Bâtir «un nouvel Etat-providence», capable «d'éradiquer la pauvreté» en une génération. En finir avec le «scandale» du «déterminisme» qui condamne les enfants de pauvres à vivre les mêmes difficultés que leurs parents. Comme chaque fois qu'il se réserve le privilège de présenter lui-même une «stratégie» gouvernementale, Emmanuel Macron n'a pas lésiné sur les fortes paroles devant les quelque 400 personnes réunies jeudi matin à Paris, au musée de l'Homme. En préambule du discours, le délégué interministériel Olivier Noblecourt, maître d'œuvre de ce plan de lutte contre la pauvreté, avait cru bon de rappeler que dans ce «combat au long cours», le gouvernement ne «partait pas de rien» et marchait dans les pas de militants reconnus de cette cause, comme le défunt François Chérèque ou Martin Hirsch, assis au premier rang.
Statistique affolante
Les prédécesseurs du Président ont aussi lancé des politiques de lutte contre la pauvreté. L'effort financier promis par François Hollande au début de son mandat était du même ordre que ce qui a été annoncé jeudi : un peu plus de 2 milliards par an, dégagés par redéploiements. Macron n'est donc pas le premier à prétendre faire de la pauvreté une grande cause nationale. Mais il est vrai que la méthode et les priorités retenues tranchent avec ce qu'avaient proposé les gouvernements précédents. Toutes les décisions annoncées jeudi visent, selon lui, à lutter contre «la reproduction». «Refuser le déterminisme», tel serait «le premier des combats». Depuis un an qu'il sillonne le pays à la rencontre des «visages de la pauvreté», Emmanuel Macron affirme avoir beaucoup appris des ravages de cette «société de statuts». Il se désole, reprenant l'expression d'Antoine de Saint-Exupéry, devant les «Mozart assassinés», ces enfants condamnés à rester en bas de l'échelle. A deux reprises, dans son discours, il fait référence à cette statistique affolante récemment proposée par une étude de l'OCDE : aujourd'hui en France, il faudrait six générations - 180 ans - à un enfant de pauvres pour accéder à la classe moyenne.
Faire en sorte que «la pauvreté ne se transmette plus en héritage» : Macron reconnaît qu'il formule là «une ambition extrême» pour le nouvel Etat-providence et qu'il ne peut donc pas garantir le succès de l'entreprise. Mais il se dit en revanche certain qu'il lui appartient de porter cette ambition universelle : «Si ce n'est pas la France qui mène cette bataille alors personne ne la mènera», a-t-il conclu jeudi.
Combat précoce
Pour casser la fatalité de la reproduction, le plan de l'exécutif se concentre logiquement sur les plus jeunes. Partant du constat que les inégalités sont devenues insurmontables dès l'âge de 4 ans, quand un enfant de pauvres maîtrise deux fois moins de mots que ses camarades du même âge, Macron a décliné une série de mesures visant à développer l'accueil en crèche et la formation continue des 600 000 professionnels de la petite enfance. Seulement «5 % des enfants des quartiers défavorisés fréquentent aujourd'hui des crèches, contre 20 % ailleurs», a rappelé le chef de l'Etat qui veut aussi s'attaquer aux «privations matérielles» en finançant des petits déjeuners et des tarifs sociaux à la cantine. Et a souligné que ce combat précoce contre les inégalités avait déjà été engagé avec les dédoublements de CP et de CE1 dans les réseaux d'éducation prioritaire. Il propose de le compléter, en amont, par des dispositifs d'accompagnement dès le 4e mois de grossesse. Il y ajoute, pour en finir avec les dizaines de milliers de décrocheurs qui «sortent des radars» chaque année, une «obligation de formation» jusqu'à l'âge de 18 ans.
De nombreuses associations d'aide aux plus démunis ont estimé jeudi que cette stratégie de prévention des inégalités allait plutôt «dans le bon sens». Elle ne trouve en revanche aucune grâce aux yeux de l'opposition, de Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen. Cette dernière souligne le contraste entre les 2 milliards annuels du plan déroulé jeudi et le «cadeau» fiscal de 4,5 milliards par an offert aux plus riches au début du quinquennat. Il est vrai que le combat contre «la pauvreté en héritage» aurait pu être harmonieusement complété par une taxation de l'héritage. C'est d'ailleurs ce qu'avaient évoqué, le 9 juin dernier, trois économistes proches de Macron dont Jean Pisani-Ferry, ex-coordinateur du projet présidentiel. «Une taxation plus lourde des très grosses successions» devrait être envisagée pour rééquilibrer l'action de l'exécutif, avaient-ils suggéré.