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Libération

Jan Fabre accusé de harcèlement par sa troupe

Le plasticien et chorégraphe belge est mis en cause par des collaborateurs dans une lettre ouverte. Sans démentir, il plaide la bonne foi et appelle au dialogue.
Jan Fabre en septembre 2017. (Photo Yann Rabanier)
publié le 13 septembre 2018 à 21h46

«Il nous appelle les guerriers de la beauté mais au final tu te sens comme un chien battu.» Triste portrait de l'acteur au travail. Il est peint par un ancien collaborateur de Jan Fabre, un des nombreux à avoir cosigné une lettre ouverte pour le moins chargée à l'encontre du célèbre plasticien et metteur en scène belge, poids lourd du marché de l'art et figure incontournable du spectacle vivant, notamment dans l'Hexagone. Car les accusations publiées mercredi dans le magazine néerlandophone Rekto: Verso excèdent cette fois le registre de l'éthique animale, des défenseurs de laquelle Fabre avait déclenché l'ire avec une performance de lancer de chats en 2012. Ou celui de la diplomatie culturelle : l'indignation qu'il suscita auprès de la scène grecque entraîna sa démission du poste de directeur du festival d'Athènes et d'Epidaure en 2016.

Démissions. Tout est parti d'une interview en juin sur la chaîne VRT. Interrogé sur les résultats d'une enquête sur le harcèlement sexuel commandée par le ministre flamand de la Culture, Sven Gatz, laquelle informait qu'«une femme sur quatre» aurait été victime de harcèlement sexuel au cours de l'année écoulée, Jan Fabre mentionnait le climat de «respect mutuel» dans lequel baignerait sa compagnie. Sauf qu'une partie de ladite compagnie serait restée sidérée en entendant sa déclaration. Car par «respect», expliquent les 20 cosignataires - dont une majorité de femmes (huit d'entre elles signant de leur nom) -, il faudrait en réalité entendre harcèlement moral et chantage sexuel, abus de pouvoir, violences verbales et tentatives d'intimidations diverses. Les cosignataires reprochent notamment à Fabre d'entretenir au sein de la compagnie, qui compte une quarantaine d'employés fixes, un climat d'humiliation constante, ciblant particulièrement le corps des femmes. A titre d'exemples, ce jour où Fabre aurait tenu des propos désobligeants sur le poids de l'une des interprètes, la supposant enceinte, celui où il aurait lancé à une autre «tu es jolie mais tu n'as pas de cerveau, un peu comme un poulet sans tête !» ou cet autre où il aurait déclaré à une interprète non européenne que si elle ne dansait pas mieux il la renverrait dans son pays. En deux ans, six collaboratrices auraient démissionné en évoquant des cas de harcèlement sexuel ou des phrases lancées par Jan Fabre comme «pas de sexe, pas de solo». Plusieurs d'entre eux évoquent un projet photographique problématique mené au domicile de l'artiste.

Depuis la publication de la lettre, Jan Fabre et sa compagnie Troubleyn ont fait paraître un droit de réponse - déplorant que l'attaque ait eu lieu dans les médias, considérant celle-ci comme un tribunal populaire injuste, et invitant les signataires à un «dialogue serein». «Ce n'est un secret pour personne que Jan a une forte personnalité et un style singulier en tant qu'artiste. Cependant, cela ne signifie pas qu'il y ait harcèlement sexuel», déclare le bureau de la compagnie, qui rappelle aussi sa philosophie de travail depuis quarante ans : un art radical, oui, mais rien d'effectué sans consentement mutuel. «Personne n'est obligé de s'adonner à des comportements qu'il juge inappropriés.»

Lenteur. Par ailleurs, la compagnie rappelle dans un communiqué que, depuis la vague #MeToo, elle a pris plusieurs mesures pour ouvrir la discussion en interne, voire donner suite à certains cas. Jan Fabre y prend la parole : «En tant que producteur, je sais que je peux être très direct. Je n'ai jamais eu l'intention d'intimider ou de blesser des personnes psychologiquement ou sexuellement. Je voudrais exhorter les femmes qui prétendent que mon comportement était inacceptable à utiliser les procédures disponibles. Je coopérerai pleinement.» De leur côté, les signataires, qui disent avoir renoncé à la voie judiciaire à cause de sa lenteur, évoquent la difficulté de se fédérer : «Se faire accepter comme membre de la compagnie est le résultat d'une longue endurance.» Et insistent aussi sur les problématiques structurelles à ce milieu dans lequel les rapports de dépendance sont extrêmement puissants : «Qu'est-ce que nous protégeons et justifions si désespérément au nom de l'art ? Qui protégeons-nous ?»