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Libération
Décryptage

Avec le projet de loi «Pacte», la majorité veut reprendre pied à l'Assemblée

Le projet de loi pro-entreprises défendu par Bruno Le Maire est examiné à partir de mercredi en commission spéciale. L'occasion pour les marcheurs de se rassurer après un été compliqué.
L'assemblée nationale, mars 2009. (Photo Joel Saget. AFP)
publié le 5 septembre 2018 à 12h53

Le bout du tunnel. Depuis l'arrivée au pouvoir des marcheurs, aucun projet de loi n'avait connu une arrivée si difficile à l'Assemblée nationale. Le «plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises», dit «Pacte», dont l'examen en commission spéciale débute ce mercredi après-midi, a même failli ne jamais voir le jour. Annoncé par le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, en octobre 2017, ce texte destiné à «libérer les entreprises» est d'abord passé par une (longue) phase de «propositions» issues de «binômes» députés-patrons et, une fois mis en forme par Bercy, a dû attendre (presque aussi longtemps) que l'Elysée se décide à y intégrer les privatisations de la Française des Jeux et d'Aéroport de Paris.

Résultat, le projet de loi est arrivé tard (mi-juin) en Conseil des ministres et aurait même pu être dépiauté : avec l'affaire Benalla et le report de la révision constitutionnelle cet été, l'exécutif a imaginé inclure les dispositions fiscales contenues dans ce texte au projet de loi de Finances pour 2019 et remettre à plus tard le reste des articles. «J'ai mis toute mon influence et mon poids pour que ce ne soit pas décalé», souligne la députée LREM Olivia Grégoire, présidente de la commission spéciale, pour qui il était urgent de réattaquer la rentrée sur un sujet – l'entreprise – au cœur de l'identité macronienne. «Ce n'est pas la loi Macron 2, prévient tout de même la députée de Paris. Avec 73 articles et plus de 2 000 amendements, c'est, à cette heure, le plus gros bébé du quinquennat.»

Pas question d'ailleurs d'accepter des amendements de ses camarades marcheurs souhaitant utiliser cette loi pour étendre le travail du dimanche : «Ce projet de loi à une cohérence. Si on fait ça, on donne raison à l'opposition qui va dénoncer une loi "fourre-tout".» «C'est une vraie loi économique, ce qui compte, c'est que les PME voient que l'on fait des choses pour elles», défend-on également chez Le Maire.

Mais avec le départ de Nicolas Hulot, suivi de celui de Laura Flessel sur fond de fraude fiscale et le fiasco du prélèvement à la source, les débuts parlementaires de ce «pacte» avec les entreprises se font pour l’instant dans l’indifférence politique.

Tout pour les PME ?

C'est, selon Le Maire, la «cohérence» de sa loi Pacte : «Faire grandir nos entreprises pour leur permettre d'innover, d'exporter et de créer des emplois en France». Devant les patrons réunis la semaine dernière sur le campus d'HEC pour l'université d'été du Medef, le ministre de l'Economie et des Finances a promis une «nouvelle prospérité» aux chefs d'entreprise avec cette loi. «A chaque étape de la vie d'une entreprise, il y a un caillou. Cette loi va permettre de déblayer le chemin», illustre de son côté Olivia Grégoire. Pour la «naissance» d'une boîte, comme le dit la députée, le gouvernement propose par exemple une plateforme unique de création d'entreprise, de regrouper certains registres ou encore de supprimer le «stage de préparation à l'installation» qui, en moyenne, coûtait, selon le gouvernement, 400 euros. Pour sa «croissance», l'exécutif exauce un vieux souhait des (petits et grands) patrons : la suppression de plusieurs seuils (10, 25, 100, 150 et 200 salariés) et le gel des autres (11, 50 et 250) pendant cinq ans, sur la représentation des salariés dans l'entreprise. Conséquence, l'obligation de mettre un local à la disposition des syndicats par exemple passe de 200 à 250 salariés et pourra attendre quelques années…

Le «ruissellement», c’est maintenant ?

Le «Pacte» est censé, avec le prochain projet de loi de finances pour 2019, modifier la tuyauterie fiscale française pour que l'argent rendu aux plus aisés en 2018 - via la suppression de l'impôt sur la fortune et la création d'un prélèvement forfaitaire unique de 30% sur les revenus du capital - «ruisselle» vers les PME françaises : facilitation des transmissions, «renforcement» du PEA-PME, «modernisation» de l'assurance-vie, suppression de l'exit-tax, «simplification» et «portabilité» de l'épargne-retraite… Tout un arsenal fiscal doit être mis sur pied pour «encourager l'investissement dans les entreprises», insiste le député Modem Jean-Noël Barrot, l'un des rapporteurs du texte qui va notamment défendre la réforme de l'épargne-retraite : «L'assurance-vie, c'est 1 600 milliards d'euros d'encours, l'épargne-retraite, c'est à peine 200 milliards. Notre objectif est que 25% des flux qui vont aujourd'hui vers l'assurance-vie aillent demain vers l'épargne-retraite.»

Par ailleurs, l'ouverture du capital de La Française des Jeux et d'Aéroport de Paris doit abonder le «fonds pour l'innovation et l'industrie». Doté in fine de 10 milliards d'euros, cet argent sera placé pour obtenir un «rendement» de 200 à 250 millions d'euros chaque année destinés aux start-up et à «investir dans des technologies comme l'intelligence artificielle, la nanoélectronique ou le stockage d'énergie». Pour mieux faire passer la pilule, le gouvernement promet «d'encourager l'actionnariat populaire» pour ces deux entreprises publiques historiques.

Et les salariés dans tout ça ?

N'en déplaise aux socialistes qui avaient déposé, en janvier, une proposition de loi en ce sens, le gouvernement Philippe n'a pas l'intention de mettre en place une «codétermination à la française». S'il contraint le Medef a accepter une modification du code civil pour y intégrer une définition de «l'objet social de l'entreprise» et propose, à celles qui le souhaitent, de se doter d'une «raison d'être», il reste très timide sur la présence de salariés dans les conseils d'administration (simple passage de un à deux administrateurs salariés à partir de huit administrateurs contre douze aujourd'hui et extension aux mutuelles). En revanche, il veut mettre le paquet sur l'épargne salariale et l'actionnariat-salarié. Le patron d'une entreprise de moins de 250 salariés n'aura, demain, plus besoin de payer de forfait social (20%) sur les sommes versées au titre de l'intéressement. Même chose pour l'épargne salariale dans les boîtes de moins de 50 salariés. Le gouvernement compte également réduire ce même forfait social (10%) «lorsque le salarié investira dans les produits d'actionnariat salarié». Objectif affiché par Le Maire depuis près d'un an : «Qu'une part significative du capital des entreprises», soit 10%, «puisse être [en moyenne] détenue par les salariés».

Des entrepreneurs plus «libres» et des salariés transformés en «actionnaires», bonne façon, en période de remous pour la macronie, de retrouver ses fondamentaux.