causer avec le Premier ministre. Avant d'être reçu, jeudi, à Matignon dans le cadre des premiers tête-à-tête d'Edouard Philippe avec les partenaires sociaux sur l'agenda social, le chef du Medef accueillera mardi le chef du gouvernement à Jouy-en-Josas (Yvelines), pour l'université d'été du Medef. L'an passé, en plein lancement des ordonnances travail, Philippe avait pris soin d'éviter les applaudissements des patrons. Cette année, sept de ses ministres, dont Bruno Le Maire (Economie et Finances) et Muriel Pénicaud (Travail), sont inscrits au programme pour porter la parole «pro-entreprise» du gouvernement.

Les coups évités : un transfert de charge de la sécu

Vent de panique sur le patronat au cœur de l'été. Soucieux de l'augmentation rapide du coût des arrêts maladie des salariés, l'exécutif veut frapper fort. Et envisagerait même de transférer une partie de la charge, de la Sécurité sociale vers les entreprises. Ces dernières se verraient facturer quatre jours pour les arrêts d'une durée inférieure à huit jours. Une idée que le gouvernement commence par ne pas démentir, le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, estimant ainsi qu'il n'y a «pas de tabou» en matière de santé au travail, tandis qu'Edouard Philippe évoque, dans une lettre aux partenaires sociaux, un futur système «plus responsabilisant» - pour les employeurs, comprend-on, qui seraient incités à veiller au bien-être de leurs salariés. Dans le JDD de dimanche, le Premier ministre rassure toutefois les entrepreneurs : «J'écarte l'hypothèse d'une mesure brutale de transfert vers les entreprises […] On ne va pas envoyer de contre-message.» Le problème reste pourtant posé, et sa réponse renvoyée à une concertation avec les partenaires sociaux, cet automne.

Autre attention délicate à l'égard du patronat : la priorité donnée, dans l'agenda parlementaire, au Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit loi Pacte. Un texte concocté par les services de Bruno Le Maire et censé encourager la croissance des entreprises françaises, notamment par la suppression ou le gel de certains seuils sociaux, l'aide à l'export pour les PME ou encore la facilitation des transmissions. Parfois présenté comme une nouvelle «loi Macron», il a vu sa présentation en conseil des ministres plusieurs fois reportée avant l'été. Et il aurait pu souffrir, en cette rentrée, d'un agenda bouleversé par les péripéties de la réforme constitutionnelle, dont l'examen par l'Assemblée avait été interrompu en juillet par l'affaire Benalla. L'exécutif a finalement décidé de donner la priorité au texte porté par son ministre de l'Economie, ce dont celui-ci n'a pas manqué de se féliciter lundi. «Nous voulons concentrer en cette rentrée notre action sur les chantiers économiques», avait expliqué dimanche Edouard Philippe. Repoussant «de quelques mois» un chantier constitutionnel jusqu'ici jugé essentiel.

Les coups reçus : le prélèvement à la source

Pour réduire le déficit public, «il faudra que chacun apporte sa contribution», a insisté lundi le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, devant l'Association des journalistes économiques et financiers. «Et les entreprises aussi», a-t-il précisé. Dont acte : dans un budget 2019 globalement favorable aux employeurs, l'exécutif réalisera aussi quelques économies à leurs dépens. Tous devaient par exemple bénéficier, au 1er janvier, d'une baisse de quatre points des cotisations patronales sur les salaires au niveau du Smic. Celle-ci sera finalement décalée de, neuf mois, n'intervenant qu'à partir du 1er octobre 2019. Bénéfice attendu de ce report : 2 milliards d'euros. La manœuvre en rappelle une autre, portant elle sur les cotisations salariales : pour en réduire le coût, cette baisse a été effectuée en deux temps, l'un début 2018, l'autre prévu le 1er octobre. «De la même façon que nous avons demandé aux salariés d'attendre, nous demandons aux entrepreneurs de la patience», a plaidé lundi Bruno Le Maire. Sans convaincre le président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, qui a déploré «un signal négatif».

Autre mesure annoncée par le ministre : une hausse du taux du cinquième acompte de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires. Quoique déplorée par le Medef, la mesure n’est qu’une opération de trésorerie, ces versements anticipés ne changeant pas le taux de l’impôt proprement dit. Le Maire doit aussi annoncer, dans les prochains jours, une baisse d’un milliard d’euros des aides publiques aux entreprises, dont il discute encore le détail avec le patronat.

Sujet d'angoisse supplémentaire pour ce dernier : le prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, à partir du 1er janvier 2019. Un dispositif qui, à leur grande inquiétude, reposera largement sur les employeurs. Conscient du risque, l'exécutif multiplie les opérations de communication autour de la réforme. Edouard Philippe a annoncé dimanche qu'il ferait prochainement «un point sur la préparation» du chantier. Mais pas question de reporter la réforme, a assuré lundi matin le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin.

