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Libération
Billet

Constance, les Femen et les autres : leurs tétons, leurs choix

publié le 6 septembre 2018 à 19h36

«Grosse pute de télé-réalité», «au moins, dites-lui de faire un régime», «tellement t'es nulle, t'es dégueulasse, tu ressembles à mon cul quand j'ai la chiasse […] sale grosse pute de pouffiasse de tes morts»… A n'en pas douter, la compilation des injures reçues par Constance est un sacré pot-pourri. Ironique, quand on sait que Pot pourri est aussi le titre du dernier spectacle de l'humoriste (1). La cause de ce déferlement de haine ? Une chronique diffusée le 28 août dans l'émission Par Jupiter sur France Inter, au cours de laquelle elle a eu l'audace de «parler roploplos».

Et surtout, d'illustrer son propos en envoyant valser le haut. Seins nus, du haut de son 90E revendiqué, Constance Pittard voulait «faire la nique» aux «extrémistes, aux réacs» et autres moralisateurs qui ont «décrété que le corps, c'est caca». Quelques jours après la journée mondiale du topless, Constance voulait ainsi questionner les  «obsessions et les aversions qui perdurent autour de deux poches de gras et de glandes». «Je ne renie pas mes seins, je les accepte et je peux même vous dire que ce sont des armes», clame-t-elle.

Quoique salué, ce message libérateur (vu 1,8 million de fois sur YouTube en une semaine) a surtout été enseveli sous un torrent de bêtise crasse. «Je suis atterrée de constater qu'on en soit là en France en 2018», déplore Constance, jointe par Libération. Et de dénoncer «une société où les libertés reculent à bien des niveaux, en particulier celles des femmes, et où règne une certaine hypocrisie : on n'a jamais autant consommé de porno ni autant vu de femmes à poil dans la publicité». Le vecteur a pris le pas sur le fond et le corps féminin réifié est une fois de plus devenu la cible de toutes sortes de commentaires non sollicités sur les réseaux sociaux : «Très belle poitrine», a-t-on notamment pu lire, au mépris total du discours militant de l'humoriste, que l'on y adhère ou non, d'ailleurs. Pis, celle-ci s'est fait inonder d'insultes misogynes, grossophobes, qu'elle a choisi de rendre publiques sur son compte Twitter. Illustration, s'il en fallait, de la violence du cyberharcèlement dont les femmes sont trop souvent victimes : près des trois quarts d'entre elles (73 %) sont concernées, selon une enquête de l'ONU réalisée en 2015.

Oser avoir un propos engagé et user de la nudité, même partielle, semble être l'assurance d'être pris pour cible. Du moins, quand on est une femme. Quand le comédien et dramaturge Sébastien Thiéry a déboulé complètement à poil sur la scène de la cérémonie des molières il y a trois ans pour interpeller la ministre de la Culture de l'époque, Fleur Pellerin, sur le sort des intermittents, nulle meute ne s'est abattue sur lui. Au contraire, on a surtout salué son culot et son «sens du spectacle». Oui au phallus activiste, sus au téton féministe, en somme. Et aux roberts tout court. Couvrez ce sein… Car c'est bien là que le bât blesse. Sinon, pourquoi donc la joueuse de tennis Alizé Cornet aurait-elle écopé d'un avertissement à l'US Open pour avoir remis son tee-shirt à l'endroit sur le court (alors même qu'elle portait une brassière), quand les joueurs masculins peuvent soulever leur maillot et exhiber leur torse à l'envi ? «Rien de tout cela ne serait arrivé si j'étais un homme et que j'avais fait l'hélicoptère avec ma bite», tacle Constance. La preuve ? Le nombre de poursuites pour exhibition sexuelle engagées contre des femmes en France. Dernière en date : l'artiste et performeuse Deborah de Robertis, qui risque un an de prison et 15 000 euros d'amende pour s'être dénudée samedi devant la grotte de Massabielle à Lourdes. Avant elle, plusieurs membres des Femen ont été poursuivies pour exhibition sexuelle, après avoir brandi ce buste honni en guise d'arme. Alors qu'au cours d'un procès en appel, Iana Zhdanova, militante Femen, avait été relaxée du délit d'exhibition sexuelle au motif que sa démarche était politique, la Cour de cassation est revenue sur cette décision en janvier. Résultat, pour son conseil, Me Marie Dosé, «cet arrêt d'un autre temps, complètement indifférent aux réalités, conduit à rendre punissable toute femme qui déciderait de se servir de sa poitrine pour porter un message artistique ou politique», signe selon elle que «les hommes et les femmes ne sont pas égaux face à l'infraction d'exhibition sexuelle».

L’avocate compte déposer une question prioritaire de constitutionnalité à ce sujet. En attendant que la loi évolue, et, espérons-le, que les mentalités fassent de même, il est urgent de prendre conscience de la gravité des faits évoqués. La violence des agressions dont Constance Pittard fait l’objet n’est pas sans rappeler d’autres cas de cyberharcèlements, pouvant aller jusqu’aux menaces de viol ou de mort, poussant nombre de femmes, comme Nadia Daam ou Caroline de Haas, à se retirer des réseaux sociaux. Jusqu’à quand tolérera-t-on de contraindre les victimes à se faire toutes petites dans l’espace public, qu’il soit réel ou virtuel ? Que leurs bourreaux se rassurent, la loi ne les oublie pas. L’arsenal législatif vient tout juste d’être renforcé contre ces «raids», désormais passibles de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amende depuis l’entrée en vigueur de la loi Schiappa le 5 août.

(1) A Paris, au théâtre des Deux Anes, à partir du 9 octobre.