Une crise ? Quelle crise ? Ce mardi, peu après l'heure du déjeuner, Edouard Philippe est venu jouer au VRP des réformes économiques et sociales de sa majorité devant les patrons réunis à Jouy-en-Josas (Yvelines) pour la traditionnelle université d'été du Medef. Et ce n'est pas la démission fracassante de Nicolas Hulot, numéro 3 de son gouvernement, le matin même sur France Inter qui allait bousculer son agenda. Ni son propos devant les chefs d'entreprise… Sur quarante-cinq minutes de discours, le Premier ministre en a consacré à peine deux (sous forme de parenthèse), pour dire, devant une assistance visiblement contente du départ de l'ex-ministre de l'Ecologie, combien il avait «aimé travailler» avec lui et combien «la détermination […] du gouvernement à prendre en compte cet impératif de transition écologique» pouvait être «totale»… En revanche pour un discours «disruptif» d'un chef de gouvernement devant la principale organisation patronale, on repassera.
Absent l'an dernier du campus d'HEC pour éviter de froisser des syndicats avant d'attaquer la réforme du code du travail, Edouard Philippe est avant tout venu au Medef défendre sa politique : «Nous avons pris des engagements clairs et nous ne les remettrons pas en cause d'ici la fin du quinquennat.» Faut dire que le nouveau patron des patrons, Geoffroy Roux de Bézieux, avait l'air un peu contrarié, la veille, devant la presse, apprenant au dernier moment que le gouvernement choisissait, pour boucler son budget, de repousser de quelques mois (du 1er janvier au 1er octobre 2019) une baisse de quatre points de cotisations patronales au niveau du Smic et avait décidé d'augmenter le cinquième acompte d'impôt sur les sociétés pour les grandes entreprises. De la «tambouille comptable» avait critiqué le successeur de Pierre Gattaz lundi matin.
Avant de laisser sa place à Philippe à la tribune centrale de son université d'été, Roux de Bézieuxa prévenu son invité : «Les mesures budgétaires annoncés hier par Bruno Le Maire sont un très mauvais signal.» Roux de Bézieux a certes salué un «gouvernement [qui] a redonné la confiance aux entrepreneurs» en citant notamment la réforme du code du travail et la fin d'une «surtaxation du capital» et demandé à ses troupes de «renvoyer la balle» en faisant maintenant ruisseler cet argent en investissant dans de nouvelles entreprises, il a rappelé la «ligne rouge» de son organisation : «Ne pas alourdir les charges.» «Nous préférons les preuves d'amour aux déclarations d'amours», a-t-il martelé en référence au «j'aime l'entreprise» prononcé sous ce même chapiteau par Manuel Valls quatre ans plus tôt.
«Un effort considérable à fournir» sur la compétitivité
Sans nouvelles annonces dans sa musette, Edouard Philippe a donc pris soin de cajoler son hôte. Et de lister tout ce que le gouvernement compte faire voter à la rentrée par sa majorité, que ce soit dans les projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale comme dans le «plan d'action pour la transformation des entreprises» (Pacte) qui doit être examiné dès la semaine prochaine en commission spéciale à l'Assemblée : suppression d'une «vingtaine de petites taxes» dont celle sur les appareils d'impression ou celle sur les farines, suppression ou gels de seuils, simplification des procédures de transmission et aussi création d'un guichet unique pour les créateurs d'entreprise, réforme profonde de l'intéressement, de la participation et de l'actionnariat salarié… Philippe a surtout insisté sur un mot qu'ici, tout le monde adore : la «compétitivité». «Sur la compétitivité, il nous reste un effort considérable à fournir», a déclaré Edouard Philippe, bien applaudi sur ce coup.
Et pourtant, le gouvernement a déjà bien donné en la matière : passage de l'impôt sur les sociétés de 33% à 25% d'ici 2022, «pérennisation», comme le dit Edouard Philippe, du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) en «allègement de charges simples» dès 2019. Les patrons ont beau rappeler qu'avec cette bascule, ils paieront plus d'impôts sur les sociétés, le chef du gouvernement a bien souligné qu'avec le chèque du CICE perçu au titre de 2018 et cette baisse durable de cotisations patronales, ils bénéficieront d'un «ressaut de trésorerie exceptionnel […] absolument considérable» qui coûtera 20 milliards d'euros à l'Etat et sera - du coup – responsable d'un «rebond» du déficit public en 2019. «Ce n'est pas un cadeau, a tempéré le Premier ministre, ce sera utile pour financer les investissements […] pour développer la compétitivité.»
«Ça n’est pas une forme de zig-zag»
Cet argent doit également aider le gouvernement à financer la formation des demandeurs d'emploi et à boucler son budget – d'où l'augmentation de l'acompte de l'impôt sur les sociétés pour les très grandes entreprises et le report de la baisse supplémentaire de cotisations patronales sur les bas salaires annoncés la veille par Le Maire : «Il me paraît légitime qu'une partie de cette trésorerie exceptionnelle soit également mise à contribution pour des objectifs d'intérêts général», a lancé Philippe pour répondre directement à Roux de Bézieux : «Ça n'est pas une forme de zig-zag […] nous mettons en œuvre les choses, sérieusement au regard de la croissance dont nous disposons et que nous suscitons. Exactement comme vous le faites pour les entreprises nous prenons des décisions soutenables pour les finances du pays.»
Quant aux réformes sociales à venir, Philippe a aussi rassuré son auditoire. Avant de revoir, dans deux jours, le président du Medef à Matignon pour ouvrir les discussions sur de nouvelles règles pour l'assurance-chômage et la santé au travail, il a bien insisté sur le «problème d'appétence» en plus de «compétences» de certains demandeurs d'emploi. «L'assurance-chomage doit être plus universelle, a répété Philippe. Elle doit faire en sorte de mieux responsabiliser l'ensemble de ceux qui ont besoin de revenir vers l'activité.» Et le Premier ministre de bien choisir ses mots : «Nous devons faire en sorte qu'il soit toujours plus intéressant de revenir vers le travail. Toujours, et de façon systématique.» Les patrons l'ont bien applaudi. Pas sûr que les syndicats qui, eux, redoutent une plus grande dégressivité des allocations chômage, en fassent autant cette semaine lorsqu'ils seront reçus à Matignon.