Menu
Libération

Tout ce que vous avez voulu savoir sur l’éducation sexuelle à l’école

Une déclaration de Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes, et un document de l’Organisation mondiale de la santé ont alimenté les rumeurs de potentiels cours d’éducation sexuelle dès la maternelle. CheckNews démêle le vrai du faux.
Lyon, le 18 novembre 2017. Congrèsde La République En Marche (LREM). SUR LA PHOTO: Marlène Schiappa, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'Égalité entre les femmes et les hommes, après l'élection de Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des Relations avec le Parlement, porte-parole du Gouvernement, au poste de délégué général du parti. COMMANDE N° 2017-1599
publié le 31 août 2018 à 21h16

«A l’approche de la rentrée scolaire et en tant que femme, mère et élue, je suis perplexe sur le programme d'éducation à la sexualité qui va être transmis aux enfants», déclare un tweet daté de mercredi, parmi des centaines d’autres sur le même sujet. Relayé plus de 1 600 fois, ce message émane - détail cocasse - d’une élue, anciennement LR et se revendiquant de LREM. Des dizaines de personnes ont commenté la publication, dénonçant une «fake news». Sans succès. L’auteure ne l’a pas supprimé. Ce tweet insubmersible est à l’image de cette rumeur qui enfle depuis un mois : la loi Schiappa, promulguée début août, imposera des séances d'éducation sexuelle obligatoires dès la maternelle à la rentrée prochaine. Voire préconisera d’apprendre la masturbation aux élèves !

Riposte. La vague de désinformation est d’une ampleur rare, comparable à celle qui avait frappé l’ex-ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem à propos de la supposée théorie du genre enseignée à l'école. Le gouvernement tente de coordonner la riposte. Le ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, organisera une table ronde avec les fédérations de parents d'élèves et les associations. Il avait déjà tonné lors de sa conférence de rentrée, ciblant notamment les milieux religieux intégristes : «Il y a des gens qui ont aujourd’hui intérêt à intoxiquer l’opinion publique pour faire croire qu’il se passe n’importe quoi à l'école publique.»

Marianne racontait cette semaine comment un responsable d’une future école musulmane hors contrat faisait la retape auprès de la communauté à Aulnay-sous-Bois, postant un message appelant au retrait des enfants de l'école publique : «En 2018, les bouquins pour leur apprendre la masturbation sont prêts. Vous allez continuer à leur laisser vos enfants ?»

«Irrationnel». Mardi, Marlène Schiappa a animé une séance de questions-réponses sur Facebook pour tordre le cou aux rumeurs. Une trentaine d'événements ont aussi été organisés partout en France, avec des députés LREM ou des référents du mouvement, pour rassurer les parents inquiets.

Mais comme souvent dans ces campagnes, qui versent parfois dans le complotisme, les réponses institutionnelles et médiatiques ne suffisent pas. «On est dans un domaine irrationnel où la réponse officielle ne fait que valider la rumeur», déclare, dépité, un membre du cabinet de Marlène Schiappa. A Libération, nous avons reçu sur CheckNews des dizaines de questions d’internautes. Voici nos réponses.

Est-il vrai que l’OMS préconise la masturbation avant 4 ans ?

La rumeur d’une éducation sexuelle imposée à la rentrée 2018 repose aussi sur la réémergence d’un document de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) intitulé «Standards pour l'éducation sexuelle en Europe». Ce rapport, dénoncé sur les réseaux sociaux pour «préconisation de la masturbation aux enfants de 4 ans», existe bel et bien. Il a été publié par l’OMS, mais en 2010. Quelques mois après la publication d’une traduction française, en 2013, le rapport avait déjà fait parler de lui, notamment par le biais de SMS appelant les parents à retirer leurs enfants de l'école. De quoi s’agit-il précisément ?

L’OMS a chargé en 2008 le Centre fédéral allemand pour l'éducation à la santé de rédiger ce rapport, conjointement avec 19 spécialistes. Son objectif ? Etablir des recommandations pour «donner aux enfants et aux jeunes une éducation adéquate en matière de sexualité» afin «d’améliorer le niveau global en matière de santé sexuelle». Pour cela, le rapport préconise d’adopter une éducation «positive» de la sexualité, qui ne s’appuie pas uniquement sur les aspects biologiques mais aussi psychologiques et sociaux.

Ainsi, il est conseillé de commencer l'éducation sexuelle tôt, en tenant compte de la «sensibilité» des enfants. Ces «standards» sont en fait des recommandations pour les cours d'éducation sexuelle en fonction de l'âge et du développement de l’enfant, mais l’OMS n’impose rien. La «matrice» de ces standards est structurée en six groupes d'âge et en huit catégories thématiques. Le premier groupe concerne les enfants de moins de 4 ans.

Dans un communiqué diffusé au moment de la publication du rapport en 2010, son auteure expliquait : «La particularité de ces nouvelles recommandations, au-delà du thème abordé, c’est qu’elles insistent sur la nécessité de commencer l'éducation sexuelle dès la naissance.» A la question : «Pourquoi commencer l'éducation sexuelle avant l'âge de 4 ans ?» les auteurs du rapport répondaient : «L’enfant est un être sexué dès sa naissance, même si sa sexualité est différente de celle des adultes à de nombreux égards, notamment dans son expression, ses contenus et ses objectifs. A chaque âge, chaque étape de développement, il aura des questions et des comportements spécifiques (par exemple, la découverte et exploration de son corps et de celui de ses camarades en jouant au docteur, se plaire à montrer son corps et à regarder celui des autres, faire preuve de pudeur envers autrui, etc.) auxquels il s’agira de réagir par une pédagogie adaptée.»

