Pour accepter l'idée d'un portrait, Fabienne Klein-Donati a pris moult précautions. La procureure de la République de Bobigny (Seine-Saint-Denis) ne voulait pas que l'on s'étende trop sur les remous du début de l'année. Lors de l'audience solennelle de rentrée, en janvier, la magistrate prononce un discours coup de poing sur le manque chronique de moyens dans sa juridiction. Extraits : «La situation demeure préoccupante et le demeurera tant que la juridiction ne sera pas renforcée en conséquence des besoins», «faute de ces moyens, le parquet est contraint quotidiennement de dégrader la réponse ou de la différer», «est-ce mission impossible de prendre des mesures exceptionnelles pour un département exceptionnel ?» Deux jours plus tard, le Monde titre en une : «Justice en Seine-Saint-Denis : le SOS de la procureure de Bobigny.» Fabienne Klein-Donati, de son côté, doit assurer le service après-vente à la radio et commence à nuancer légèrement la vigueur de ses propos. Trop tard, le coup est déjà parti.
La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, est contrainte de réagir et de faire une annonce, la formule magique pour tenter de couper court à une polémique. A la hâte, elle assure que des moyens seront débloqués. En coulisse, la ministre déclenche aussi une inspection, vécue comme punitive par une partie des magistrats de la juridiction. «Je reconnais que j'ai utilisé des mots assez forts, mais je n'ai rien fait d'autre que décrire la réalité, je disais simplement qu'il y a un certain nombre de choses que l'on ne peut pas faire parce qu'on n'en a pas les moyens», démine encore aujourd'hui Fabienne Klein-Donati, nommée à ce poste en juillet 2014. La procureure estime d'ailleurs avoir été en partie entendue : les magistrats de son parquet sont désormais cinquante-cinq, deux renforts viennent tout juste d'arriver. La ministre s'était pourtant engagée sur quatre nouveaux postes. Mais au-delà des moyens humains, «dans le bâtiment, tout part en quenouille», constate Fabienne Klein-Donati. Il y a «les pluies torrentielles qui se déversent dans la salle des pas perdus», «les salles d'audience où soit il fait très froid, soit il fait très chaud», et «les archives qui nous bouffent tout l'espace». Mais elle assure que «le ministère fait énormément d'efforts pour les conditions de travail».
«Cascadeur»
La Seine-Saint-Denis est un département qui déclenche une pluie de superlatifs quand il s'agit d'y décrire la pauvreté, le chômage et la délinquance. La formule est connue, c'est le territoire «le plus criminogène de France». «Ce qui fait la différence avec d'autres juridictions, c'est la masse des affaires, la délinquance existe partout mais dans des conditions et des contextes bien différents. On est toujours en décalage entre nos moyens et les situations que l'on doit affronter», analyse Fabienne Klein-Donati, qui décrit Bobigny, dont le ressort couvre tout le département et l'aéroport Charles-de-Gaulle, comme le «premier parquet de France après Paris». Sa juridiction est inondée chaque jour par un flot continu d'affaires, 180 000 par an.
A 10 heures, en ce mercredi de fin août, Fabienne Klein-Donati anime le point quotidien avec son équipe : «Comment va notre cascadeur ?»L'affaire d'un homme qui s'est évadé pendant sa garde à vue et fait une chute de trois étages pour échapper à la police retient l'attention. Autour de la table, une jeune magistrate de permanence égrène ce qui a occupé sa nuit et passe aussi vite sur une agression sexuelle que sur une tentative d'homicide. «Quand vous faites trois ans ici, vous êtes rincé, la charge de travail est beaucoup plus lourde qu'à Paris», poursuit la procureure.
Pour décrocher, Fabienne Klein-Donati passe ses vacances dans le Luberon et fait beaucoup de vélo avec son mari, médecin. A 60 ans, elle vient de tenter l'ascension du mont Ventoux. «J'ai réussi à grimper 15 kilomètres, j'avais un VTT très lourd donc c'est pas mal, s'enthousiasme-t-elle. J'y arriverai. Maintenant je pense que je suis capable d'aller au bout.» La magistrate habite aussi très loin de son tribunal, dans une maison au fin fond de la Seine-et-Marne, de l'autre côté de l'Ile-de-France. Soit trois heures de trajet par jour. Mais ce n'est pas un souci : «J'ai mon jardin, mon chien.» On comprend vite qu'elle ne déménagerait pour rien au monde.
