Proche de Nicolas Hulot qui a annoncé mardi sa démission, le philosophe Dominique Bourg préside le conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l’homme, créée par l’ex-ministre. Il analyse cette annonce politique à l’aune de l’urgence écologique.
Comment avez-vous accueilli l’arrivée de Nicolas Hulot au gouvernement ?
Je me suis dit «pourquoi pas». Séduit par le «en même temps» d'Emmanuel Macron, j'y voyais la possibilité pour Nicolas Hulot d'entamer un changement de fond qui prendrait en compte les enjeux écologiques sans ruiner ou déstabiliser notre pays, car nous sommes comme une voiture roulant vers un précipice : il faut s'arrêter avant la chute, mais sans freiner trop brusquement pour éviter l'accident. Parmi les chantiers à entreprendre, il y avait la décarbonisation de nos systèmes de production, susceptible de créer de l'emploi et d'instituer une dynamique en cohérence avec la COP 21. Je pense aussi à la mise en place d'une économie circulaire organisée autour du recyclage et de la consommation responsable, un système écologiquement vertueux qui ne détruirait pas notre modèle mainstream. Pendant un temps, c'était jouable. Sans oublier le développement de l'agro-écologie, une manière de produire qui fonctionne et qui peut créer de l'emploi. Mais j'ai vite vu que ce n'était pas le cas. En janvier, j'avais conseillé à Nicolas de quitter le gouvernement, je suis content de cette démission.
Sur France Inter, il a pourtant souligné que des petits pas avaient été franchis, et que le pays restait au premier plan de la transition écologique.
Aucun changement d’envergure n’a été amorcé. La loi sur la biodiversité n’intègre pas d’interdiction nette, les émissions françaises de CO2 ont augmenté de 3,2 % en 2017. Et puis, comment considérer que la fin du glyphosate d’ici trois ans est une victoire alors que cela va simplement permettre aux industriels de changer de molécule ? Pendant ce temps, les signes de l’urgence se multiplient : des populations de vertébrés s’effondrent, tout comme les insectes volants, en Antarctique la fonte des glaces atteint désormais tout le pourtour et non plus seulement l’ouest. Tous les signaux sont au rouge sang.
Nicolas Hulot a regretté d’être seul, sans appui politique ni soutien de la société civile. Etes-vous d’accord ?
Il n’a pas toujours su gérer sa communication. Il a même assez peu communiqué. Quand on lui a fait avaler des couleuvres, il a beaucoup pris sur lui et s’est refusé à critiquer les décisions. Certes, il n’avait pas beaucoup de pouvoir politique, mais il disposait d’une grande popularité dans l’opinion, qu’il aurait pu prendre à témoin pour obtenir plus de soutien.
Ce départ n’apporte-t-il pas la preuve que le changement ne peut pas provenir de la sphère politique ?
La démission de Nicolas Hulot est intéressante car elle met sur la place publique l’incurie du gouvernement sur ces questions. La chose est claire : pour assurer la transition écologique, il faut changer de modèle économique et social, consommer moins et produire autrement. Où était l’environnement dans la campagne d’Emmanuel Macron ? Nulle part, et il n’y a d’ailleurs eu aucune avancée significative en un an. L’histoire de l’inscription de la protection de l’environnement dans la Constitution est emblématique. Le projet initial du gouvernement était d’inscrire le climat dans l’article 34, qui définit les domaines sur lesquels le Parlement légifère ; or la Constitution et cet article lui reconnaissaient déjà ce pouvoir. Ensuite, l’inscription dans l’article 1 a été envisagée de façon à ce qu’elle soit aussi peu contraignante que possible.
Au niveau politique, quel pays pourrait servir de modèle en matière d’écologie ?
Même les Etats scandinaves, qui font mieux sur certains points, ne se dirigent pas vers un changement de modèle. Nous allons tous vers des difficultés croissantes : des phénomènes, comme le réchauffement de l’Antarctique, présentent déjà une dynamique d’irréversibilité, sans parler de l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère et de la chaleur dans les océans. Maintenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C me semble compromis.
Nicolas Hulot indiquait mardi matin que les dix prochaines années seraient cruciales pour agir. Partagez-vous ce constat ?
Si nous agissions dans la décennie à l’échelle mondiale, nous aurions une petite chance de rester sous la barre des 2°C, mais nous connaîtrons quoi qu’il arrive des changements auxquels il va falloir autant que possible nous adapter. En revanche, ne pas agir, ou si peu, nous conduit à une dégradation très forte de l’habitabilité de la Terre.