Ainsi, les standards recommandent d’informer l’enfant de moins de 4 ans sur les différentes parties du corps humain, la grossesse, la naissance, les différents types d’amour, le droit d'être en sécurité et protégé etc., afin notamment de l’aider à développer «une image positive de son corps» ou le «respect des autres».

Quant à la masturbation de très jeunes enfants, largement mise en avant par les détracteurs de ce rapport, elle est bien évoquée… mais nullement «encouragée». Dans la catégorie «sexualité» de la tranche d'âge 0 à 4 ans, il est suggéré d’informer sur «le plaisir et la satisfaction liés au toucher de son propre corps, la masturbation enfantine précoce».

Dans une rubrique du rapport recensant des questions et des réponses, l’OMS revient sur cette «préconisation». A la question «Est-il vrai que, comme le disent certains critiques, ces standards encouragent des enfants de 1 à 4 ans à la masturbation et à « jouer au docteur » ?» l’OMS répond : «Comme nous l’avons mentionné, il est crucial de considérer que l'éducation sexuelle doit être appropriée à l'âge. Ainsi, les standards comprennent des informations sur les étapes de développement des enfants. Cette information est destinée aux professionnels (les professeurs et éducateurs) qui doivent être informés sur la variété des phénomènes naturels dans le développement psychosexuel des enfants, y compris donc sur la masturbation infantile et les « jeux du docteur ».»

Selon l’OMS, ces standards ne préconisent pas d’apprendre aux enfants à se masturber, mais indiquent que la masturbation infantile fait partie du développement de l’enfant et intervient avant 4 ans. On lit d’ailleurs dans le rapport : «A cet âge, ils commencent à explorer leur corps (masturbation enfantine, autostimulation) et à tenter d’explorer le corps de leurs amis (par exemple en jouant au docteur). Des recherches extensives fondées sur l’observation ont identifié un comportement sexuel commun des enfants et établi que celui-ci était tout à fait normal.»

Est-ce que la loi Schiappa prévoit des cours d’éducation sexuelle à partir de 4 ans ?

La loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, promulguée le 3 août et portée par la secrétaire d’Etat à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, ne contient aucune mesure concernant des classes d'éducation sexuelle. L’article 10 rend seulement obligatoire la «sensibilisation des personnels enseignants aux violences sexistes et sexuelles et à la formation au respect du non-consentement».

L’intox repose sur une incompréhension. Marlène Schiappa avait en effet annoncé le 18 juillet sur RMC qu’une nouvelle circulaire allait être envoyée à la rentrée «à tous les recteurs de France pour qu’ils mettent en œuvre une loi qui existe déjà mais qui n’est pas mise en œuvre, qui demande qu’il y ait trois séances d'éducation à la vie affective et sexuelle faites par an, par des associations qui ont des agréments». Mais cette déclaration a été mal interprétée par certains internautes, et certains sites, qui ont compris que la mesure était inscrite dans le projet de loi sur les violences sexuelles.

L'éducation à la sexualité n’a pas attendu Marlène Schiappa pour faire son entrée à l'école. Elle est déjà inscrite dans la législation à partir de l'école primaire. Depuis 2001, l’article L312-16 du code de l’Education dispose qu'«une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d'âge homogène».

Mais ce n’est qu’en 2003 qu’une circulaire en a précisé les objectifs et les modalités d’application. En primaire, le chiffre de trois séances d'éducation à la sexualité correspond plutôt à un «ordre de grandeur», précise la circulaire de 2003. Contacté par CheckNews, le ministère de l’Education nationale explique qu'à «l'école primaire, les temps consacrés à l'éducation à la sexualité incombent aux professeurs. Ils doivent être identifiés et intégrés aux enseignements». Par ailleurs, ils sont adaptés en fonction des «opportunités fournies par la vie de classe», par exemple des questions posées par les élèves.

Comme l’indique Marlène Schiappa, cette règle est peu appliquée, ou du moins très inégalement, d’après une étude menée par le Haut Conseil à l'égalité au cours de l’année scolaire 2014-2015. Sur un échantillon de 3 000 établissements publics et privés interrogés, 25 % des écoles élémentaires, 4 % des collèges et 11,3 % des lycées déclarent n’avoir rien mis en place. Et, d’après cette étude, le nombre de classes ayant reçu au moins les trois séances obligatoires est relativement faible : 47 % en CM2, 10 % en 6e, 21 % en 4e, 12 % en seconde.

La circulaire, qui n’a rien à voir avec la loi Schiappa, entend donc faire appliquer une loi vieille de près de vingt ans, en aucun cas créer un nouveau dispositif…

La seule - petite - nouveauté est que la secrétaire d’Etat a indiqué que la thématique du consentement devrait être abordée pendant ces séances. «On y parlerait du consentement, du respect d’autrui, des rapports entre les femmes et les hommes et de la manière dont, effectivement, ce n’est pas faire la fête que d’aller mettre une main aux fesses à une femme. Le corps des femmes n’est pas un bien public, il leur appartient à elles seules», a-t-elle ajouté. Le code de l’Education prévoit déjà que ces classes «contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain», mais le terme «consentement» n’est pas explicitement mentionné dans la circulaire de 2003.