Le temps d'aller chercher son épouse Marie-Thérèse, retardée par la file aux toilettes, Marcel Dembet, 75 ans, a eu la surprise de voir que le bus avec lequel ils faisaient la route Paris-Rennes était reparti… sans eux. «On est ressortis, le bus n'était plus là. Je me suis dit ce n'est pas possible, il n'a pas disparu comme ça ! On est allés voir sur le parking derrière, mais il n'y avait rien.» Alors qu'il voyageait avec la compagnie FlixBus, le couple de retraités a été abandonné lors d'une pause dans une station-service, à une heure trente de leur destination, en fin d'après-midi. A leurs côtés, deux autres passagers. Tous ont leurs bagages dans le bus. «Dans la station-service, personne ne comprenait comment le bus avait pu partir en laissant quatre passagers à deux minutes près. Pour nous, c'était beaucoup d'émotions.»
Marcel et Marie-Thérèse souffrent d'une mobilité réduite et s'aident de cannes pour marcher : «Moi, j'ai deux prothèses de hanche, mon épouse en a une au genou.» Sur l'aire, un élan de solidarité se met en place. Un couple de Bretons les emmène à Rennes. «C'est un événement grave, compte tenu de la vulnérabilité de mes parents. Il y a une question de responsabilité à soulever», s'indigne leur fils.
Poubelle. Le 19 juillet 2016, c'est une jeune fille mineure de 17 ans qui est laissée sans bagages à Montélimar. Un an après, sur cette même aire, une grand-mère et son petit-fils de 9 ans connaissent la même mésaventure. «Ce qui est difficile à intégrer pour les clients, avec ce mode de transport encore récent, c'est qu'il fonctionne un peu comme un train. Ce n'est pas un voyage organisé, les responsabilités sont individuelles», explique-t-on chez FlixBus. Si elle reconnaît ces incidents, la compagnie estime qu'ils sont «très rares». Sur Internet où les témoignages affluent, FlixBus est le nom qui revient le plus souvent. Mais Ouibus ou Eurolines sont aussi concernés. «Son sac, il peut aller à la poubelle», aurait répondu un chauffeur Ouibus aux passagers s'inquiétant du devenir des bagages d'une femme, laissée à 22 h 30 sur une aire d'autoroute près d'Agen, a rapporté Egan, 20 ans, à la Dépêche du Midi. En remarquant l'absence de leur co-passagère, lui et d'autres ont insisté auprès du conducteur pour qu'il fasse demi-tour. Mais ce dernier aurait rétorqué qu'il était «pressé», que «les bus ne sont pas une garde scolaire, et que cela ne le regardait pas». Le conducteur se doit de «compter les voyageurs à bord pour vérifier qu'ils sont tous là. S'il en manque un, il a pour consigne de les retrouver avant de repartir», fait savoir Ouibus. Du côté de FlixBus, ce comptage n'est «pas obligatoire».
Chez Vinci Autoroutes, gestionnaire de nombreuses aires, le phénomène est bien connu. «Il y a plusieurs aires où cela arrive : nous prenons en charge les clients abandonnés. Le personnel de l'aire nous appelle et nous envoyons parfois une personne d'astreinte», commente le groupe. «Les enseignes partenaires fournissent les premières nécessités, un repas par exemple. Et on appelle les compagnies pour s'assurer de la venue d'un prochain bus.» Mais parfois, il n'y a rien. Mardochée Fortunat, jeune femme de 26 ans, a été laissée l'été dernier avec deux amies sur l'aire de Saint-Ghislain en Belgique, alors que toutes trois rentraient d'Amsterdam à Paris, avec FlixBus. «Le chauffeur a dit qu'on avait 30 minutes pour manger. A un moment, je regarde dehors, le bus n'était plus là !» se souvient la jeune femme. «On surveillait bien l'heure : il nous restait près de dix minutes.» Les trois amies appellent la «hotline» et tombent sur une opératrice non francophone, qui leur conseille de se rendre dans la ville la plus proche, Mons, pour trouver des bus. «On était livrées à nous-mêmes, complètement perdues.» Elles joignent une seconde opératrice. «Elle a affirmé que ça ne servait à rien car il n'y avait pas de FlixBus à Mons. Elle nous a dit : "je vous conseille de trouver un train pour rentrer à Paris. Je n'ai aucune solution".»
Foire. L'opératrice leur confirme tout de même, à partir de ses données GPS, que le chauffeur a stationné vingt-trois minutes, au lieu de la demi-heure annoncée. Un cas de figure où «le conducteur est responsable», selon la communication de FlixBus, entraînant «au cas par cas, une logique de dédommagements». Prises en stop par des voyageurs, les trois amies disent pourtant n'avoir jamais été remboursées. Mardochée Fortunat contacte le service client le lendemain, et reçoit un mail automatique de l'entreprise, la renvoyant à la foire aux questions. La jeune femme dépose ensuite une plainte sur la plateforme de litiges exploitée par la Commission européenne, où les compagnies ont un mois pour trouver un médiateur. Toujours rien. En septembre, elle poste des messages sur les réseaux sociaux. «Là, FlixBus m'a répondu d'envoyer mon numéro de commande pour me faire rembourser… Mais à ce jour, je n'ai toujours pas de nouvelles. J'ai abandonné !» Les bagages des trois jeunes femmes ont été récupérés au terminus par des amis. Ceux de Marcel et Marie-Thérèse, par leur fils. Mais d'autres passagers contactés ne les ont toujours pas récupérés, des semaines après avoir été «oubliés».