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Libération
Éditorial

A l’Elysée, le vrai remaniement

publié le 6 septembre 2018 à 19h36

Quand tout va mal, on accuse la communication. Ainsi la sévère chute de l’équipe Macron dans les sondages est-elle imputée, non à la politique menée, qui est réaffirmée, mais aux carences de sa mise en scène. Dans le «storytelling», ce n’est pas la «story» qui change, mais le «telling». Figure classique de la vie gouvernementale : les «communicants» sont toujours les boucs émissaires des déconvenues gouvernementales. Le mini-remaniement de mardi se double donc d’un maxi-remaniement de la cellule communication de l’Elysée.

Première victime probable : Bruno Roger-Petit, porte-parole. On lui reprocherait son arrivée tardive dans la «team Macron» - drôle de reproche - et la mauvaise habitude qu’il aurait prise de débiner ses collègues élyséens, ce qui a dû les agacer. Même si, selon toute probabilité, ils ne se sont pas privés de lui rendre la pareille. Victime expiatoire ? C’est bien possible. L’accusation met en exergue sa réaction maladroite aux premières révélations de l’affaire Benalla. Il est vrai que son premier poulet officiel, enregistré dans la salle de presse de l’Elysée, a été démenti cruellement par les faits. Mais s’il a donné des fausses informations, c’est peut-être qu’il n’en avait pas d’autres. D’où venait donc le «fake démenti» qu’il a imprudemment dégainé, sinon de plus haut ? On a le sentiment qu’il était surtout un soldat qu’on envoie en terrain découvert sans armes et sans informations, tandis que les véritables responsables faisaient courageusement le gros dos.

Un certain Sylvain Fort, spécialiste de la littérature romantique allemande, devrait lui succéder pour reprendre en main le chœur des Mercure macroniens. Au moins ce fan de Goethe saura raconter de belles histoires sur les souffrances du jeune Emmanuel… Si les journalistes se plaignent des communicants élyséens, c’est peut-être aussi parce qu’ils perçoivent dans le fonctionnement quotidien de l’Elysée un discret mais abyssal mépris du macronisme envers la presse. C’est un point commun avec Donald Trump qui a, lui, le mérite de dire tout haut ce qu’il pense. A quoi bon entrer dans les raisons d’un pouvoir qui, de toute manière, tient ses interlocuteurs pour une bande de farceurs et d’escrocs ?

Le problème, c'est que la condescendance du pouvoir envers l'extérieur n'est pas ressentie seulement par les journalistes, mais à peu près de la même manière par une grande partie de l'opinion, comme en témoigne le dévissage spectaculaire du gouvernement dans les sondages. Les Gaulois «réfractaires au changement» (dixit le Président) goûtent peu qu'on les tienne pour des franchouillards engoncés dans leur conservatisme. César, qui fut l'adversaire implacable desdits Gaulois, se gardait de tout mépris à leur égard. Au contraire, il ne cessait de louer leur courage, ce qui lui permettait de rehausser ses propres victoires. Naguère, John Fitzgerald Kennedy avait composé son équipe de la Maison Blanche en faisant appel, disait-il, aux meilleurs et aux plus intelligents («the best and the brightest»). Les auxiliaires de Macron n'ont pas éprouvé le besoin de le faire : ils se sentaient déjà eux-mêmes «the best and the brightest».

C'est Gérard Collomb qui a peut-être donné le fin mot de l'affaire, dans une confession candide : «Peut-être, les uns ou les autres, nous avons manqué d'humilité […] J'étais dans le temps professeur de grec. En grec, il y a un mot qui s'appelle hubris, c'est la malédiction des dieux. Quand, à un moment donné, vous devenez trop sûrs de vous, vous pensez que vous allez tout emporter.» Une sagesse jupitérienne.