Fin des années 70. Fabienne Klein-Donati fait ses études de droit à la fac de Nancy et veut devenir prof, elle fera finalement l'essentiel de sa carrière au parquet. Son premier poste est à Epinal (Vosges), comme substitut du procureur, en 1984. C'est là que débute l'une des plus folles sagas judiciaires de l'après-guerre. Un fiasco aussi. «J'étais de permanence le jour de la découverte du corps de Grégory, raconte la magistrate. Je n'ai pas été chargée des investigations mais j'ai vu de l'intérieur les erreurs commises et le manque de maîtrise dans la gestion des médias.» Elle en tire aussi une leçon : se méfier des évidences. Plus tard dans sa carrière, Fabienne Klein-Donati se retrouve confrontée à une autre énigme macabre. Cette fois, elle est aux commandes. «Une femme est morte de 27 coups de couteau. Son petit copain a tout de suite été désigné comme l'auteur parce qu'il était avec elle juste avant. Tout le monde a foncé tête baissée», se souvient-elle. Et puis, elle creuse : «On a fait tomber toutes les convictions initiales, l'auteur du crime n'a pas été retrouvé mais le jeune homme emprisonné a finalement bénéficié d'un non-lieu.»
«Sérénité»
Quand on évoque le «personnage» Fabienne Klein-Donati avec d'anciens collègues, c'est un torrent d'éloges. Christian Raysseguier, ex-premier avocat général à la Cour de cassation, aujourd'hui à la retraite, l'a eue sous ses ordres à la fin des années 80, au parquet de Melun : «Elle avait toujours le souci de prendre en compte l'individu. Elle n'était pas dans une application rigoureuse de la loi sans considération du contexte.» Il se souvient d'une magistrate qui avait «du caractère, gentille, mais pas forcément très souple». «Elle avait une énorme puissance de travail et faisait très attention aux autres. Il y a peu de collègues que je peux citer comme ça», renchérit Ulrika Delaunay-Weiss, aujourd'hui procureure de la République adjointe au Parquet national financier. «C'est quelqu'un de très chaleureux, un certain nombre de personnes qui l'ont rencontrée ont souhaité la suivre», complète Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale à la cour d'appel de Douai, qui a travaillé avec elle à Evry. Youssef Badr, désormais porte-parole du ministère de la Justice, l'a vue arriver alors qu'il était encore en poste au parquet de Bobigny : «Elle a ramené du calme, de la sérénité dans cette juridiction. C'est aussi quelqu'un qui a toujours été à l'écoute. Elle analyse tout le monde, elle sait exactement qui pense quoi.»
Fabienne Klein-Donati a aussi ferraillé au cœur du pouvoir politique comme conseillère dans plusieurs cabinets ministériels de gauche. Elle est recrutée pour s'occuper de la justice des mineurs en 1998 par la garde des Sceaux Elisabeth Guigou. Très vite, Jean-Pierre Chevènement, alors ministre de l'Intérieur, déclenche une importante polémique en affirmant d'un ton martial vouloir «mettre hors d'état de nuire les "petits caïds"», les «"sauvageons"». De l'autre côté, Guigou. Sa conseillère, Fabienne Klein-Donati, est aux premières loges du couac gouvernemental : «Je ne suis pas rentrée chez moi pendant trois semaines.» «Il y avait beaucoup de ressentiment dans la société, analyse aujourd'hui Elisabeth Guigou. Mais il fallait faire comprendre que la justice des mineurs, ça devait rester quelque chose de spécial. Fabienne Klein-Donati sortait volontiers des sentiers battus pour être toujours ouverte au contexte dans lequel vivaient les jeunes délinquants et les jeunes en danger.» Près de quinze ans après cette expérience, Fabienne Klein-Donati intègre le cabinet du Premier ministre Jean-Marc Ayrault comme conseillère justice. Ces deux années sont marquées par le vote de la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. Mais quand Manuel Valls devient chef de l'exécutif, toute l'équipe en place est mise à la porte. Fabienne Klein-Donati décroche alors la tête du deuxième parquet de France, Bobigny. Une belle récompense.
Avec six ans dans des cabinets ministériels socialistes, Fabienne Klein-Donati est-elle une magistrate de gauche ? Dans un premier temps, la procureure fait mine de ne pas vraiment comprendre la question, comme si celle-ci n'avait pas lieu de se poser. Elle revendique de n'avoir jamais été syndiquée : «Je ne mélange pas.» Puis assure que le plus important pour elle dans ses différents postes au gouvernement n'était pas l'étiquette politique. Avant de concéder qu'elle «n'aurait pas pu occuper le même poste sous un gouvernement de droite». Mais pour elle, «un magistrat ça ne peut pas être de gauche ou de droite, en revanche comme citoyenne, ce n'est pas pareil». Elle suscite en creux une interrogation : comment un procureur de la République peut-il influer, à son échelle, sur les politiques pénales ? «Alors qu'elle a la personnalité pour faire autrement et qu'elle pourrait en avoir le courage, elle est comme tous les procureurs de la République, qui se préoccupent essentiellement de la gestion des flux et du taux de réponse pénale», tacle Sarah Massoud, juge des libertés et de la détention à Bobigny et membre du Syndicat de la magistrature, classé à gauche. Pour Fabienne Klein-Donati, son vrai rôle est ailleurs : «A quoi sert-on si les gens ne peuvent pas rentrer chez eux sans crainte et que certains sont obligés de cacher de la drogue ? Procureur de la République, c'est défendre ces gens-là. C'est ça mon métier.»