Free aurait-il perdu sa légendaire baraka ? Déjà lourdement sanctionné en Bourse en mai en raison d'un net ralentissement de sa croissance au premier trimestre (+0,8 %), l'opérateur créé par Xavier Niel a annoncé mardi les pires résultats, ou presque, de son histoire. Sur les six premiers mois de l'année, et pour la première fois depuis son arrivée dans le mobile en 2012, il a perdu 70 000 clients. La tendance n'est guère plus réjouissante dans le fixe, traditionnelle vache à lait de Free : 28 000 possesseurs de Freebox ont résilié leur abonnement au second trimestre, après un premier reflux de 19 000 sur les trois premiers mois de l'année. «On a fait un exécrable trimestre, on est tous d'accord là-dessus», a reconnu le fondateur et principal actionnaire, Xavier Niel, qui n'a pas cherché à nier l'évidence : le modèle de croissance du «trublion des télécoms» s'essouffle.
Offres 4G. Le contraste avec la situation il y a un an est saisissant : Free avait alors engrangé sur six mois un million de clients supplémentaires dans le mobile et 200 000 dans le fixe. Le chiffre d'affaires, qui progressait encore de 7 % il y a un an, accuse logiquement le coup. Il a reculé de 1,3 % au deuxième trimestre, s'établissant à 1,2 milliard d'euros.
«On ne sous-estime pas ces résultats décevants. Pour la première fois, nous avons perdu des abonnés, mais depuis juillet, notre base d'abonnés croît à nouveau. Je suis persuadé que nous sommes au début d'un nouveau cycle de croissance», a commenté lors d'une conférence de presse Thomas Reynaud, le directeur général d'Iliad, la maison-mère de Free, qui a remplacé à ce poste Maxime Lombardini, le bras droit historique de Xavier Niel, devenu président du conseil d'administration.
Selon Free, les abonnés mobiles perdus sont circonscrits aux offres à zéro et deux euros (selon qu'ils sont également clients Freebox), alors que l'opérateur a engrangé 500 000 nouveaux clients sur les offres 4G, plus rémunératrices. Et dans le fixe, la migration vers la fibre optique s'accélère avec 734 000 clients recensés à l'issue du second trimestre. Un moyen de garder les abonnés grâce à une qualité de connexion accrue : «Notre stratégie est celle d'une montée en gamme avec de plus en plus d'abonnés convergents [fixe et mobile, ndlr], qui nous sont plus fidèles dans la durée», a expliqué Thomas Reynaud, qui annonce le chiffre de 10 millions de foyers raccordables à la fibre pour la fin de l'année. De quoi limiter le taux de «churn» (résiliation des abonnements), la bête noire des opérateurs, et d'augmenter «l'Arpu» (revenu généré par abonné), l'autre indicateur clé du secteur.
Dans un marché des télécoms mature, qui ne croît plus quantitativement et obéit à l'implacable loi des vases communicants, la méforme de Free fait les affaires de ses concurrents. Tous affichent au premier semestre des gains substantiels dans le mobile : 82 000 abonnés en plus pour Orange, 121 000 pour Bouygues Telecom et 210 000 pour SFR (propriétaire de Libération), qui s'est récemment relancé avec des offres «à vie» à 5 euros comprenant un gros forfait de données à 30 gigas. Après avoir profité à plein de ses forfaits à prix cassés, qui lui ont permis de se constituer très rapidement une base d'abonnés mobiles de 5 millions de clients, Free subit aujourd'hui le retour de bâton de la terrible guerre des prix qu'il avait lui-même déclenchée en 2012.
Dans le fixe, l'opérateur, qui comptait 6,4 millions d'abonnés à la fin du deuxième trimestre, subit désormais l'assaut de Bouygues Telecom, en pleine remontada grâce à sa politique de prix cassés dans l'ADSL. Et il a le plus grand mal à contenir le rouleau compresseur Orange. Le leader incontesté du marché, qui totalise 70 % des déploiements de fibre dans l'Hexagone, comptait 10,3 millions de lignes raccordables fin juin. «La roue tourne», confirme un analyste selon lequel, pour s'en sortir, Free «doit frapper un grand coup pour inverser la tendance» avec la sortie, programmée dans quelques semaines, de sa nouvelle box.
«Mauvais réflexes». Très attendue - la dernière, baptisée «Révolution», remonte à 2010 -, son arrivée doit permettre à Free de renouer «avec son histoire de croissance», assure Thomas Reynaud, qui attribue à de «mauvais réflexes commerciaux» les résultats actuels. D'après lui, Free aurait sous-estimé «l'importance de la politique client», en ne cherchant pas à retenir ceux sur le point de se désabonner. Des problèmes «résolus depuis cet été», affirme-t-il.
D’après la presse spécialisée, qui se base sur les brevets récemment déposés par Iliad, la nouvelle Freebox pourrait redorer l’image d’innovateur de l’opérateur. Elle introduirait de nouvelles fonctionnalités très prisées du jeune public dans l’accès aux contenus (musique, vidéos) et le stockage à distance d’un très grand nombre de données dans le cloud.
Bien que Free ait cherché à rassurer en mettant en avant ses débuts prometteurs dans le mobile en Italie (1,5 million d'abonnés recrutés depuis son lancement en mai), ses mauvais résultats ont inévitablement fait resurgir le serpent de mer d'un retour à trois opérateurs dans l'Hexagone. Un scénario écarté par Xavier Niel, qui a affirmé qu'il n'était pas vendeur et entendait garder le contrôle de sa société, dont il détient 52 % des parts. Plus précis, son directeur général, Thomas Reynaud, a indiqué qu'Iliad ne sera pas le «déclencheur» des grandes manœuvres, et qu'un «scénario de rapprochement entre SFR et Bouygues Telecom apparaît comme le plus probable». Un écho à la sortie récente de Martin Bouygues, qui a lui indiqué être ouvert aux opportunités de consolidation du marché dès 2019, mais cette fois comme acheteur et non plus comme vendeur.