La scène a dû être cocasse lundi en fin d'après-midi. La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, en visite à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), a rendu public le rapport sur «l'amélioration de l'information des usagers et des professionnels de santé sur le médicament». Pile un an après que l'Agence, comme la ministre, ont minoré le nombre ahurissant d'effets secondaires que produisait la nouvelle formule du Levothyrox, ce médicament utilisé pour stabiliser les hormones thyroïdiennes et pris par plus de 3 millions de Français. La ministre a également annoncé une série de mesures «pour mieux informer». En septembre, Buzyn avait pour le moins été prudente : «Ce n'est pas un scandale sanitaire, c'est une crise d'information. Nous devons sortir du registre du drame et dédramatiser l'information autour du médicament», avait-elle lâché. Un an plus tard, ce n'est pas l'avis du rapport, qui étrille la gestion par l'Agence de la crise. Rappelons que quelque 31 000 cas d'effets secondaires ont été signalés. Or si pendant des semaines, le discours officiel a été «circulez, y a rien à voir», les autorités ont permis le retour à l'ancienne formule et l'arrivée de nouveaux produits. Un an après, nul n'a compris pourquoi le laboratoire Merck a décidé de modifier le médicament alors que l'ancien donnait satisfaction.
Flash-back. Le rapport a été codirigé par une représentante de l'association de patients Renaloo, Magali Leo, et un médecin urgentiste également chroniqueur radio, Gérald Kierzek. Il procède à une bonne analyse des loupés des autorités, sans pour autant expliquer ces ratages. «Les années récentes ont été jalonnées de plusieurs crises, de gravité variable, impliquant des médicaments (vaccination H1N1, Mediator, Dépakine, Levothyrox, pilules de troisième génération, Docétaxel, etc.)», rappelle avec justesse la mission, qui note : «Ces crises présentent des points communs en ce qui concerne les problématiques d'information et de communication : toutes ont été déclenchées par la dénonciation de lanceurs d'alerte, toutes ont fait l'objet de controverses entre experts, et pour plusieurs d'entre elles il est encore à ce jour impossible de trancher l'aspect médical… Et toutes ont donné lieu à des critiques des autorités sanitaires pour leur lenteur à réagir, voire leur volonté plus ou moins active de soustraire des informations utiles à la connaissance des parties prenantes.» La mission se demandant logiquement si «la crise du Levothyrox n'a pas constitué un point d'orgue de la crise d'information».
Puis le rapport opère un flash-back et liste les sept erreurs commises par l'ANSM. Il y a d'abord l'absence d'anticipation et d'accompagnement : «Le risque associé à la décision de changement de formule n'a été ni anticipé ni accompagné, alors que les caractéristiques inhérentes au produit, le monopole du laboratoire, les précédents, ainsi que le grand nombre de patients concernés auraient dû inciter les pouvoirs publics à informer plus largement, plus clairement et publiquement.» Vient ensuite l'absence ahurissante de réaction aux nombreux signaux. La mission pointe par ailleurs «le biais techniciste» de l'information, qui s'est limitée à insister sur la légitimité scientifique du changement de formule. Comme si un médicament se réduisait à sa chimie.
Puis, la mission critique «la forme du message, qui a prêté à confusion». Mais aussi «le moment mal choisi» pour communiquer : la décision du changement de formule a été envisagée dès 2012, alors que pendant cinq ans rien n'avait été fait pour s'y préparer. Et quand le scandale fut venu, la «communication de crise [a été] artisanale et insuffisamment coordonnée». Plus grave, il y a eu «une minimisation du ressenti des patients et de la légitimité de leurs signalements : l'effet nocebo a très vite été évoqué pour expliquer des effets secondaires que l'on analyse encore mal aujourd'hui». Ce tableau sévère se conclut comme on tire un signal d'alarme : «Les crises récentes impliquant des médicaments, et en particulier l'affaire du Levothyrox, témoignent d'une situation instable où l'on déplore des manquements à la transparence et à la réactivité que chacun est en droit d'attendre des autorités de police sanitaire sur des sujets de santé.»
Dossier partagé. Lundi, la ministre a repris une grande partie des recommandations émises par la mission. Dans un communiqué, elle s'engage pour «une information plus accessible, plus claire et plus réactive sur le médicament». Elle entend «encourager les remontées d'informations de patients et de professionnels de santé» avec la mise en place dès cette année d'une «stratégie de promotion de la déclaration des événements indésirables et le développement des technologies permettant de repérer des signaux faibles d'alerte en dehors du système de pharmacovigilance [réseau spécialiste de surveillance des risques liés aux médicaments, ndlr]».Encore faut-il que ces vœux, souvent émis, soient suivis d'effets. Plus étonnant, Agnès Buzyn a demandé que «la communication d'urgence en cas d'alerte sur un médicament soit confiée à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé»… Celle-là même qui est passée à côté de la crise du Levothyrox. La ministre a également décidé de mettre en place «une source unique d'information publique sur le médicament en s'appuyant sur Sante.fr».
Deux mesures plus fortes sont à relever. Pour la première fois, les patients vont être représentés au Comité économique des produits de santé (CEPS), qui négocie les prix des médicaments remboursés et les rabais avec les laboratoires. Une présence importante… si la règle de la confidentialité qui bloque toute communication externe (et donc la transparence) est levée. Et puis, Agnès Buzyn a annoncé la généralisation du dossier médical partagé (DMP), un carnet de santé numérique, par l'assurance maladie sur l'ensemble du pays «à compter d'octobre». Ce DMP est attendu depuis plus de dix ans. S'il est bien mis en place, le changement sera vraiment significatif.