Les espoirs du Medef : une nouvelle réforme du chômage

«Jeter les bases d'un nouveau contrat social.» La mission, lancée aux partenaires sociaux par Emmanuel Macron dans son discours du 10 juillet devant le Congrès, va occuper le Medef tout l'automne. Avec, en point d'orgue, une nouvelle réforme de l'assurance chômage commandée par le gouvernement. Et cela, même si la dernière convention Unédic - traduite dans le projet de loi «liberté de choisir son avenir professionnel» adopté par le Parlement il y a à peine… un mois - date de février. Insistant sur la mise en place de mesures d'«incitation au retour à l'emploi» et de «formation des demandeurs d'emploi», Geoffroy Roux de Bézieux demande aux syndicats d'être «en capacité d'ouvrir tous les sujets». «Tout doit être mis sur la table», a réclamé le patron du Medef lundi devant la presse. Lequel espère (encore) échapper au «bonus-malus» sur les contrats courts que réclament une partie des syndicats et le gouvernement.

Autre sujet du nouvel agenda social : la santé au travail. Satisfait d'avoir échappé au financement par les employeurs des premières indemnités journalières en cas d'arrêt maladie, Roux de Bézieux s'est dit également «prêt» à faire quelques pas, car «on a un système de prévention et de santé au travail qui est complexe, pas forcément efficace». A une condition, toujours la même : «Le coût du travail ne doit pas augmenter.» Contrairement à son prédécesseur, Pierre Gattaz, le nouveau patron du Medef a évité d'en faire des tonnes sur les «charges» qui «pèsent» sur les entreprises. Tout juste a-t-il souligné que, pour la réforme des retraites prévue en 2019, le patronat fera bien attention à ce que le financement des futures pensions n'aggrave pas le «problème de compétitivité» des entreprises françaises.

Le Medef compte aussi sur le gouvernement pour qu'il tienne sa promesse de suppression de plusieurs «petites taxes». «Nous allons supprimer 25 petites taxes, celles qui ont moins de 150 millions d'euros de rendement, dans les deux prochains budgets», a annoncé Gérald Darmanin (Action et Comptes publics) début juillet. Lesquelles ? Il faudra attendre la présentation, fin septembre, du projet de loi de finances pour en connaître le détail. Manque à gagner pour l'Etat : 200 millions d'euros par an.

Les cadeaux obtenus : une baisse de l'impôt sur les sociétés

A les entendre déplorer telle ou telle mesure ponctuelle de l'exécutif, on en oublierait le principal : les entreprises seront, sauf improbable changement de cap, les grandes gagnantes du quinquennat. De la réforme du code du travail à la suppression (contrainte par la justice) de la taxe sur les dividendes, en passant par la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et la mise en place d'un prélèvement forfaitaire unique de 30 % sur les revenus du capital, nombreuses sont déjà les réformes favorables aux employeurs ou investisseurs. «Notre politique est une politique de l'offre», a assumé lundi Bruno Le Maire, déplorant lui aussi un «coût du capital trop élevé» en France. Le prochain budget conservera ce cap. Amorcée sous François Hollande, la baisse de l'impôt sur les sociétés (IS) se poursuivra cette année, son taux passant de 33 % à 31 % pour les entreprises qui réalisent plus de 500 000 euros de bénéfices. Le gouvernement a prévu de ramener l'IS à un taux unique de 25 % en 2022, histoire d'être, insiste-t-il, dans la moyenne européenne.

Les entreprises vont aussi grandement bénéficier de la bascule du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse pérenne de cotisations patronales. Sous sa forme actuelle, le dispositif, fondé sur les rémunérations de l'année précédente, agit avec un an de décalage. La baisse de cotisations patronales devrait s'appliquer, elle, mois après mois, dès le 1er janvier 2019. Conséquence : l'an prochain, les entreprises toucheront à la fois leur chèque au titre du CICE de 2018 et verseront moins de cotisations. Bénéfice pour les entreprises, et coût pour les finances publiques : 20 milliards d'euros. Pour Le Maire, cette formidable manne doit être consacrée «à l'investissement et au désendettement, plutôt qu'aux dividendes». Un vœu que l'Etat n'a guère les moyens de faire respecter. D'autant que le patronat refuse que l'on parle d'«effet d'aubaine». Depuis longtemps, il pointe que, mécaniquement, la suppression du CICE et son remplacement par des baisses de charges aura comme conséquence d'élargir l'assiette de l'impôt sur les sociétés.