«Je n'y crois plus.» Au bord des larmes, la voix nouée, Nicolas Hulot rend les armes, mardi matin, au micro de France Inter. A la surprise générale. Il n'en a parlé à personne. Ni au Président, ni à sa famille, ni à ses amis, ni à ses collaborateurs. Un coup de tonnerre. Lui-même, sans doute, ne s'était pas préparé à craquer en direct. Le désormais ex-ministre de la Transition écologique et solidaire d'Emmanuel Macron est un imprévisible, un impulsif. Mais le coup de tonnerre ne vient pas de nulle part. Loin de là.
La tempête grondait dans le crâne de Hulot depuis des semaines. Le 2 août, nous avons reçu un coup de fil du ministre. Il nous appelait depuis la Bretagne, où il se réfugie le plus souvent possible. Nous ne lui avions pas parlé depuis des mois : il s'était refermé comme une huître après «l'affaire Ebdo» et les accusations de viol portées en février contre lui. Ce matin-là, nous avons illico compris pourquoi Hulot nous appelait. Dans un éditorial un peu sévère, nous avions pointé le fait que face à l'urgence absolue d'une crise environnementale qui menace la survie même de l'humanité, la tête de l'exécutif se contente de belles paroles. Hulot nous trouvait-il injuste ? Soupir. «Pas du tout. Le plus emmerdant, c'est ce qui est dit dans l'édito : on est sur la trajectoire de rien. Ils [Macron et Philippe, ndlr] n'ont toujours pas compris l'essentiel. Le problème, c'est le modèle. Cela me fait penser à cette phrase de Bossuet : "Nous nous affligeons des effets mais continuons à adorer les causes."» Et de nous confier en off le «putain de dilemme» qui le taraudait chaque jour et l'empêchait parfois de dormir. «Mon problème est très simple. Soit je m'en vais et ce sera bien pire, il y aura trois EPR de plus dans les prochaines années. Soit je reste, et il n'y aura pas le grand soir.»Hulot nous confirmait avoir été sur le point de claquer la porte en juin. Mais Macron avait remis une pièce dans le juke-box pour le retenir, mais l'écologiste n'a pas été dupe. «Ils m'ont donné [l'inscription de la biodiversité et de la lutte contre les changements climatiques dans] l'article 1 de la Constitution, les éoliennes offshore [six projets confirmés fin juin] pour ne pas que je me barre», se désolait-il.
«Bonjour, ça va»
Le 3 août, Hulot est rentré à Paris pour le dernier Conseil des ministres avant la pause estivale. Puis il a rejoint sa maison en Corse. «J'ai dîné chez lui, là-bas, il y a quinze jours. Il n'avait pris aucune décision [quant à sa démission]. Mais il était désespéré. Qui ne l'aurait pas été à sa place ?» raconte Maxime de Rostolan, le fondateur de l'association Fermes d'Avenir, un proche. A-t-il parlé de Macron, de Philippe ? A peine. «Il a juste dit qu'ils sont dans le système, qu'ils sont le système. Il a établi des liens personnels et amicaux avec eux, mais sur le fond, ils sont bien de mondes différents.»
Contre toute attente, c'est le sujet des chasseurs qui a sans doute été la goutte d'eau faisant déborder l'océan de couleuvres avalées. Lundi, une réunion prévue de longue date se tient à 17 heures à l'Elysée avec le Président en personne et les usual suspects du lobby de la chasse française.
Cadeau promis
Autour de la table, dans le bureau présidentiel, Nicolas Hulot est accompagné de son secrétaire d'Etat, Sébastien Lecornu. Le sénateur LREM François Patriat, grand ami des chasseurs et de Macron, est également de la partie. En face, le patron de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, est venu avec deux de ses collaborateurs. Mais aussi avec Thierry Coste, indéboulonnable lobbyiste prochasse, bête noire des écolos depuis plus de vingt ans. Coste décrit une ambiance plutôt détendue : «On a eu une courte discussion avec Hulot dans le salon, dix minutes avant le début, "bonjour, ça va".» Les deux hommes se tutoient. Commence alors une longue réunion d'arbitrage, de près de deux heures. C'est dire l'importance que le chef de l'Etat accorde à ce sujet. Il s'agit de décider quelles concessions devront faire les chasseurs en échange du cadeau promis par Macron : le coût du permis de chasse ramené de 400 à 200 euros. Si Hulot laisse voir que «des choses ne lui plaisent pas», la réunion se serait passée «normalement», assure une source ministérielle. Selon Coste, elle aurait même été «animée mais courtoise». Mais sur RTL mardi soir, Sébastien Lecornu a rapporté que son collègue n'était visiblement «pas dans son assiette». Selon un autre participant, il était au bord des larmes…
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Ce qui fait doucement sourire Willy Schraen : «Il était tout à fait normal, juste à côté du Président. Il mâchait même un chewing-gum, plutôt détendu.» C'est après le départ du chef de l'Etat que le ton serait brièvement monté entre Coste et Hulot. Sitôt sorti de l'Elysée, tandis que les chasseurs se précipitent sur les micros pour chanter les louanges de ce président bienfaiteur, Hulot regagne son bureau avec sa mine des mauvais jours, annulant l'interview qu'il devait accorder le soir même au Figaro. Sur le chemin, il appelle Allain Bougrain-Dubourg, le président de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO). Ce dernier raconte : «Il était extrêmement déçu par le cadeau fait aux chasseurs, il en était même affecté. Il espérait que Macron aurait un minimum de délicatesse à l'égard de ses revendications.»
Ascenseur
Le lendemain matin, 8 heures à la Maison de la radio. Dans le petit salon où on prend le café avec les invités de marque, tout le gratin de France Inter est là pour accueillir Hulot : Laurence Bloch (directrice de la station), Thomas Legrand (chroniqueur politique)… L'invitation avait été lancée il y a plusieurs jours et confirmée lundi soir. Le ministre de la Transition écologique raconte à la petite assemblée que la présence, la veille à l'Elysée, du lobbyiste Thierry Coste l'a énervé. Mais il parle aussi de la loi biodiversité, en se demandant s'il aurait les moyens de ses ambitions. «On avait en face de nous le Hulot qui grogne, dont on a l'habitude, mais il se projetait dans l'avenir», raconte le nouveau chroniqueur international de la matinale de France Inter, Pierre Haski. Il faudra d'ailleurs attendre presque six minutes après le début de l'interview (une éternité en radio) pour entendre résonner : «Je quitte le gouvernement.» «Il avait décidé de démissionner, mais il devait l'annoncer dans plusieurs semaines. Il ne savait pas, en entrant dans le studio, s'il allait le dire ou pas», a affirmé plus tard à BFMTV Thomas Legrand, qui a raccompagné le ministre dans l'ascenseur.
La voiture de fonction du ministre démissionnaire file alors en direction de son ministère. Hulot en profite pour envoyer un SMS au Premier ministre pour lui confirmer la nouvelle. Réunissant les membres de son cabinet, ses deux secrétaires d'Etat (Sébastien Lecornu et Brune Poirson) et la ministre des Transports, Elisabeth Borne, il justifie la mauvaise manière qu'il venait de leur faire. Un témoin raconte : «Tout en reconnaissant qu'on en avait fait plus que tous les autres, il nous a expliqué qu'il fallait une véritable révolution écologique.»