Mardi dernier, dans son fracassant testament radiophonique en forme de cri d'alarme, Nicolas Hulot l'a martelé : tout seul, un ministre de l'Ecologie, aussi sincère, déterminé et populaire soit-il, ne peut rien. Rien du tout. Tant que le sommet de l'Etat et les rouages de nos institutions censées défendre l'intérêt général seront aux mains des lobbys servant des intérêts privés, il ou elle aura au mieux «un peu d'influence», comme l'a dit Hulot, mais «pas de pouvoir».
Tant que le capitalisme financier mondialisé dictera sa loi, et même si ce dernier fait mine de se repeindre en vert, le «business as usual» mortifère perdurera sans vergogne. Tant que les grandes banques et les multinationales de l’agrochimie ou des énergies fossiles imposeront leurs objectifs de maximisation du profit à très court terme au mépris du climat, de la biodiversité, de la santé humaine et donc de l’avenir même de notre civilisation à brève échéance, peu importe qui remplace Hulot. Le problème n’est pas la personne qui se trouve à ce poste impossible qu’est celui de ministre de l’Ecologie.
Qu’il s’agisse de Hulot, d’une plante verte, de François de Rugy, d’un bigorneau ou du pape, le résultat sera le même. Kif-kif. Rien ne changera, ou si peu. Et l’écologie perdra la plupart des arbitrages. La loi mobilités, maintes fois repoussée et vidée cet été de l’essentiel de sa substance, risquera d’oublier le vélo et les transports en commun et de ne pas taxer le transport routier de marchandises qui demeure, suite à l’abandon de l’écotaxe poids lourds, exonéré de toute contribution quant aux externalités qu’il produit. La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) risque de ne pas acter noir sur blanc le nombre de réacteurs nucléaires devant fermer sous le quinquennat. La France risque de ne pas défendre le verdissement de la politique agricole commune (PAC), de ne pas réduire véritablement l’utilisation des pesticides. Le gouvernement risque de ne pas consacrer de budget suffisant à la rénovation thermique des logements, un chantier pourtant essentiel. Etc.
Pascal Canfin, ex-ministre délégué au Développement de Hollande et actuel président de l'ONG WWF France, un temps pressenti pour remplacer Hulot, l'a dit la semaine dernière au micro de France Inter : «Tous les ministres de l'Environnement précédents, de droite, de gauche, du centre, ont été confrontés au fait que l'Etat, aujourd'hui, n'est pas organisé pour produire la transition écologique à l'échelle dont on a besoin. L'Etat est organisé comme au XXe siècle, voire même parfois comme au XIXe, or la transition écologique c'est un besoin du XXIe siècle». Et de réclamer à Emmanuel Macron un «big bang» institutionnel. Selon Canfin, il en va de la «responsabilité» du chef de l'Etat, faute de quoi, ce «sera le signe de l'échec de n'importe quel autre nouveau ministre de l'environnement».
«Quand Canfin parle de la nécessité d'un big bang, il n'a pas tort», confie Nicolas Hulot à Libération. Mais l'ancien ministre l'a aussi répété mardi dernier : au-delà de l'organisation de l'Etat, ce qui cloche, ce qui nous mène dans le mur et que les chefs d'Etat doivent corriger de toute urgence, c'est le modèle économique dominant. Pendant que «la planète est en train de devenir une étuve, que nos ressources naturelles s'épuisent, que la biodiversité fond comme la neige au soleil», Emmanuel Macron, Edouard Philippe comme tous les dirigeants de la planète, pensent croissance, PIB, relance de la consommation… Bref, dixit Hulot, «on s'évertue à entretenir voire à réanimer un modèle économique marchand qui est la cause de tous ces désordres». Et alors que «l'enjeu écologique est un enjeu culturel, sociétal, civilisationnel, on ne s'est pas du tout mis en ordre de marche pour l'aborder comme cela».
Hulot l'a dit : au-delà du ministre de l'Ecologie, c'est l'ensemble du gouvernement, l'industrie, l'économie, le budget, les transports, l'agriculture etc, qui doivent «porter, incarner, proposer, inventer une nouvelle société économique». Et au-delà de ce changement profond nécessaire à la tête de l'Etat, puisque «la responsabilité est collégiale, collective, sociétale», c'est l'ensemble de la société, nous tous, qui devons «changer de paradigme», nous «hisser au-dessus des querelles habituelles» pour «être à la hauteur du pire défi que l'humanité ait jamais rencontré».
Puisqu’il y a fort à parier que la nomination de François de Rugy ce mardi ne signe pas un sursaut écologique à la tête du gouvernement, c’est à la société civile de se réveiller massivement et de peser de tout son poids. Ces dernières années, c’est grâce à elle, à sa pression sur le politique, que les forages de gaz de schiste n'ont pas transformé l’Hexagone en fromage suisse. Ou que l’usage des insecticides néonicotinoïdes "tueurs d'abeilles" comme de l’herbicide glyphosate a été (certes encore trop peu) freiné. L’unique espoir est là.